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« Dr Z et son acolyte Z-Boy ! avait dit Freddi en allumant une cigarette. Dans la course pour conquérir le monde ! Mazette. Est-ce que ça fait de moi Z-Girl ? »

Ça, ça ne faisait pas partie de ses directives, aussi avait-il gardé le silence.

« Laissez tomber, j’ai pigé, dit-elle en recrachant la fumée. Votre chef veut un piège visuel. La solution, c’est de convertir l’écran de démo en jeu. Ça devrait être simple. Pas besoin de se perdre dans une tonne de programmation complexe. » Elle souleva le Zappit désormais éteint. « Ce machin a pas vraiment de cervelle.

— Quel genre de jeu ?

— Me demandez pas, mon vieux. Ça, c’est la partie créative. Ça a jamais été mon fort. Dites à votre chef de se débrouiller. De toute façon, une fois que ce machin est allumé et que vous avez un bon signal Wifi, il vous faut installer un kit de dissimulation d’activité. Vous voulez que je vous note ça par écrit ?

— Non. »

Brady avait alloué à cette fin un petit espace de la capacité de stockage mémoire rapidement décroissante de Al Brooks. De plus, quand viendrait l’heure de faire le boulot, ce serait Freddi qui le ferait.

« Une fois que le kit est installé, le code source peut être téléchargé depuis un autre ordinateur. » Elle reprit son accent russe. « Depuis Base Sekrrett’ Zéro sous calotte glaciaire.

— Dois-je lui dire ceci ?

— Non. Dites-lui juste kit plus code source. Pigé ?

— Oui.

— Autre chose ?

— Brady Hartsfield veut que vous reveniez le voir. »

Les sourcils de Freddi montèrent presque jusqu’à la racine de ses cheveux en brosse.

« Il vous parle  ?

— Oui. D’abord c’est dur de le comprendre, mais au bout d’un moment on y arrive. »

Freddi regarda autour d’elle — sa salle de séjour encombrée, plongée dans la pénombre, encore imprégnée des relents de chinois à emporter de la veille — comme si elle y trouvait de l’intérêt. Elle commençait à trouver cette conversation de plus en plus inquiétante.

« Je sais pas, mon vieux. J’ai fait ma BA alors que j’ai jamais été Girl Scout.

— Il vous paiera, dit Z-Boy. Pas beaucoup mais…

— Combien ?

— Cinquante dollars la visite ?

— Pourquoi ? »

Z-Boy l’ignorait mais, en 2013, il restait encore une bonne partie de Al Brooks derrière ce front, et c’est cette partie-là qui comprenait.

« Je crois que… c’est parce que vous avez fait partie de sa vie. Vous savez, quand vous alliez réparer les ordinateurs des gens, tous les deux. Au bon vieux temps. »

Brady ne haïssait pas le Dr Babineau avec la même intensité qu’il haïssait Hodges, mais ça ne signifiait pas que Dr B ne figurait pas sur sa liste de pourris. Babineau l’avait utilisé comme cobaye, ce qui était dégueulasse. Puis il s’était désintéressé de lui quand son médicament expérimental avait semblé inefficace, ce qui était encore plus dégueulasse. Le pire, c’est que dès que Brady avait repris connaissance, les injections avaient recommencé et qui sait l’effet qu’elles avaient ? Elles pouvaient le tuer, mais lui-même ayant jadis envisagé son propre suicide, ce n’était pas ça qui l’empêchait de dormir la nuit. Ce qui le tracassait, c’était que les injections puissent interférer avec ses nouvelles capacités. En public, Babineau se gaussait des pouvoirs supposés de contrôle mental de Brady, mais en fait il y croyait, même si Brady avait eu soin de ne jamais faire la démonstration de ses talents à son médecin en dépit des pressions répétées de celui-ci. Car Babineau croyait aussi que toute capacité psychokinétique était un autre résultat du produit qu’il appelait Cerebellin.

Les examens IRM et TDM avaient également repris.

