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– L’effacer ? Et pourquoi cela ? Un mariage que Nous avons Nous-même célébré, dans notre chapelle privée... et en votre présence, cardinal ? Si un empêchement existait à cette union, que ne le fîtes-vous entendre alors, comme le veut le rite d’une cérémonie nuptiale ?

– J’étais dans l’ignorance, Très Saint-Père, et Votre Sainteté Elle-même aurait rejeté avec horreur l’idée de célébrer une telle union si...

– Si quoi ? Cessez de Nous lanterner, par tous les saints du Paradis !

– Si Elle avait su que cette jeune femme n’était pas veuve comme nous le croyions tous... et comme elle le croyait elle-même.

– Quoi ?

Commynes se chargea d’asséner le dernier coup, avec une jubilation intérieure qui nécessita, pour n’être pas trop évidente, toutes les ressources de sa diplomatie :

– Rien n’est plus vrai, Très Saint-Père. Le comte Philippe de Selongey, condamné à mort, est en effet monté sur l’échafaud de Dijon... mais il en est redescendu sain et sauf car les ordres du roi étaient de ne lui faire connaître sa grâce qu’à l’instant suprême.

Il y eut un lourd silence que troublèrent seulement les pépiements des oiseaux qui occupaient, dans la salle voisine, une grande volière dorée. Le pape poussa un profond soupir :

– Et... elle ? Où se trouve-t-elle en ce moment ?

– Selon ce que j’en puis savoir, elle vogue vers la France, Très Saint-Père...

Et Commynes, sur un dernier et profond salut, quitta la salle du Perroquet.

Deuxième partie

LES CHEMINS SANS ISSUE

CHAPITRE IV

CONVERSATION SOUS UN CERISIER

La fin du jour approchait, quelques semaines plus tard, lorsque Douglas Mortimer quitta Fiora et Khatoun à l’entrée du vieux chemin ombragé de chênes vénérables qui menait à la maison aux Pervenches.

– Vous voici à bon port ! dit-il en la saluant. Et vous n’avez pas besoin de témoins pour retrouver les vôtres...

– Vous pourriez entrer vous rafraîchir ? L’étape a été longue et la journée chaude.

– Je trouverai tout cela au Plessis. Demain, avec votre permission, je viendrai vous faire visite, saluer dame Léonarde et voir si votre fils a beaucoup grandi.

Le cœur de Fiora battait plus vite que de coutume tandis qu’au pas de son cheval, elle remontait le chemin creux entre les herbes folles de ses talus. Son enfant n’était, dans sa mémoire, qu’un petit paquet gigotant infiniment doux à tenir dans ses bras, et voilà qu’il approchait de sa première année sans que sa mère sût rien de lui. Elle n’avait pas reçu ses premiers sourires et, lorsqu’il souffrait de quelque mal, ce n’était pas elle qui se penchait sur le berceau et usait ses nuits auprès de lui. Très certainement, il la regarderait comme une étrangère, et, au moment d’aborder cet univers, Fiora ne pouvait se défendre d’un peu d’appréhension.

Quand on sortit du couvert des arbres et que la maison apparut, rose et blanche dans son nid de verdure, Khatoun battit des mains, enchantée du spectacle. Le jardin n’était qu’un bouquet de fleurs et les pervenches montant à l’assaut de la terrasse débordaient du petit bois et s’étalaient comme un tapis royal. Au fond, la Loire étincelait, renvoyant les feux rouges d’un soleil somptueux qui semblait entourer de flammes les clairs bâtiments du prieuré Saint-Côme. L’air sentait les fleurs chaudes, les pins, l’herbe fraîchement coupée, avec un léger relent de vase venu du fleuve.

– Comme c’est joli ! soupira Khatoun. Mais... Il n’y a personne ?

Une voix qui sifflait gaiement un rondeau ancien se mit à sourdre des profondeurs du jardin et se rapprocha. Enfin un jeune homme déboucha d’un buisson d’aristoloches, portant sur son épaule un petit enfant qui riait en se cramponnant à ses cheveux couleur de paille. L’une des montures des deux femmes renifla et lui fit tourner la tête. Il s’arrêta net, tandis que ses yeux bleus s’agrandissaient démesurément. En même temps, d’un geste machinal, il enlevait le petit garçon pour l’installer sur son bras.

