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Holly reprend :

« Je suis sûre que Babineau en connaît un rayon sur le cerveau humain, mais je doute fort qu’il soit assez calé en informatique pour verrouiller un site web comme ça.

— J’ai juste été embauchée comme assistante, dit Freddi. C’est Z-Boy qui m’a apporté le programme pour reconfigurer les Zappit. Il l’avait recopié sur un bout de papier comme une recette de gâteau, et je vous parierais mille dollars que tout ce qu’il sait sur les ordinateurs c’est comment les allumer — à condition qu’il trouve le bouton Marche/Arrêt — et naviguer sur ses sites porno préférés. »

Sur ce point, Hodges la croit. Il n’est pas sûr que la police fera de même quand ils finiront par mettre la main sur tout ce matos, mais Hodges la croit, oui. En plus… Fais pas ta Miss Jolis Yeux Gris.

Ça, ça l’a blessé. Ça l’a blessé comme c’est pas possible.

« Et puis, dit Freddi, il y avait deux points de suspension après chaque ligne de commande. Brady avait l’habitude d’écrire ses programmations comme ça. Je crois qu’il avait appris à le faire en cours d’informatique au lycée. »

Holly saisit Hodges par les poignets. Elle a du sang sur une main. En plus de tous ses tics et ses tocs, Holly est une obsédée de la propreté, et qu’elle ait négligé de se laver scrupuleusement les mains après avoir soigné la blessure de Freddi en dit long sur sa féroce résolution à résoudre cette affaire.

« Babineau donnait des médicaments expérimentaux à Brady, ce qui est contraire à l’éthique, mais c’est tout ce qu’il faisait, parce que la seule chose qui l’intéressait c’était de le faire sortir du coma.

— Tu ne peux pas en être absolument sûre », dit Hodges.

Elle le tient toujours, et plus par le regard que par les mains. Comme elle répugne généralement au contact visuel, il est facile d’oublier combien son regard peut être intense quand elle pousse l’ampli jusqu’à onze.

« En fait, la seule vraie question, poursuit Holly, c’est qui est le prince du suicide dans l’histoire ? Felix Babineau ou Brady Hartsfield. »

Freddi parle d’une voix rêveuse, un peu chantante :

« Des fois Dr Z était juste Dr Z et des fois Z-Boy était juste Z-Boy, sauf que dans ces cas-là c’était comme s’ils étaient shootés tous les deux. Mais quand ils étaient bien réveillés, c’était pas eux. Quand ils étaient bien réveillés, c’était Brady en eux. Croyez ce que vous voudrez, mais c’était lui. C’est pas juste les deux points de suspension, ni l’écriture penchée en arrière, c’est tout. J’ai bossé avec cet enculé de pervers. Je le sais. »

Elle entre dans la chambre.

« Et maintenant, si vous autres, détectives amateurs, n’y voyez pas d’inconvénient, je vais me rouler un autre joint. »

16

Sur les jambes de Babineau, Brady arpente la grande salle du camp Têtes et Peaux. Il réfléchit furieusement. Il veut retourner dans le monde Zappit, se choisir une nouvelle cible et répéter cette délicieuse expérience qui consiste à pousser quelqu’un par-dessus bord, mais il doit être calme et serein pour ça, et il est loin de l’être.

Hodges.

Hodges dans l’appartement de Freddi.

Et Freddi crachera-t-elle le morceau ? Dites, voisins et amis, le soleil se lève-t-il à l’est ?

Deux questions se posent, du point de vue de Brady. Hodges peut-il ou non démanteler le site web ? Et Hodges peut-il ou non le retrouver, lui, perdu ici en pleine pampa ?

Brady pense que la réponse aux deux questions est oui, mais plus il provoquera de suicides entre-temps, plus Hodges en souffrira. Quand il regarde les choses sous cet angle, il se dit que si Hodges se ramenait ici, ça pourrait être pas mal finalement. Ça pourrait lui donner l’occasion de presser des citrons. Dans tous les cas, il a le temps. Il est à plusieurs dizaines de kilomètres au nord de la ville et il a la tempête hivernale Eugénie de son côté.

