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Avec colère, Hieronyma jeta une pièce sur le comptoir et se disposait à partir quand Fiora l’arrêta :

– Tu ne peux sortir ainsi, cousine ! Demande au moins à messer Landucci un onguent pour dissimuler cet œil. Il en a de miraculeux... fit-elle innocemment.

Hieronyma ne le prit pas ainsi. Toisant la jeune fille, elle jeta si furieusement que l’on crut entendre siffler une vipère :

– Mon voile devrait y suffire. Quant à toi, vile bâtarde qui te permet de me traiter en égale, ôte-toi de mon chemin !

Fiora n’était pas fille à se laisser insulter sans répondre :

– Tu n’oserais pas répéter cela devant mon père ! Avec lui tu es sucre et miel et ici tu es chez un ami de mon père.

– Écoutez-la jacasser ! ricana l’autre. C’est une princesse que cette fille, ma parole...

– Je suis plus qu’une princesse puisque je suis la fille de Francesco Beltrami...

– Tu en es bien sûre ?

Si la question perfide troubla Fiora, elle n’en laissa rien paraître. Redressant fièrement la tête, elle lança :

– Mon père, lui, en est sûr ! C’est plus que n’en pourraient dire certains autres hommes...

Cornelia Donati qui s’était remise du choc du bocal vint se ranger aux côtés de la jeune fille.

– Ne te mêle donc pas de discuter avec cette vipère, petite ! Ton père est homme de bien, on le sait. On l’estime. On n’en dit pas toujours autant des Pazzi. Passe ton chemin, Hieronyma ! Nous t’avons assez vue.

– Je pars mais nous nous retrouverons, Cornelia Donati ! Quant à celle-là, le jour est proche où je la tiendrai à merci dans ma maison et où elle saura ce qu’il en coûte de me défier publiquement.

Et elle sortit dans un grand envol de voiles et de drap violets, sa couleur favorite parce qu’elle estimait qu’elle seyait particulièrement à son opulente blondeur. Laissés à eux-mêmes, les occupants de la boutique s’entre-regardèrent stupéfaits par la dernière sortie de Hieronyma :

– Qu’est-ce qu’elle a voulu dire par là ? demanda Chiara. Je ne vois pas bien comment elle pourrait tenir Fiora en sa maison ?

– A moins de lui faire épouser son fils ? susurra Cornelia...

– Cet affreux gnome, bossu et bancal ? s’indigna Chiara. Il faudrait que messer Francesco fût devenu fou... ce qu’il ne sera jamais.

– C’est pourtant ce qu’elle souhaite, dit la grosse Colomba. Une de ses servantes m’en a touché deux mots l’autre jour chez le marchand de chandelles. Donna Hieronyma estime que c’est le meilleur moyen pour que la fortune des Beltrami demeure dans la famille. Chacun sait, en effet, que donna Fiora est l’héritière de son père...

– Ce qui n’est que justice ! affirma Cornelia Donati. Mais je conçois que la Hieronyma guigne cette fortune qui, sans Fiora, lui revenait. On ne se résigne pas facilement à une telle perte. D’autant que son défunt époux n’étant pas le fils aîné, elle n’a pas grand-chose à attendre du vieux Jacopo. La part qu’il laissera ira au malheureux Pietro. Cela ne fera pas grand-chose pour lui et sa mère...

Fiora ne disait rien. Elle était figée d’horreur à la simple pensée de ce qu’elle pourrait devenir aux mains de cette femme. De cette femme qui avait parlé comme si elle était sûre de son fait. Heureusement, Léonarde s’en aperçut et entoura ses épaules d’un bras protecteur :

– N’allez pas vous mettre martel en tête, mon cœur ! Il arrive à tout le monde de faire des rêves impossibles. Celui de donna Hieronyma restera ce qu’il est : un rêve...

Mais elle n’était pas trop rassurée elle-même car elle n’avait pas aimé la petite phrase qui laissait supposer que Beltrami pourrait n’être pas le père de Fiora. Elle se rassura cependant : pour savoir la vérité, il faudrait que cette Hieronyma fût le diable, ou tout au moins sa fille. Elle se promit tout de même d’en dire un mot à Beltrami.