– Eh bien, Florent ? dit Fiora en souriant. Est-ce que vous ne me reconnaissez plus ?

La première surprise passa et, soudain, les prunelles du garçon s’illuminèrent tandis qu’un véritable hurlement de joie s’échappait de son gosier :

– Dame Léonarde ! Péronnelle ! Etienne ! ... Vite ! Venez vite ! Venez tous ! Notre dame est revenue !

Et comme personne, apparemment, ne l’avait entendu, il précipita l’enfant dans les bras de Fiora et prit sa course vers le manoir en criant de plus belle :

– Notre dame est revenue ! Notre dame est revenue ! Ce brusque déplacement n’était pas du goût du jeune

Philippe qui protesta énergiquement. Sa petite bouche ronde s’ouvrit largement sur un « Ouin... in... in... ! » vigoureux qui s’acheva en un déluge de larmes !

– Mon Dieu ! gémit Fiora, je lui fais peur ! Désolée, elle n’osait pas le serrer contre elle et couvrir de baisers les courtes boucles brunes et soyeuses qui couvraient sa tête, comme elle en mourait d’envie.

– Mais non, il n’a pas peur de toi, fit Khatoun. C’est cet imbécile de garçon qui l’a trop bousculé. Attends !

Elle se mit à agiter ses mains et à faire des grimaces qui parurent étonner l’enfant. Il s’arrêta de pleurer puis, presque sans transition, éclata de rire.

– Tu vois ? Son chagrin est fini, et il va vite comprendre que tu es sa maman.

Le petit considérait à présent ces deux visages différents qui lui souriaient. Fiora le coucha tendrement dans ses bras et commença à le bercer doucement :

– Mon bébé ! ... mon petit enfant ! Que tu es beau ! De ses lèvres, elle essayait de saisir au vol les deux menottes roses qui s’agitaient devant sa figure, cherchant à attraper un coin de voile blanc ou une mèche de cheveux. Finalement, Philippe choisit le nez de sa mère et le tira avec décision.

– Mais il est déjà très fort ! s’écria-t-elle, riant et pleurant à la fois... Oh, Khatoun, comment ai-je pu rester si longtemps loin de lui ?

La jeune Tartare n’eut pas le loisir de donner une réponse à une question qui, d’ailleurs, n’en demandait pas : telle une volée de moineaux, les habitants de la maison accouraient à sa rencontre. Les jambes de Léonarde ne valaient pas celles de ses compagnons, mais personne ne se fût permis de la dépasser dans cette course à la bienvenue. Au contraire, Florent et Marcelline, la nourrice de l’enfant, la soutenaient et ce fut elle qui, bonne première, tomba dans les bras de Fiora, précipitamment débarrassée de son fils par une Khatoun qui n’attendait que cela, ravie de connaître enfin le « bébé Philippe ».

Pendant un moment, ce ne furent qu’embrassades, saluts, serrements de mains, exclamations joyeuses et souhaits de bienvenue. Léonarde qui, la cornette en bataille, pleurait comme une fontaine en serrant « son agneau » sur son cœur, embrassa Khatoun presque aussi chaleureusement, ce qui surprit la petite, guère habituée à de telles expansions chez cette « donna Leonarda » qu’elle avait toujours trouvée un brin sévère.

– Dieu a permis que vous vous retrouviez, déclara Léonarde, que Son nom soit béni et que cette maison où tu vas vivre désormais te soit douce ! C’est un peu des beaux jours d’autrefois qui nous revient avec toi !

Et elle la réembrassa pour mieux montrer la joie qu’elle éprouvait à la revoir. Etienne Le Puellier et sa femme Péronnelle, respectivement intendant et cuisinière du petit domaine, avaient eux aussi les larmes aux yeux en revoyant une jeune maîtresse pour laquelle ils éprouvaient une amitié proche de l’affection. Quant au jeune Florent, ex-apprenti banquier chez Agnolo Nardi, à Paris, présentement jardinier et bras droit d’Etienne, il contemplait Fiora, les mains jointes et le regard émerveillé, sans songer à essuyer les larmes abondantes qui coulaient sur son sarrau de toile bleue : les sentiments qu’il portait à Fiora n’étaient un secret pour personne et le retrouver en extase n’avait rien de surprenant.