« Vous êtes la huitième merveille du monde », lui avait dit Babineau après un scanner — c’était à l’automne 2013. Il marchait à côté du fauteuil roulant de Brady qu’un aide-soignant poussait dans le couloir pour le ramener dans la Chambre 217. Babineau arborait ce que Brady appelait intérieurement son sourire de coq. « Les protocoles en cours ont fait plus que suspendre la destruction de vos cellules cérébrales : ils ont stimulé la croissance de cellules nouvelles. Et plus robustes. Vous rendez-vous compte à quel point tout ceci est remarquable ? »

Tu l’as dit, connard, pensa Brady. Alors planque bien le résultat de tes petits scans. Si le bureau du procureur les découvre, je serai mal barré.

Babineau tapota l’épaule de Brady, un geste possessif que Brady détestait. Comme s’il flattait son chien de compagnie.

« Le cerveau humain est constitué d’environ cent milliards de cellules nerveuses. Celles situées dans votre aire de Broca avaient été gravement endommagées, mais elles ont récupéré. En fait, elles ont recréé des neurones comme je n’en ai jamais vu. Un de ces jours, vous allez être célèbre non pas pour avoir supprimé des vies, mais pour avoir aidé à en sauver. »

Si ce jour arrive, se dit Brady, tu seras plus là pour le voir.

Compte là-dessus, duchnok.

La partie créative n’a jamais été mon fort, avait dit Freddi à Z-Boy. Vrai, en revanche ça avait toujours été celui de Brady, et alors que 2014 succédait à 2013, il eut tout le temps de réfléchir aux différentes façons dont l’écran de démo du Fishin’ Hole pourrait être dopé et transformé en piège visuel, comme avait dit Freddi. Mais aucune des solutions envisagées ne semblait être la bonne.

Durant les visites de Freddi, ils ne parlaient pas de l’effet hypnotique des Zappit ; ils passaient surtout leur temps à se souvenir (Freddi se chargeant forcément du gros de la conversation) du bon vieux temps de la Cyber Patrouille. Tous les gens cinglés qu’ils avaient rencontrés au cours de leurs interventions. Et Anthony « Tones » Frobisher, leur con de boss. Freddi revenait constamment à lui, transformant ce qu’elle aurait dû lui dire en ce qu’elle lui avait dit, et sans mâcher ses mots. Les visites de Freddi étaient monotones mais réconfortantes. Elles contrebalançaient ses nuits de désespoir, quand il s’imaginait passer le reste de sa vie confiné dans la Chambre 217, à la merci du Dr Babineau et de ses « injections de vitamines ».

Je dois le stopper, se dit Brady. Je dois le contrôler.

Pour ce faire, la version amplifiée de l’écran de démo devait être parfaitement aboutie. S’il foirait sa première occasion de pénétrer dans l’esprit de Babineau, il n’en aurait peut-être pas une deuxième.

Dans la Chambre 217, la télé était désormais allumée au moins quatre heures par jour. Ceci par décret de Babineau qui avait informé l’infirmière-chef Helmington qu’il « exposait M. Hartsfield à des stimuli externes ».

Le journal du midi, News at Noon, ne dérangeait pas M. Hartsfield (il y avait toujours une explosion excitante ou une tragédie de masse quelque part dans le monde), mais le reste — émissions de cuisine, débats, mauvais feuilletons et faux guérisseurs — n’était que du radotage. Un jour pourtant, alors qu’assis dans son fauteuil près de la fenêtre il regardait Prize Surprise (regardait du moins dans cette direction), il eut une révélation. La candidate qui avait survécu au Tour de Bonus pouvait maintenant gagner un voyage en jet privé à Aruba. Placée devant un écran d’ordinateur géant où de gros points de différentes couleurs se déplaçaient dans tous les sens, elle devait toucher cinq points rouges qui se changeraient aussitôt en chiffres. Si l’addition des chiffres qu’elle faisait apparaître donnait un total compris entre 95 et 105, elle gagnait.