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– Que voulez-vous donc ?

– Que vous m’accordiez la main de votre fille. Je veux l’épouser...

La stupeur laissa le négociant sans voix avec l’impression désagréable que les murs se mettaient à tournoyer autour de lui. Il alla jusqu’à une armoire dissimulée dans la boiserie, y prit un flacon de vin de Chianti et un gobelet d’argent qu’il remplit et vida presque du même mouvement. Alors il se sentit mieux pour affronter la nouvelle bataille qui ne pouvait manquer de venir.

– Vrai dieu ! remarqua Philippe avec un demi-sourire. Je ne pensais pas vous causer une telle émotion !

– Laissez-là mon émotion. Vous voulez épouser Fiora ? Vous ?

– Moi, oui !

– Alors que vous m’avez laissé entendre que vous n’ignorez rien de ses origines, nobles sans doute mais entachées d’infamie par la main du bourreau ? ... Tout au moins selon les lois de votre pays et de votre caste.

– Selon les lois de tous les pays et de toutes les castes. Croyez-vous que votre fortune pourrait la sauver du mépris si l’on savait ici, dans cette incroyable république, qu’elle est le fruit d’un inceste doublé d’un adultère qui s’est achevé sur un échafaud, condamné à la fois par l’Église et par le prince ?

Francesco Beltrami sentit un frisson glacé courir le long de son échine et retourna vers le feu comme vers un ami secourable. Ce démon avait raison et il le savait bien.

– Et vous, fit-il amèrement, investi de la confiance d’un grand prince, vous comte de Selongey, chevalier de la Toison d’or, vous qui êtes sans doute l’un des premiers dans votre pays, vous voulez pour femme cette enfant dont vous dites vous-même que sa naissance est marquée d’infamie. Pourquoi ?

– Je ne chercherai pas à vous dissimuler la vérité, dit Selongey rudement. D’abord parce que je l’aime...

– Allons donc ! Vous n’avez fait que l’entrevoir par deux fois : à la giostra et au palais Médicis...

– Je l’ai rencontrée une troisième fois dans l’église de la Sainte Trinité. Mais une seule rencontre suffisait. Sa beauté... m’a serré le cœur. C’est comme un charme qui s’est emparé de moi...

– Et vous pensez que c’est cela l’amour ? Qu’il suffit d’un instant pour...

– Changer la vie d’un homme ? Vous devriez être le dernier à en douter. Ou alors expliquez-moi pourquoi vous, jeune, riche, libre de toute attache, vous avez chargé votre vie de l’enfant de gens que vous ne connaissiez pas, que vous n’avez fait qu’entrevoir à l’heure de la mort ? Marie de Brévailles était très belle, n’est-ce pas ? Et vous l’avez vue mourir...

Beltrami ferma les yeux, essayant de retenir les larmes qui lui venaient au souvenir de cette heure terrible où l’amour de sa vie avait été foudroyé. II les essuya d’un revers de main rageur...

– Vous parliez de deux raisons... Quelle est la seconde ?

– Je veux sa dot pour les armes de monseigneur Charles !

Il y eut un silence que rompit au bout d’un instant le rire sans gaieté de Beltrami :

– Voilà donc le grand mot lâché et nous en revenons à l’argent ! Mais je ne vous donnerai pas Fiora. Je ne vous laisserai pas l’emmener dans votre pays barbare qui ne saurait que la broyer. C’est une fleur délicate, élevée sous le soleil avec des soins infinis. Elle n’a connu jusqu’ici que la joie, la beauté, les arts, les lettres et même les sciences. Elle a le savoir et le cœur d’une reine. Moi vivant, cet ouvrage de mes mains et de ma tendresse ne sera pas détruit. Je refuse de m’en séparer.

– Mais je ne vous en séparerai pas. Telle n’a jamais été mon intention, dit Philippe doucement.

– Je ne vous comprends pas. Comment l’entendez-vous ?

