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C’est là que Brady perdit le fil. Une femme nommée Holly Gibney lui avait défoncé le crâne, manquant le tuer ? C’était qui, putain, cette Holly Gibney ? Et pourquoi est-ce que personne lui en avait jamais parlé au cours des cinq ans écoulés depuis qu’elle lui avait éteint ses lumières et l’avait expédié dans cette chambre ? Comment c’était possible ?

Oh, très facile, conclut-il. Quand ça avait fait la une, il était dans le coma. Et plus tard, se dit-il, j’ai simplement présumé que c’était soit Hodges, soit son nègre tondeur de pelouse.

Dès qu’il aurait un moment, il chercherait Gibney sur Internet, mais ce n’était pas elle qui importait. Elle appartenait au passé. Le futur était une idée splendide qui lui était venue comme lui étaient venues toutes ses plus belles inventions : tout entières, achevées, ne requérant pour être parfaites que quelques rares modifications en cours de réalisation.

Il alluma son Zappit, trouva Z-Boy (occupé à distribuer des magazines aux patients dans la salle d’attente de Gynécologie-Obstétrique) et l’expédia à l’ordinateur de la bibliothèque. Puis Brady le fit dégager du siège conducteur et prit le contrôle, courbé en avant, plissant les yeux de myope de Al Brooks pour scruter l’écran. Sur un site web appelé Actifs Faillite 2015, il trouva une liste de tout le bazar que Sunrise Solutions avait laissé dans son sillage. Il y avait du bric-à-brac d’une dizaine de compagnies différentes, rangées par ordre alphabétique. Zappit était la dernière mais, de l’avis de Brady, certainement pas la plus dérisoire. En tête de liste de leurs actifs figuraient 45 872 Zappit Commander, prix de vente conseillé $189.99. Ils étaient vendus par lots de quatre cents, huit cents et mille. En dessous, en lettres rouges, figurait l’avertissement concernant les défauts que présentait une partie de la cargaison, « mais la plupart sont en parfait état de marche ».

L’excitation de Brady mettait à mal le vieux cœur de Bibli Al. Ses mains quittèrent le clavier et se contractèrent en poings. Pousser d’autres survivants du City Center à se suicider devenait dérisoire en comparaison de l’idée grandiose qui s’était emparée de lui : terminer ce qu’il avait commencé ce soir-là au Mingo. Il se voyait déjà écrire à Hodges sous le Parapluie Bleu de Debbie : Tu croyais m’avoir arrêté ? Tu t’es gouré.

Comme ce serait merveilleux !

Il était convaincu que Babineau avait largement de quoi acheter des Zappit pour tous les gens présents ce soir-là, mais comme il allait devoir gérer ses cibles une par une, inutile de prévoir trop grand.

Il se fit amener Babineau par Z-Boy. Babineau ne voulait pas venir. Il avait peur de Brady maintenant, ce que Brady trouvait délicieux.

« Vous allez m’acheter quelques marchandises, lui dit Brady.

— Vous acheter quelques marchandises. »

Docile. Toute peur envolée. Babineau était entré dans la Chambre 217, mais c’était maintenant Dr Z qui se tenait debout, épaules voûtées, devant le fauteuil de Brady.

« Oui. Vous allez déposer de l’argent sur un nouveau compte. Je crois que nous allons le prendre au nom de Gamez Unlimited. Gamez avec un Z.

— Avec un Z. Comme moi. »

Le chef du service Neurologie de Kiner réussit à esquisser un petit sourire hébété.

« Très bien. Disons cent cinquante mille dollars. Vous allez aussi installer Freddi Linklatter dans un nouvel appartement plus grand. Pour qu’elle puisse recevoir les marchandises que vous achèterez et travailler dessus. Elle va avoir du boulot.

— Je vais l’installer dans un nouvel appartement plus grand pour…

— Fermez-la et écoutez-moi. Il va aussi lui falloir plus d’équipement. »

Brady se pencha en avant. Il apercevait un avenir étincelant, un avenir dans lequel Brady Wilson Hartsfield serait couronné vainqueur des années après que le vieux flic s’imaginait avoir remporté la partie.

