— Un Zappit mort, ça ne m’étonne guère, s’il faisait partie du dernier lot, dit Schneider. Un grand nombre étaient défectueux, peut-être trente pour cent.
– À titre de curiosité personnelle, à combien de pièces se montait ce dernier lot ?
— Il faudrait que je vérifie les chiffres pour être sûr, mais autour de quarante mille unités, je pense. Zappit a attaqué le fabricant en justice, même si attaquer en justice des compagnies chinoises est un jeu perdu d’avance, mais à l’époque ils cherchaient à rester à flot par tous les moyens. Si je vous donne cette information, c’est uniquement parce que tout ça, c’est de l’histoire ancienne.
— Compris.
— Bon, le fabricant chinois — Yicheng Electronics — a riposté vertement. Sans doute pas pour des raisons financières mais par crainte pour sa réputation. Et peut-on les blâmer, dites-moi ?
— Non. » Hodges ne peut plus tenir sans antalgique. Il sort son flacon de comprimés, en fait tomber deux, en remet un à contrecœur dans le flacon. Il glisse l’autre sous sa langue, espérant qu’ainsi, il fera plus vite effet. « Non, j’imagine qu’on ne peut pas.
— Yicheng a prétendu que les unités défectueuses avaient été endommagées pendant le transport, certainement par de l’eau. Ils ont soutenu que s’il avait été question d’un problème logiciel, tous les jeux auraient été défectueux. Moi je trouve ça assez logique mais je suis pas un génie en électronique. En tout cas, le Zappit a fait un flop et Sunrise Solutions a décidé de ne pas poursuivre. Ils avaient déjà de plus gros problèmes à ce moment-là. Pris à la gorge par leurs créanciers. Investisseurs quittant le navire.
— Qu’est devenu ce dernier lot ?
— Bon, évidemment, cela représentait un actif, quoique sans beaucoup de valeur étant donné le problème du défaut. Je les ai conservés un temps, nous avons fait de la publicité auprès de revendeurs spécialisés en articles discount. Des chaînes comme Dollar Store et Economy Wizard. Vous voyez ce que je veux dire ?
— Oui, oui. »
Hodges avait acheté au Dollar Store du coin une paire de pantoufles sorties d’usine avec un défaut. Elles lui avaient coûté un peu plus de un dollar mais elles étaient pas mal. Bien même.
« Naturellement, nous avons dû préciser que jusqu’à trois sur dix de ces Zappit Commander — c’était le nom de la dernière gamme — risquaient d’être défectueux, ce qui impliquait que chacun devrait être vérifié par l’acheteur. Et excluait toute chance de vendre la totalité du lot. Les vérifier nous-mêmes un par un était impensable.
— Hmm-hmm.
— Donc, en tant que fiduciaire, j’ai décidé de faire procéder à leur destruction et d’obtenir un crédit d’impôt qui se serait monté à… une belle somme. Pas du calibre General Motors mais dans les dizaines de milliers, quand même. Afin d’équilibrer les comptes, vous comprenez.
— Oui. Logique.
— Mais avant que j’aie pu m’en occuper, j’ai reçu un appel d’un gars qui bossait pour une compagnie du nom de Gamez Unlimited, basée dans votre ville, justement. « Gamez » comme « games[30] » mais avec un z à la place du s. S’est présenté comme le directeur. Sans doute directeur d’une entreprise de trois personnes travaillant dans deux pièces ou un garage. » Schneider glousse — le gloussement du chargé de grosses affaires new-yorkais. « Depuis que la révolution informatique a vraiment pris son essor, ces petites boîtes fleurissent comme des pissenlits, mais je n’ai jamais entendu dire qu’aucune ait jamais remis gracieusement ses produits. Ça sent un brin l’arnaque, non, vous ne trouvez pas ?
— Ouais », répond Hodges. Le comprimé qui fond est affreusement amer, mais le soulagement est doux. Il se dit que c’est le cas de bon nombre de choses dans la vie. C’est de la sagesse Reader’s Digest, mais ça ne la rend pas moins valable. « Ça sent un brin l’arnaque. »
Le bouclier de jargon juridique a disparu. Schneider est lancé maintenant, tout excité par sa petite histoire.
« Le gars offrait d’acheter huit cents Zappit à quatre-vingts dollars pièce, soit environ cent dollars de moins que le prix de vente conseillé. Après avoir marchandé un peu, on s’est mis d’accord sur cent.
— Cent dollars l’un.
— Oui.
— Ce qui fait quatre-vingts mille dollars », dit Hodges. Il pense à Brady, poursuivi par Dieu sait combien de parties civiles pour des sommes se montant à des dizaines de millions de dollars. Brady qui avait — si sa mémoire est bonne — dans les mille dollars sur son compte en banque. « Et vous avez reçu ce montant en chèque ? »
Il n’est pas sûr d’obtenir une réponse — à ce stade, beaucoup d’avocats mettraient un terme à la discussion — mais si, il l’obtient. Sans doute parce que la faillite de Sunrise Solutions est de l’histoire ancienne. Pour Schneider, cet entretien ressemble à une interview de troisième mi-temps.
« Exact. Payable sur le compte de Gamez Unlimited.
— Et il est passé sans problème ? »
Todd Schneider glousse de son gloussement de chargé de grosses affaires.
« S’il y avait eu un problème, ces huit cents consoles Zappit auraient pris le même chemin que les autres : recyclage pour de nouveaux joujoux informatiques. »
Hodges griffonne quelques opérations rapides sur son bloc tout gribouillé. Si trente pour cent étaient défectueuses, ça laisse cinq cent soixante consoles en état de marche. Ou peut-être pas autant. Hilda Carver en a reçu une qui, logiquement, aurait dû avoir été vérifiée — pourquoi la lui avoir remise, sinon ? — mais d’après Barbara, sa console avait lancé un seul flash bleu avant de rendre l’âme.
« Donc vous les avez envoyées.
— Oui, par UPS depuis un entrepôt à Terre Haute. Faible compensation, mais c’est toujours ça. Nous faisons notre possible pour nos clients, monsieur Hodges.
— J’en suis persuadé. » Et on crie tous hourra, pense Hodges. « Vous souvenez-vous de l’adresse du destinataire de ces huit cents Zappit ?
— Non, mais elle est quelque part dans les dossiers. Donnez-moi votre adresse mail et je serai heureux de vous l’envoyer, à condition que vous me rappeliez pour me raconter le genre d’arnaque que Gamez Unlimited avait montée.
— Avec plaisir, monsieur Schneider. » Ce sera une boîte postale, se dit Hodges, et le détenteur aura depuis longtemps décampé. Mais bon, il faudra quand même s’en assurer. Holly pourra s’en charger pendant qu’il sera à l’hôpital, à se faire soigner pour un truc qui, dans quasiment cent pour cent des cas, ne peut pas être soigné. « Vous m’avez été d’une grande aide, monsieur Schneider. Encore une question et je vous libère. Est-ce que par hasard vous vous rappelez le nom du directeur de Gamez Unlimited ?
— Oh oui, répond Schneider. Je me suis d’ailleurs dit que c’était pour ça que la compagnie s’appelait Gamez avec un z et pas avec un s.
— Je vous demande pardon ?
— Il s’appelait Myron Zakim. »
14
Hodges raccroche et ouvre Firefox. Il tape Z-End et se retrouve devant un personnage de dessin animé maniant une pioche de dessin animé. Des nuages de poussière s’élèvent, formant indéfiniment le même message :