Выбрать главу

Bedarkened77 : Ce site ose dire la vérité !

AliceAlways401 : J’aimerais avoir le courage de le faire, c’est tellement la merde chez moi en ce moment.

VerbenaTheMonkey : Supportez la souffrance, vous tous, le suicide c’est lâche !

KittycatGreeneyes : Non, le suicide c’est pas lâche, c’est courageux.

Verbena le Singe n’est pas le seul (ou la seule) à s’insurger, mais Freddi n’a pas besoin de faire défiler tous les commentaires pour s’apercevoir qu’il ou elle fait largement partie de la minorité. Ce truc va se répandre comme la grippe, pense Freddi.

Non, plutôt comme le virus Ebola.

Elle lève les yeux vers le répéteur juste à temps pour voir TROUVÉ 171 passer à 172. La nouvelle se propage vite et dès ce soir la plupart des Zappit trafiqués auront été activés. L’écran de la démo les hypnotise et les rend réceptifs. À quoi ? Ben, à l’idée qu’ils devraient visiter le site Z-End, pour commencer. Ou alors, les utilisateurs de Zappit n’auront même pas besoin de ça. Peut-être qu’ils s’anéantiront avant. Est-ce qu’ils peuvent obéir à un ordre hypnotique leur intimant de se foutre en l’air ? Non, sûrement que non, hein ?

Hein ?

Freddi n’ose pas débrancher le répéteur de crainte d’une visite retour de Brady, mais le site ?

« Toi, tu dégages, enculé », dit-elle et elle se met à marteler son clavier.

Moins de trente secondes plus tard, elle fixe, incrédule, le message affiché sur son écran : CETTE FONCTION N’EST PAS AUTORISÉE. Elle va pour recommencer, mais s’interrompt. Pour ce qu’elle en sait, une autre tentative d’accès au site risque de tout lui désintégrer — pas seulement son matériel informatique mais aussi ses cartes de crédit, son compte en banque, son téléphone portable, peut-être même son permis de conduire. S’il y a bien quelqu’un qui sait programmer une saloperie diabolique pareille, c’est Brady.

Merde. Faut que je me tire d’ici.

Elle va jeter quelques fringues dans une valise, appeler un taxi, filer à la banque et retirer tout le fric qu’elle a. Il doit lui rester au moins quatre mille dollars. (Au fond de son cœur, elle sait que c’est plus près de trois mille.) De la banque, direction la gare routière. La neige qui tourbillonne derrière la fenêtre est censée être le début d’une grosse tempête, ce qui pourrait prévenir une fuite rapide, mais si elle doit attendre plusieurs heures à la gare, elle attendra. Merde, si elle doit y dormir, elle y dormira. Tout ça, c’est Brady. Il a programmé un protocole sophistiqué à la Jonestown dont les Zappit trafiqués ne sont qu’un élément, et elle l’a aidé à le faire. Freddi ne sait pas du tout s’il va fonctionner, et elle n’a aucune envie de rester dans les parages pour vérifier. Elle est désolée pour les gens qui risquent de se faire hypnotiser par leur Zappit et ceux qui risquent d’être poussés au suicide par ce putain de site Z-End au lieu de seulement y penser, mais il faut d’abord qu’elle s’occupe de bibi. Personne ne le fera pour elle.

Freddi retourne dans sa chambre aussi vite qu’elle peut. Elle sort sa vieille Samsonite du placard et là, le manque d’oxygène dû à sa respiration superficielle et à l’excès d’adrénaline lui change les jambes en coton. Elle parvient à atteindre le lit, s’y assoit, penche la tête.

Doucement, se dit-elle. Reprends ton souffle. Une chose après l’autre.

Sauf qu’à cause de sa stupide tentative pour planter le site, elle ignore de combien de temps elle dispose, et quand son portable se met à jouer Boogie Woogie Bugle Boy sur sa commode, elle lâche un petit cri. Freddi n’a pas envie de répondre, mais elle se lève quand même. Des fois, il vaut mieux en avoir le cœur net.

