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Les yeux pleins de muette interrogation, les deux femmes sortirent sans un mot, laissant Fiora seule face aux deux hommes. Quand la porte se fut refermée sur elles, Beltrami vint prendre sa fille par la main et la conduisit jusqu’au siège qu’elle venait d’abandonner.

– Assieds-toi, mon enfant, dit-il doucement. Ce que nous avons à te dire est grave... d’une extrême importance pour l’avenir...

– Ce que... vous... avez à me dire ? Êtes-vous donc deux à parler à cette heure ?

– En effet...

Beltrami sentit sa gorge se serrer et déglutit nerveusement. L’instant terrible était venu, cet instant qu’il s’était laissé imposer parce que cet homme connaissait son secret... Et tout à coup, il eut hâte d’en finir. Tout valait mieux que l’incertitude. D’ailleurs Fiora connaissait à peine Selongey, elle n’accepterait jamais de l’épouser... Elle allait, avec un sourire, le refuser comme elle refusait les hommages de Luca Tornabuoni. N’avait-il pas cru s’apercevoir qu’elle était amoureuse de Giuliano de Médicis ? Alors, d’une voix claire, il lança.

– Messire Philippe de Selongey que voici est venu, ce soir, me demander ta main...

Ces paroles à peine prononcées, il eut envie de les retirer. Fiora les accueillait avec dans les yeux une immense surprise mais, déjà, une lumière s’y allumait, une lumière qui lui fit mal...

– Vous voulez... m’épouser ? demanda la jeune fille. Vivement, Selongey mit genou en terre devant elle :

– Il n’est rien que je désire davantage, dit-il d’une voix vibrante. Ce que votre père n’a pas dit, Fiora, c’est que je vous aime et n’aimerai jamais que vous.

– Jamais ? ... Que moi ?

– Tant que je vivrai ! J’y engage ma foi de chevalier devant Dieu qui recevra nos promesses si vous acceptez de devenir mienne !

Fiora regarda le visage arrogant tendu vers elle, ces yeux dont la flamme la brûlait, ces lèvres dont le baiser la hantait, cette grande main qui se tendait vers la sienne. Elle chercha le regard de son père mais Beltrami détournait les yeux. Philippe d’ailleurs ajoutait, plus bas mais plus ardemment :

– Répondez, Fiora ! Voulez-vous être ma femme ? Une joie immense envahit la jeune fille. C’était comme

une de ces grandes vagues bleues, délicieuses et tièdes dans lesquelles, à Livourne, elle s’était baignée, un jour d’été. Le rêve commencé sous les voûtes sévères de Santa

Trinita se continuait et, cette fois, il n’aurait plus jamais, jamais de fin. D’un geste charmant et spontané elle mit ses deux mains dans celle qui s’offrait :

– Oui, dit-elle fermement... oui, je le veux ! Francesco Beltrami ferma les yeux un instant pour ne pas voir Philippe baiser tendrement les doigts menus de celle qui était à présent sa fiancée. Tout était dit et il faudrait que ceci allât jusqu’au bout. La surprise avait été pour lui... Frappant soudain dans ses mains, il appela d’une voix forte :

– Du vin ! Que l’on apporte du vin !

Ne convenait-il pas de célébrer par une libation le prochain mariage de Fiora ? Mais, pour la première fois depuis bien longtemps, Francesco Beltrami avait envie de pleurer...

CHAPITRE IV

LA NUIT DE FIESOLE

Le surlendemain, à la même heure, Fiora, le cœur battant, attendait le moment où, pour jamais, elle serait unie à l’homme qu’elle aimait et qui était entré dans sa vie à la manière d’un ouragan. Tout avait été si rapide que la tête lui tournait un peu...

Quand elle avait donné sa main à Philippe, elle pensait que l’on allait célébrer leurs fiançailles puis que son futur époux repartirait pour combattre aux côtés de son duc. La guerre achevée, il reviendrait pour consacrer leurs épousailles et finalement l’emmener dans son pays afin de la présenter à la cour du Grand Duc d’Occident. Elle imaginait déjà les noces fastueuses qui seraient celles de la fille unique du riche Francesco Beltrami...

