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Il détache sa main de son poignet et la serre gentiment.

« T’inquiète pas, Hollyberry. Personne ne va faire éclater le groupe. »

4

« Allô ? C’est vous, docteur Z ? »

Brady n’a pas le temps de jouer au plus malin. La neige épaissit de seconde en seconde et la Malibu pourrie de Z-Boy, sans pneus neige et avec près de deux cent mille bornes au compteur, ne sera pas de taille face à la tempête quand elle aura commencé à se déchaîner. En d’autres circonstances, il voudrait savoir comment il se fait qu’elle soit encore en vie, mais comme il ne peut pas faire demi-tour pour rectifier le tir, la question se pose même pas.

« Tu sais qui c’est et moi je sais ce que t’as essayé de faire. Recommence et je t’envoie les types qui surveillent ton immeuble. T’as de la chance d’être en vie, Freddi. Si j’étais toi, je tenterais pas le sort une deuxième fois.

— Je regrette. »

Elle chuchote presque. C’est plus la gonzesse enragée moi-j’t’emmerde-et-j’emmerde-ta-mère avec qui Brady bossait à la Cyber Patrouille. Mais elle est pas encore brisée sans quoi elle aurait pas essayé de foutre en l’air son matos informatique.

« As-tu parlé à quelqu’un ?

— Non ! »

Elle a l’air horrifiée à cette idée. C’est bien qu’elle soit horrifiée.

« Tu comptes le faire ?

— Non !

— C’est la bonne réponse, parce que si tu le fais, je le saurai. T’es sous surveillance, Freddi. Souviens-t’en. »

Il coupe la communication sans attendre de réponse, plus furieux parce qu’elle est en vie que pour ce qu’elle a essayé de faire. Croira-t-elle que des types fictifs surveillent son immeuble alors qu’il l’a laissée pour morte ? Oui, il le pense. Elle a eu affaire à Dr Z aussi bien qu’à Z-Boy ; qui sait combien d’autres drones il a sous ses ordres ?

Dans tous les cas, il ne peut plus y faire grand-chose. Brady a longtemps reproché ses problèmes aux autres et maintenant il reproche à Freddi de ne pas être morte quand elle aurait dû.

Il enclenche le levier de vitesse de la Malibu et appuie sur le champignon. Les pneus dérapent sur le mince tapis de neige qui recouvre le parking du Porno Palace défunt mais adhèrent une fois revenus sur l’asphalte de la nationale où les bas-côtés sont en train de virer au blanc. Brady pousse la voiture de Z-Boy à cent. Bientôt ce sera trop vite pour les conditions météo, mais il est décidé à garder l’aiguille calée là aussi longtemps qu’il pourra.

5

Finders Keepers partage les toilettes du septième étage avec l’agence de voyages mais pour l’instant, Hodges a la partie hommes pour lui tout seul, et il en est reconnaissant. Il est penché au-dessus d’un des lavabos, main droite agrippée au rebord de faïence, main gauche pressée contre son flanc. Sa ceinture est encore dégrafée et son pantalon pend un peu en dessous de ses hanches sous le poids du contenu de ses poches : petites pièces, clés, porte-monnaie, téléphone.

Il est venu ici pour chier, une fonction d’excrétion ordinaire qu’il a pratiquée toute sa vie, mais quand il a commencé à pousser, une explosion nucléaire s’est produite dans son flanc gauche. À côté, sa douleur antérieure ressemblait à des notes d’échauffement avant que le concert lui-même commence, et si ça fait aussi mal maintenant, il a peur de penser à ce qui l’attend.

Non, se dit-il, peur n’est pas le mot qui convient. C’est terreur. Pour la première fois de ma vie, je suis terrifié par l’avenir. Quand tout ce que je suis, tout ce que j’ai pu être sera d’abord submergé, puis effacé. Et si c’est pas la douleur elle-même qui s’en charge, alors ce seront les drogues plus lourdes qu’ils me donneront pour la calmer.