2

La neige est encore fine quand Brady quitte l’autoroute à la sortie 7, mais sur la nationale 79 — il est en pleine cambrousse à présent —, elle se met à tomber un peu plus dru. L’asphalte humide est encore visible mais la neige ne va pas tarder à s’accumuler sur la chaussée et il est encore à soixante kilomètres de l’endroit où il compte se réfugier et se mettre au travail.

Lac Charles, pense-t-il. Où le vrai plaisir commence.

C’est alors que l’ordinateur portable de Babineau se réveille et carillonne trois fois — une alerte que Brady a programmée. Parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Il n’a pas le temps de s’arrêter, non, pas alors qu’il tente de prendre de vitesse une foutue tempête de neige, mais il ne peut pas non plus se permettre d’ignorer l’alerte. Devant lui sur la droite se profile un bâtiment barricadé avec des planches. Sur le toit, deux pin-up métalliques en bikini rouillé brandissent une pancarte proclamant PORNO PALACE, XXX, NOUS OSONS LE NU. Au milieu du parking en terre battue — que la neige commence à saupoudrer de sucre glace — il y a un panneau À VENDRE.

Brady s’y engage, s’arrête sans couper le moteur et ouvre l’ordinateur portable. Le message affiché à l’écran entame sérieusement sa bonne humeur.

11H04 : TENTATIVE NON AUTORISÉE
DE MODIFICATION/SUPPRESSION DE Z-END.COM
REFUSÉE
SITE ACTIF

Il ouvre la boîte à gants de la Malibu et le téléphone portable esquinté de Al Brooks est bien là où il le rangeait toujours. Bien, parce que Brady a oublié d’emporter celui de Babineau.

Hé, ho, se dit-il, on peut pas penser à tout, et puis j’étais très occupé.

Il ne se fatigue pas à ouvrir les contacts, il compose juste de mémoire le numéro de Freddi. Elle n’en a pas changé depuis la vieille époque de Discount Electronix.

3

Quand Hodges s’excuse pour aller aux toilettes, Jerome attend qu’il ait passé la porte pour rejoindre Holly, debout à la fenêtre, qui regarde la neige tomber. Il fait encore jour, ici en ville, les flocons dansent dans l’air et semblent défier la gravité. Holly a de nouveau croisé ses bras sur sa poitrine pour pouvoir cramponner ses épaules.

« C’est très grave ? demande Jerome à voix basse. Parce qu’il n’a pas bonne mine.

— C’est le cancer du pancréas, Jerome. Tu connais quelqu’un qui a bonne mine avec ce cancer-là ?

— Tu crois qu’il va pouvoir tenir la journée ? Parce qu’il veut tenir, et je crois vraiment qu’il aurait bien besoin de refermer le livre.

— Le livre Brady Hartsfield, tu veux dire. Toufu Brady Hartsfield. Même s’il est mort.

— Oui, c’est ce que je veux dire.

— Je crois que c’est très grave. » Elle se retourne et se force à croiser son regard, et c’est quelque chose qui lui donne toujours l’impression de se mettre à nu. « Tu as vu comment il porte toujours la main à son flanc ? »

Jerome fait oui de la tête.

« Il fait ça depuis des semaines en disant que c’est digestif. Il a été voir le médecin seulement parce que je l’ai harcelé. Et quand il a su ce qu’il avait, il a essayé de mentir.

— Tu n’as pas répondu à ma question ? Est-ce qu’il va pouvoir tenir la journée ?

— Je crois, oui. Je l’espère. Parce que tu as raison, il en a besoin. Mais il faut qu’on le seconde. Tous les deux. » Elle lâche une de ses épaules pour lui saisir le poignet. « Promets-moi, Jerome. De pas renvoyer la petite maigrichonne chez elle pour que les garçons puissent jouer tout seuls dans la cabane en haut de l’arbre. »