Et voilà que rien ne ressemblait à ses rêves d’enfance, que rien ne serait même conforme à la tradition. Il n’y aurait pas de grand souper pour la remise de l’anneau, symbole de l’engagement, et pas d’échange de cadeaux. Les jeunes gens ne viendraient pas tendre, à travers sa rue, le ruban ou la guirlande de fleurs cependant que l’un d’eux, le plus beau, viendrait lui offrir un bouquet, après quoi le fiancé pourrait rompre le fragile obstacle. Il n’y aurait pas de cavalcade de dames pour escorter la mariée jusqu’au Duomo tandis que, dans la loggia del Bigallo, près du Baptistère, les trompettes sonneraient le triomphe de l’amour. Il n’y aurait pas de grand banquet au son de

la musique, pas de bal, pas de noix jetées sur le dallage près de la chambre nuptiale pour empêcher que l’on entende ce qui s’y passait, pas de plaisanteries, pas de rires, pas de chante-fables pour égayer la société, pas de romances...

Tout allait se passer dans la grande villa que Beltrami possédait à Fiesole, de nuit, et comme en secret pour que les Médicis ignorent ce mariage qui pouvait offenser leurs amitiés et leur choix politique. Et puis Philippe était pressé. Il aimait trop Fiora pour accepter de s’éloigner d’elle sans s’être assuré qu’aucun autre homme, jamais, ne pourrait la lui prendre...

– Il en eût été de même après des fiançailles, avait fait remarquer la jeune fille, et même sans aucun autre engagement qu’une parole. Il eût suffit que vous me demandassiez d’attendre. J’aurais attendu... ma vie entière.

– Peut-être m’attendrez-vous durant votre vie entière. Je peux être tué, Fiora, et ne jamais revenir. C’est pourquoi j’ai voulu ce mariage dont la rapidité vous effraie peut-être. Je veux, en repartant, être certain que vous êtes à moi. Regrettez-vous tant les fastes d’un mariage au grand jour ?

– Je regretterais surtout que vous n’ayez pas cette hâte. Je regretterais si je ne vous aimais pas...

Tout était dit. Depuis une heure, Beltrami et son futur gendre étaient enfermés dans le cabinet du négociant avec un notaire qui était un ami sûr. Ils discutaient le sévère contrat que Beltrami entendait assurer à sa fille. Dans sa chambre, Fiora était livrée aux soins de ses femmes. Léonarde, le visage hermétique, et Khatoun dont les doigts tremblaient d’excitation l’avaient revêtue d’une grande robe de satin blanc toute brodée d’or. Dans la masse de ses cheveux, haut coiffés, elles avaient piqué des étoiles d’émeraudes et tressé une fine guirlande d’or et, au bord du décolleté, entre les seins juvéniles, Léonarde avait agrafé une chimère aux yeux d’émeraudes dont les ailes étendues étaient diaprées des mêmes pierres. Tout à l’heure, elles poseraient sur sa tête le grand voile que l’on avait fait bénir le matin même au monastère voisin, selon la règle...

Depuis qu’on lui avait annoncé le mariage de Fiora, la vieille gouvernante n’avait presque pas desserré les dents mais elle avait passé de longues heures à l’église. A Fiora qui lui reprochait de ne pas montrer plus de joie de la voir s’unir à un grand seigneur de la Bourgogne qui était son pays à elle, Léonarde avait répondu :

– Je sais que c’est un grand seigneur et je connais bien le château de Selongey qui est une puissante forteresse et une noble demeure. Je sais que vous épousez un homme vaillant et qu’auprès de lui vous aurez une haute position. Je sais...

– Savez-vous que je l’aime... et qu’il m’aime ?

– Il faut bien qu’il en soit ainsi pour bâcler un mariage en deux jours et, je vous l’avoue, je comprends mal votre père, un homme si sage, si mesuré, de donner son accord à pareille...

– Folie ? Il faut croire que mon père sait que d’une folie apparente peut naître un grand bonheur.