Désireux d’alléger une atmosphère qu’il jugeait tout à fait néfaste à son commerce, le bon Landucci offrit à ces dames un doigt de vin de Chypre pour leur faire oublier le moment désagréable qu’elles venaient de vivre chez lui.

– Moi j’ai trouvé cela plutôt amusant, dit Chiara.

– Pas moi ! fit l’apothicaire. Donna Hieronyma pourra se chercher un autre fournisseur. Je ne la recevrai plus.

– Dans ce cas, il n’y a vraiment aucune raison pour que je n’achète pas cet incarnat ? fit Cornelia qui ne perdait pas de vue la cause de la bataille. Je l’ai conquis de haute lutte, il me semble.

– Il me semble à moi aussi, dit Landucci en riant. Et il ordonna à l’un de ses garçons d’emballer le petit pot.

Leurs achats terminés, Fiora et Léonarde, Chiara et Colomba se séparèrent. Il était déjà tard et, si le palais Beltrami était proche, le chemin était encore assez long pour les habitantes du palais Albizzi. La nuit allait venir.

Cornelia Donati partit avec Chiara et Colomba tandis que l’apothicaire donnait à ses valets l’ordre de fermer boutique. Lui-même avait à faire à la Seigneurie afin d’y rencontrer le prieur de son quartier pour une question délicate : son voisin des pompes funèbres s’était arrogé le droit de vendre certaines drogues destinées à l’embaumement de ses clients, drogues qui étaient du ressort exclusif de l’apothicaire. Landucci devait se dépêcher car ce prieur était son ami et ne serait peut-être plus apte à le secourir dans quinze jours. En effet, les prieurs n’étaient élus que pour deux mois, circonstance qui faisait vivre Florence dans une perpétuelle agitation électorale...

– Il faut aussi que je voie messer Francesco, confia-t-il à Fiora en guise d’adieu, mais j’irai demain à ses entrepôts de la via Calimala... Il m’appuiera certainement.

L’Angélus sonnait, accompagné du claquement de centaines de volets de bois qu’un peu partout les commerçants ou leurs garçons appliquaient sur les boutiques. Les élégants promeneurs du pont Santa Trinita commençaient à quitter la place pour se rendre vers d’autres lieux d’agrément. Un groupe bruyant entourait un jeune homme petit et mince mais vêtu avec une incroyable recherche d’une casaque de satin blanc sur des chausses de velours blanc cousues de dentelles d’argent. Une cape, des bottines et un béret de velours rose, ce dernier agrémenté d’une longue plume de héron, composaient un costume devant lequel tous les autres s’extasiaient. Une chaîne d’or soutenant une lourde médaille, des bagues à tous les doigts, le jeune élégant s’avançait à pas comptés, tournant la tête de tous côtés pour voir s’il récoltait un suffisant tribut d’admiration.

Fiora, elle aussi, avait vu. Tirant brusquement Léonarde par la manche, elle la fit entrer avec elle sous l’arche d’une maison qui abritait l’entrée d’une étroite ruelle.

– Qu’est-ce qui vous prend ? protesta la vieille dame.

– Ne voyez-vous pas ce qui nous arrive là ? Ce fat de Domenico Accaiuoli avec sa bande de courtisans.

– Que vous a-t-il fait ? Je croyais qu’il était de vos amis ? Ne vous fait-il pas la cour ?

– Est-ce que cette sorte de garçons sait faire la cour à une fille ? Il me la ferait de meilleur cœur si j’étais un garçon comme lui. Il veut une épouse fortunée, sans doute, mais je ne suis même pas certaine qu’il saurait lui faire des enfants. En tout cas, la pauvre ne le verrait pas souvent franchir le seuil de sa chambre...

Abasourdie, Léonarde regarda Fiora avec la mine d’une poule qui s’aperçoit soudain qu’elle a couvé un canard :

– Où allez-vous chercher cela ? Ce n’est tout de même pas moi qui vous l’ai appris ?

Fiora se mit à rire et serra plus fort contre elle le bras de sa gouvernante.

– Vous êtes bien trop convenable ! C’est Chiara qui me l’a dit. Son cousin Tommaso fait partie de la bande de Domenico. Et, entre filles, on parle..,