Brady reprend l’ordinateur et a la confirmation que Z-End est toujours actif. Il vérifie le décompte des visiteurs. Plus de neuf mille maintenant et la plupart d’entre eux (quoique certainement pas tous) seront des adolescents intéressés par le suicide. Intérêt porté à son comble en janvier et février, quand la nuit tombe tôt et que le printemps semble devoir ne jamais arriver. Et puis, il a Zappit Zéro, avec lequel il peut travailler personnellement sur plein de gosses. Avec Zappit Zéro, les atteindre est aussi facile que flinguer des poissons dans un tonneau.

Des poissons roses, se dit-il, et il ricane.

Brady prend son Zappit et l’allume, plus calme maintenant qu’il entrevoit un moyen de régler son compte au vieux flic, si ce dernier s’avise de se pointer comme la cavalerie dans la dernière bobine d’un western de John Wayne. Tandis qu’il examine les poissons, un fragment de poème appris au lycée lui revient et il le dit à voix haute :

« Oh, chasse cette pensée parasite, et allons faire notre visite[41] ».

Il ferme les yeux. Le ballet de poissons roses devient un ballet de points rouges, tous ex-spectateurs d’un concert d’antan qui au même moment regardent leur Zappit gratuit dans l’espoir de remporter des prix.

Brady en choisit un, l’immobilise et le regarde s’épanouir.

Comme une rose.

17

« Oui, bien sûr qu’ils ont une brigade d’informatique légale, dit Hodges en réponse à la question de Holly. Si tu veux appeler brigade une équipe de trois gus à mi-temps. Et non, ils m’écouteront pas. Je suis rien de plus qu’un civil aujourd’hui. »

Mais ce n’est pas ça le pire. Il est un civil qui a été flic et quand un flic à la retraite se mêle des affaires de ses collègues en service, on appelle ça un tonton. Et c’est pas un terme respectueux.

« Alors appelle Pete et demande-lui de le faire, dit Holly. Parce que ce toufu site de suicide doit disparaître. »

Tous deux sont revenus dans la version de Mission Control de Freddi Linklatter. Jerome est dans la salle de séjour avec Freddi. Hodges ne la croit pas en état de s’enfuir — Freddi est terrorisée par les types, probablement fictifs, postés devant son immeuble — mais le comportement des fumeurs de hasch est imprévisible. Outre celui qui les pousse habituellement à vouloir se défoncer encore plus, bien sûr.

« Appelle Pete. Qu’il demande à un de leurs bidouilleurs informatiques de m’appeler. N’importe quel informaticien pas trop neuneu doit être capable de lancer une attaque DoS sur le site pour le neutraliser.

— Une attaque d’os ?

— D majuscule, o minuscule, S majuscule. Ça signifie déni de service. Il faut que le gars se connecte à un botnet et… » Elle voit l’expression perplexe de Hodges et corrige : « Oublie. L’idée c’est d’inonder le site de requêtes de service — des milliers, des millions. Pour étouffer cette saloperie de truc et faire planter le serveur.

— On peut faire ça ?

— Moi non, et Freddi non plus, mais un hacker de la police aura accès à davantage de puissance informatique. Et si le système de la police n’est pas suffisant, il demandera à la Sécurité Intérieure de s’en charger. Parce que c’est une question de sécurité intérieure, non ? Des vies sont en jeu. »

C’est indiscutable et Hodges passe l’appel mais le portable de Pete est sur messagerie. Il essaie ensuite sa vieille copine Cassie Sheen mais l’officier à la réception lui dit que la mère de Cassie a eu un genre de crise de diabète ou quelque chose et Cassie l’a emmenée chez le médecin.

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41

Extrait du poème de T.S. Eliot : La Chanson d’amour de J. Alfred Prufrock.