LA FIN DE LA SOUFFRANCE
LA FIN DE LA PEUR
PLUS DE COLÈRE
PLUS D’ANGOISSE
PLUS DE BAGARRE
LA PAIX
LA PAIX
LA PAIX
Puis une série de flashs bleus stroboscopiques. Incrustés à l’intérieur, il y a des mots. Ou, autant leur donner le nom qu’ils méritent, se dit Hodges, des gouttes de poison.
« Éteins ça, Holly. »
Hodges n’aime pas la façon qu’elle a de regarder l’écran : ce regard aux yeux dilatés si semblable à celui de Jerome il y a quelques minutes.
Holly ne réagit pas assez vite au goût de Jerome. Il tend le bras par-dessus son épaule et force son ordinateur à s’éteindre.
« Tu n’aurais pas dû faire ça, s’insurge Holly. Je risque de perdre des données.
— C’est exactement l’objectif de cette saloperie de site, réplique Jerome. Te faire perdre tes données. Te faire perdre la boule. J’ai pu lire le dernier message, Bill. Dans le flash bleu. Ça disait Fais-le maintenant. »
Holly hoche la tête.
« Il y en avait un autre qui disait Partage en ligne avec tes amis.
— Est-ce que les Zappit les dirigent vers ce… ce truc ? demande Hodges.
— Pas besoin, répond Jerome. Parce que ceux qui le trouvent — et ils vont être nombreux, y compris des gamins qu’ont jamais reçu de Zappit gratuit — vont répandre la nouvelle via Facebook et le reste.
— Il a voulu déclencher une épidémie de suicides, dit Holly. Il s’est débrouillé pour mettre le processus en route, puis il s’est suicidé.
— Sans doute pour arriver de l’autre côté avant eux, dit Jerome. Les accueillir à la porte. »
Hodges reprend :
« Suis-je censé croire qu’une chanson rock et une photo d’enterrement vont pousser des jeunes à se suicider ? Les Zappit, d’accord, je peux accepter. J’ai vu comment ça marche. Mais ça ? »
Holly et Jerome échangent un regard que Hodges n’a aucun mal à interpréter : Comment lui expliquer ? Comment expliquer un rouge-gorge à quelqu’un qui n’a jamais vu d’oiseau ? Leur regard seul suffirait presque à le convaincre.
« Les adolescents sont sensibles à ce genre de choses, dit Holly. Pas tous, certes, mais beaucoup. Je l’aurais été quand j’avais dix-sept ans.
— Et c’est contagieux, dit Jerome. Une fois que ça commence… si ça commence… »
Il termine avec un haussement d’épaules.
« Nous devons trouver cet engin, ce répéteur, et l’éteindre, dit Hodges. Limiter les dégâts.
— Il est peut-être chez Babineau, dit Holly. Appelle Pete. Demande-lui s’il y a du matériel informatique là-bas. Si oui, demande-lui de tout débrancher.
— S’il est avec Izzy, je vais tomber sur sa boîte vocale », dit Hodges, mais il appelle quand même et Pete répond à la première sonnerie.
Il informe Hodges qu’Izzy est retournée au commissariat avec les SKIDs attendre les premiers rapports du légiste. Bibli Al a déjà été emmené en garde à vue par les premiers flics arrivés sur les lieux qui se verront attribuer une part du mérite.
Pete a la voix lasse.
« On s’est engueulés. Izzy et moi. Méchamment. J’ai essayé de lui dire ce que tu m’as dit quand on a commencé à bosser ensemble : que c’est l’affaire qui commande et qu’on doit aller où elle nous mène. Pas d’esquive, pas de déni, on s’en empare et on remonte le fil rouge jusqu’à son origine. Elle est restée là à m’écouter, les bras croisés, en hochant la tête de temps en temps. Je pensais vraiment avoir réussi à me faire entendre. Et puis tu sais ce qu’elle me demande ? Si je peux lui dire la dernière fois qu’il y a eu une femme à la direction de la police municipale. Je réponds que non et elle me dit que c’est parce que la réponse c’est jamais. Et elle me sort que la première, ce sera elle. Oh, mec, moi qui croyais la connaître. » Pete lâche le rire le plus sinistre que Hodges ait jamais entendu. « Je la croyais engagée dans la police. »
Hodges compatira plus tard, s’il a le temps. Là, il l’a pas. Il pose la question concernant le matériel informatique.
« On n’a rien trouvé à part un iPad avec une batterie morte, dit Pete. Everly, la femme de ménage, dit qu’il avait un ordinateur portable dans son bureau, quasiment neuf, mais il n’y est plus.
— Comme Babineau, commente Hodges. Il l’a peut-être avec lui.
— Peut-être. Souviens-toi, Kermit, si je peux t’aider…
— Je t’appellerai, fais-moi confiance. »
Il veut bien accepter toute l’aide qu’on pourra lui apporter.
21
Avec la fille appelée Ellen, le résultat est rageant — exactement comme avec cette salope de Robinson — mais Brady se calme enfin. Ça a marché, c’est ce qu’il doit se dire. La faible hauteur de la chute, associée à la congère qui l’a amortie, n’était qu’un coup de malchance. Il en chopera plein d’autres. Il a beaucoup de travail en perspective, beaucoup d’allumettes à gratter, mais une fois que le feu brûlera, il pourra se détendre et observer.
Ça brûlera jusqu’à épuisement faute de combustible.
Il démarre la voiture de Z-Boy et quitte l’aire de repos. Alors qu’il intègre la circulation clairsemée qui monte vers le nord par l’I-47, les premiers flocons tourbillonnent dans le ciel blanc et frappent le pare-brise de la Malibu. Brady accélère. Le tas de boue de Z-Boy n’est pas équipé pour affronter une tempête de neige et, dès qu’il aura quitté l’autoroute, l’état de la chaussée empirera. Il doit prendre le mauvais temps de vitesse.
Oh, pas de problème, pense Brady, et un grand sourire lui vient en même temps qu’une merveilleuse idée. Peut-être que Ellen est paralysée à partir du cou, une tête sur un piquet, comme la Stover. C’est peu probable, mais c’est possible, un agréable rêve éveillé pour rendre la route moins longue.
Il allume la radio, se trouve un bon Judas Priest, et monte le son. Comme Hodges, il aime les trucs qui déménagent.
LE PRINCE DU SUICIDE
Brady avait remporté de nombreuses victoires dans la Chambre 217 mais avait dû, par la force des choses, les garder secrètes. Son retour de la mort vivante qu’était le coma ; sa découverte qu’il était capable — grâce au médicament administré par Babineau ou en raison de quelque altération fondamentale de ses ondes cérébrales, ou peut-être une combinaison des deux — de déplacer de menus objets par le simple fait de penser à eux ; l’invasion du cerveau de Bibli Al et la création en lui d’une seconde personnalité, Z-Boy. Sans oublier sa vengeance contre le gros tas de graisse de flic qui l’avait frappé dans les parties alors qu’il ne pouvait pas se défendre. Mais le mieux, le mieux absolu, c’était d’avoir poussé Sadie MacDonald à se suicider. Ça, c’était le pouvoir.
Il avait envie de recommencer.
La question posée par ce désir était simple : qui, ensuite ? Il serait facile de pousser Al Brooks à se jeter du haut d’un pont d’autoroute, ou à avaler du déboucheur d’évier, mais alors Z-Boy disparaîtrait avec lui et sans Z-Boy, Brady resterait coincé dans la Chambre 217, qui n’était vraiment rien de plus qu’une cellule de prison avec vue sur un parking couvert. Non, il avait besoin de Al Brooks exactement là où il était. Et tel qu’il était.