« L’appareil le plus important s’appelle un répéteur de signal. »

TÊTES ET PEAUX[38]

1

Ce n’est pas la douleur qui réveille Freddi, mais sa vessie. On dirait qu’elle va éclater. Se lever du lit est une opération d’envergure. Ça cogne dans sa tête et elle a l’impression qu’un plâtre recouvre sa poitrine. C’est pas trop douloureux, plutôt rigide et super lourd. Chaque respiration est un épaulé-jeté d’haltérophile.

La salle de bains ressemble à un décor de film gore et dès qu’elle est assise sur la cuvette elle ferme les yeux pour ne pas voir tout le sang. La chance que j’ai d’être en vie, se dit-elle tandis qu’un torrent d’urine — au moins cinquante litres, c’est son impression — s’échappe d’elle. Sacrée chance. Et pourquoi je me retrouve au milieu de ce merdier ? Parce que je lui ai apporté cette photo. Ma mère avait raison, toute bonne action mérite punition.

Mais s’il y a bien un moment pour penser clairement, c’est maintenant, et elle doit s’avouer que ce n’est pas d’avoir apporté la photo à Brady qui l’a menée là, assise dans sa salle de bains pleine de sang avec un hématome à la tête et une blessure par balle dans la poitrine. C’est d’être retournée le voir, et elle est retournée le voir parce qu’on lui a proposé de l’argent pour ça — cinquante dollars la visite. Ce qui fait d’elle une sorte de call-girl, estime-t-elle.

T’as plus d’illusions à te faire. Même si tu pourrais facilement te convaincre que t’as compris seulement quand t’as risqué un œil sur le contenu de la clé USB que Dr Z t’a apportée, celle qui active le site web flippant, tu savais déjà quand t’installais les mises à jour sur tous ces Zappit, hein que tu savais ? Assemblage à la chaîne, quarante à cinquante unités par jour, jusqu’à ce que tous ceux qui ne présentaient pas de défaut soient de vraies mines antipersonnel prêtes à exploser. Près de cinq cents. Tu savais tout du long que c’était signé Brady, et Brady Hartsfield est un malade.

Elle remonte son pantalon, tire la chasse et sort de la salle de bains. La lumière du jour qui entre par la fenêtre de la salle de séjour est voilée mais elle lui fait quand même mal aux yeux. Elle les plisse, voit qu’il commence à neiger et traîne les pieds jusqu’à la cuisine, chaque respiration exigeant d’elle un travail laborieux. Son frigo contient surtout des boîtes avec des restes de chinois à emporter, mais il y a quelques canettes de Red Bull dans la porte. Elle en sort une, en lampe la moitié et se sent un peu mieux. Sûrement un effet psychologique mais elle va pas cracher dessus.

Qu’est-ce que je vais faire ? Bon Dieu, comment je vais me sortir de ce merdier ? Y a-t-il seulement une façon de s’en sortir ?

Elle va dans son antre informatique, traînant les pieds un peu plus vite maintenant, et allume son écran. Elle passe par Google pour arriver à Z-End, espérant tomber sur le personnage de dessin animé maniant sa pioche, et son cœur plonge dans sa poitrine lorsque l’image d’un salon funéraire éclairé de cierges emplit l’écran — exactement ce qu’elle a vu quand elle a ouvert la clé USB et regardé l’écran de démarrage au lieu de tout importer sans regarder comme elle en avait reçu l’instruction. Une chanson débile de Blue Oyster Cult passe en fond.

Elle fait défiler les messages placés en dessous du cercueil, chacun palpitant comme un lent battement de cœur (LA FIN DE LA SOUFFRANCE, LA FIN DE LA PEUR) et clique sur POSTER UN COMMENTAIRE. Freddi ignore depuis combien de temps ce comprimé de poison électronique a commencé à agir mais il a déjà généré des centaines de commentaires.

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38

En anglais : Heads and Skins (trophées de chasse). C’est également le nom des éléments modifiables des personnages du jeu vidéo Borderlands (Têtes et Apparences dans la version française du jeu).