Maintenant il comprend pourquoi le cancer du pancréas est appelé cancer furtif, et pourquoi il est quasiment toujours mortel. Il s’embusque, rassemblant ses troupes et envoyant des émissaires secrets aux poumons, aux ganglions lymphatiques, aux os, au cerveau. Puis il lance la guerre éclair, sans comprendre, dans sa rapacité stupide, qu’il ne récoltera que sa propre mort dans la victoire.

Sauf que c’est peut-être ce qu’il désire, se dit Hodges. Peut-être que c’est de la haine de soi, avec laquelle naît le désir non pas d’assassiner son hôte mais de se tuer soi. Ce qui fait du cancer l’authentique prince du suicide.

Il se délivre d’un long rot sonore et se sent un peu mieux, va savoir pourquoi. Ça ne durera pas, mais tout soulagement, même passager, est bon à prendre. Il secoue son flacon d’antidouleurs pour en extraire trois comprimés (déjà, il trouve que c’est comme tenter d’arrêter la charge d’un éléphant avec un pistolet à bouchon) et les avale avec l’eau du robinet. Puis il s’asperge le visage d’un peu d’eau froide, essayant de se redonner un peu de couleurs. Comme ça ne marche pas, il se gifle violemment — deux bonnes baffes sur chaque joue. Ni Holly ni Jerome ne doivent savoir à quel point ça s’est aggravé. On lui a promis cette journée et il compte en utiliser chaque minute. Jusqu’aux douze coups de minuit s’il le faut.

Il sort des toilettes, se rappelant à lui-même de se tenir droit et d’éviter de presser son flanc, quand son téléphone se met à vibrer. Pete prêt à reprendre son marathon anti-salope, se dit-il. Mais non, ce n’est pas lui. C’est Norma Wilmer.

« J’ai trouvé ce fameux fichier, annonce-t-elle. Que feu la vénérable Ruth Scapelli…

— Oui, dit-il. La liste des visiteurs. Qui y a-t-il dessus ?

— Il n’y a aucune liste. »

Il s’appuie contre le mur et ferme les yeux.

« Ah, mer…

— Mais il y a une note de service à en-tête de Babineau qui dit, je cite, “Frederica Linklatter admise pendant les heures de visite et en dehors. Sa présence facilite la guérison de B. Hartsfield.” Ça peut vous aider ? »

Une fille avec une coupe en brosse de Marine, se dit Hodges. Une nana masculine toute tatouée.

Sur le moment, ça lui avait vaguement dit quelque chose, et il sait tout à coup pourquoi. Il a rencontré une fille maigrichonne avec une coupe en porte-avions en 2010, à Discount Electronix, quand Jerome, Holly et lui refermaient les mailles du filet sur Brady. Six ans après, il se souvient encore de sa remarque : C’est rapport à sa mère, je vous parierais n’importe quoi. Il est pas clair avec elle.

« Vous êtes toujours là ? »

Norma a l’air agacé.

« Ouais, mais il faut que j’y aille.

— Vous n’aviez pas dit qu’il y aurait un peu plus d’argent si…

— Ouais. Je penserai à vous, Norma. »

Et il raccroche.

Les comprimés font leur travail et il parvient à retourner au bureau d’une démarche assez rapide. Holly et Jerome sont à la fenêtre surplombant Marlborough Street et il parierait, à voir leur mine quand ils se retournent en entendant la porte s’ouvrir, qu’ils étaient en train de parler de lui, mais il n’a pas de temps à perdre à penser à ça. Ni à le ruminer. Ce à quoi il pense, c’est à ces Zappit trafiqués. La question qui se pose, depuis le moment où ils ont commencé à piger tout le truc, c’est comment Brady, cloué dans une chambre d’hôpital et à peine capable de marcher, a pu jouer un rôle quelconque dans leur modification. Mais il connaissait quelqu’un, n’est-ce pas ? Quelqu’un possédant les compétences requises pour le faire à sa place. Quelqu’un avec qui il avait travaillé naguère. Quelqu’un qui venait lui rendre visite au Bocal, avec l’accord écrit de Babineau. Une nana, style punk, pas mal tatouée et plutôt grande gueule.