– Nous somme en guerre et cette guerre est sans merci. Bourgogne vaincra ou disparaîtra. Dans de telles conditions, il est impossible d’emmener une femme avec moi. Où serait-elle mieux qu’auprès de son père ? Si vous me l’accordez, nous serons mariés secrètement mais sans qu’il soit possible de contester le mariage. Dès le lendemain, je repartirai... et vous ne me reverrez sans doute plus.

– Je comprends de moins en moins ! Il y a un instant vous parliez de votre amour...

– Qui est profond... et ardent mais dont sans doute je mourrai. Voulez-vous que je traduise plus clairement les termes du contrat que je veux passer avec vous ? Fiora aura mon nom qui la mettra à l’abri d’une autre reconnaissance toujours possible. Elle sera comtesse de Selongey mais elle vivra auprès de vous et portera mon deuil quand le temps en sera venu...

– Et vous, qu’aurez-vous donc puisque vous voulez porter sa dot à votre duc ?

– Une nuit d’amour ! Une seule nuit dont j’emporterai le souvenir comme un trésor ou qui peut-être m’exorcisera d’une passion qui me brûle. Vous déclarerez le mariage quand bon vous semblera. Assez tard sans doute si vous souhaitez éviter le ressentiment des Médicis que leur attitude fait ennemis de Bourgogne. C’est pourquoi j’ai parlé d’un mariage secret. Après ma mort, Fiora pourra, si elle le veut, se remarier...

– Votre mort, votre mort ! Elle n’est pas encore écrite. Pourquoi tenez-vous tellement à mourir ?

– Pour effacer de mon sang la tache dont je vais souiller mes armes en épousant la fille de Jean et Marie de Brévailles. Cette tache je serai seul à la connaître car je n’ai aucune famille. Elle disparaîtra avec moi et je donnerai en quelques heures tant d’amour à celle qui sera ma femme qu’elle n’en saura jamais rien. Sa vie demeurera inchangée auprès de vous et moi j’aurai eu tout ce que je pouvais espérer en ce monde...

– Vous n’oubliez qu’une chose ; un enfant peut naître de cette seule nuit ?

– En ce cas, vous l’élèverez jusqu’à ce qu’il soit d’âge à porter les armes et à servir ses princes. Alors vous l’enverrez au château de Selongey avec tous les moyens de se faire reconnaître et je serai en paix car ce sera le signe que mes ancêtres m’ont pardonné ce que je vais faire...

Quel étrange garçon ! Francesco se sentait confondu par ce mélange de cynisme et d’innocence, par cette âme féodale pleine de passion et de certitude, capable de tout sacrifier à son maître et à ses propres désirs mais décidée à en payer le prix, ce prix fût-il celui de sa vie...

– Ce que vous allez faire ? Je n’ai pas encore accepté votre pacte.

– Mais vous l’accepterez. Sachez que je suis prêt à tout, vous entendez, pour obtenir Fiora, pour qu’elle soit mienne. Moi vivant, elle ne sera à personne qu’à moi.

– Jusqu’où iriez-vous ? Jusqu’à faire connaître à tous la vérité de sa naissance ? Vous vous feriez écharper sur place..,

– Peut-être, mais vous ne vous en relèveriez pas. Vous seriez obligé de l’enfermer dans un couvent. Mieux vaut accepter, messire Beltrami, et vous le savez bien. Vous êtes sûr ainsi qu’elle ne vous quittera jamais. Cela doit avoir du prix à vos yeux...

Francesco se sentit rougir. Cet homme avait touché du doigt le point sensible, cette répugnance qu’il avait à l’idée de voir, un jour, son enfant bien-aimée s’en aller loin de lui peut-être, au bras d’un époux qui ne saurait jamais l’aimer comme l’aimait son père... Il savait déjà que le chevalier bourguignon avait gagné mais il ne voulait pas encore venir à composition :

– C’est un terrible amour que le vôtre, seigneur comte ! Je n’ai aucune raison de supposer que ma fille pourrait s’en accommoder. Et je ne la contraindrai jamais...

– Pourquoi ne pas le lui demander ? Si elle accepte...

– Alors moi aussi j’accepterai, dit Beltrami gravement, mais sachez que vous serez lié par un engagement qu’il vous sera impossible de rompre au cas où... plus tard, vous changeriez d’avis.