« Le visiteur de Brady — la visiteuse, sa seule visiteuse — était une jeune femme du nom de Frederica Linklatter. Elle…
— La Cyber Patrouille ! » Holly l’a presque hurlé. « Il travaillait avec elle !
— Exact. Il y avait aussi un troisième larron — leur boss, je crois bien. Est-ce que l’un de vous se rappelle son nom ? »
Holly et Jerome se regardent et secouent la tête.
« Ça fait longtemps, Bill, dit Jerome. Et on se concentrait sur Hartsfield à l’époque.
— Oui. Si je me souviens de Linklatter, c’est qu’elle était du genre inoubliable.
— Je peux utiliser ton ordinateur ? demande Jerome. Je vais essayer de retrouver le gars pendant que Holly cherche l’adresse de la fille.
— Vas-y, te gêne pas. »
Holly a déjà rejoint le sien. Assise droite comme un I, elle tape furieusement. Elle parle aussi à voix haute comme elle le fait souvent quand elle est profondément absorbée par sa tâche.
« Merdre… Pas d’adresse ni de numéro de téléphone dans les pages blanches… J’aurais dû m’en douter, beaucoup de femmes seules n’ont pas… attends, pas besoin du toufu téléphone… j’ai sa page Facebook…
— Je me fous un peu de ses photos de vacances et de savoir combien elle a d’amis, lui dit Hodges.
— Tu es sûr de ça ? Parce qu’elle a seulement six amis et l’un d’entre eux est Anthony Frobisher. Je suis quasiment sûre que c’était le nom du…
— Frobisher ! crie Jerome depuis le bureau de Hodges. Anthony Frobisher était le troisième larron de la Cyber Patrouille !
— Je t’ai battu, Jerome », dit Holly. Elle arbore un petit sourire fiérot. « Encore. »
6
Contrairement à Frederica Linklatter, Anthony Frobisher figure dans les pages blanches, sous son nom et sous celui de Votre Cyber Gourou. Les deux numéros de téléphone sont identiques : un portable, suppose Hodges. Il chasse Jerome de son fauteuil de bureau et s’y installe, lentement et précautionneusement. L’explosion de douleur qu’il a ressentie sur les toilettes est encore fraîche dans son esprit.
Ça décroche à la première sonnerie.
« Cyber Gourou Tony Frobisher, j’écoute. Que puis-je pour vous ?
— Monsieur Frobisher, ici Bill Hodges. Vous ne vous souvenez sans doute pas de moi mais…
— Oh que si, je me souviens parfaitement de vous. » Le ton de Frobisher est méfiant. « Que voulez-vous ? Si c’est à propos de Hartsfield…
— C’est au sujet de Frederica Linklatter. Auriez-vous son adresse actuelle ?
— Freddi ? Pourquoi diable est-ce que j’aurais son adresse ? Je ne l’ai pas revue depuis la fermeture de Discount Electronix.
— Vraiment ? D’après sa page Facebook, vous êtes amis. »
Frobisher lâche un rire incrédule.
« Elle a qui d’autre dans sa liste ? Kim Jong-un ? Charles Manson ? Écoutez, monsieur Hodges, cette garce grande gueule a zéro ami. Son seul pseudo-ami c’était Hartsfield, et je viens de recevoir une notification push sur mon téléphone comme quoi il est mort. »
Hodges n’a aucune idée de ce qu’est une notification push et aucune envie de s’instruire. Il remercie Frobisher et raccroche. Il soupçonne qu’aucun des six amis Facebook de Freddi Linklatter n’est réel, qu’elle les a juste ajoutés pour éviter de se sentir comme une totale paria. Holly aurait pu faire la même chose à une époque révolue de sa vie, mais aujourd’hui elle a réellement des amis. Elle a de la chance, et ses amis aussi. Ce qui ne répond pas à sa question : comment il fait maintenant pour localiser Freddi ?
Leur boîte, à Holly et lui, ne s’appelle pas Finders Keepers pour rien, mais la plupart de leurs moteurs de recherche spécialisés sont conçus pour localiser des gens peu recommandables, avec des amis peu recommandables, des casiers judiciaires chargés et des avis de recherche colorés. Sûr, il peut la retrouver — en cette ère informatique, peu de gens arrivent à disparaître complètement du radar — mais il faut qu’il fasse vite. Chaque fois qu’un gamin allume un de ces Zappit gratuits, il télécharge des poissons roses, des flashs bleus et — d’après l’expérience vécue par Jerome — des messages subliminaux suggérant qu’une visite sur Z-End s’impose.
C’est toi le détective. Détective cancéreux, certes, mais détective quand même. Alors laisse tomber toutes les pensées annexes et détecte.
D’accord. Mais c’est dur. La pensée de tous ces gamins — que Brady a déjà essayé de tuer au concert des ’Round Here — n’arrête pas d’interférer. La sœur de Jerome en faisait partie, et sans Dereece Neville, Barbara pourrait être morte à l’heure qu’il est au lieu d’avoir seulement une jambe dans le plâtre. Peut-être que sa console était un prototype d’essai. Et celle de Mme Ellerton aussi. Ce serait logique. Mais maintenant il y a tous ces autres Zappit dans la nature, un raz-de-marée, et ils ont bien dû atterrir quelque part, nom de Dieu.
Enfin, une lumière s’allume dans son cerveau.
« Holly ! Il me faut un numéro de téléphone ! »
7
Todd Schneider, affable, est au bureau.
« On annonce une belle tempête par chez vous, monsieur Hodges.
— Il paraît.
— Votre chasse aux consoles défectueuses porte ses fruits ?
— C’est précisément la raison de mon appel. Auriez-vous conservé l’adresse de livraison de cette grosse commande de Zappit Commander ?
— Oui, bien sûr. Puis-je vous rappeler quand je l’aurai retrouvée ?
– Ça vous dérange si je patiente ? C’est assez urgent.
— Une affaire de droit des consommateurs urgente ? » Schneider a l’air perplexe. « Voilà qui ferait presque anti-américain. Laissez-moi voir ce que je peux faire. »
Un clic et Hodges est mis en attente, avec un ruissellement de cordes apaisantes qui n’ont rien d’apaisant. Holly et Jerome sont tous les deux là, agglutinés à son bureau. Hodges se domine pour ne pas porter la main à son flanc. Les secondes s’étirent et se changent en minutes. Une, puis deux. Hodges se dit, Soit il est en train de répondre à un autre appel et m’a oublié, soit il la trouve pas.
La musique d’attente disparaît.
« Monsieur Hodges ? Vous êtes toujours là ?
— Oui, toujours.
— J’ai l’adresse. C’est Gamez Unlimited — Gamez avec un z, vous vous souvenez — au 442 Maritime Drive. À l’attention de Mme Frederica Linklatter. Ça peut vous aider ?
— Absolument. Je vous remercie, monsieur Schneider. »
Il raccroche et regarde ses deux associés, l’une mince et d’une blancheur hivernale, l’autre noir et baraqué par son travail de manœuvre en Arizona. Avec sa fille Allie, qui vit maintenant à l’autre bout du pays, ce sont les deux êtres qu’il aime le plus en cette extrémité de sa vie.
Il leur dit : « On est parti, les enfants. »
8