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– C’est vrai, approuva Florent. Un bien joli petit chat ! Et c’est ainsi que Khatoun fit son entrée dans la maison aux pervenches où elle s’installa aussi simplement, aussi naturellement que si elle l’avait toujours connue : son étonnante faculté d’adaptation lui avait beaucoup facilité la vie depuis qu’elle avait été séparée de Fiora et de l’univers douillet de son enfance.

Ce soir-là, Léonarde l’envoya se coucher car elle n’aurait permis à personne d’aider « son agneau » à sa toilette de nuit et à son coucher :

– Il y a trop longtemps que cela ne m’est pas arrivé ! déclara-t-elle fermement en vidant un seau d’eau dans un baquet.

Après avoir longuement lotionné le corps de Fiora à l’aide d’une éponge pour le débarrasser des poussières d’une chevauchée de plusieurs jours, elle le sécha avec une serviette fine, puis fit asseoir la jeune femme devant sa table à coiffer et, empoignant une brosse de crins, dénoua ses cheveux et entreprit de les épousseter avec vigueur :

– Khatoun, votre fils et Marcelline dorment à poings fermés, déclara-t-elle tranquillement. Nous sommes seules et peut-être à présent pouvez-vous me dire la vérité ?

– La vérité ?

– Oui. Vous savez, ce contraire de l’erreur et de l’illusion... Car c’est une illusion que vous avez dispensée à votre maisonnée durant ce repas mémorable. Moi, je veux savoir ce qui vous est réellement arrivé ?

– Vous pensez donc que j’ai menti ?

– Je ne le pense pas, j’en suis certaine.

– Qu’est-ce qui peut vous faire penser cela ? dit Fiora amusée.

– Vous avez toujours eu le malheur de rougir quand vous mentez, mon ange, et vous avez beaucoup rougi ce soir. Le vin de Vouvray y est peut-être pour quelque chose, mais je jouerais ma vie sur le fait qu’entre votre séjour au couvent, votre long combat contre ce pape invraisemblable, votre amitié avec la comtesse Catarina et ce voyage à Florence pour tenter de sauver les Médicis, il s’est passé... certaines choses ? D’ailleurs, il semble que vous vous soyez attardée quelque peu à Florence ?

– Je le reconnais. Voyant qu’il m’était possible d’y vivre normalement, j’avoue que, jusqu’à l’arrivée de Commynes, je caressais l’idée de vous envoyer chercher avec mon petit Philippe et d’y recommencer une vie semblable à celle d’autrefois puisque... Lorenzo m’a conservé la plus grande partie de ma fortune.

Son imperceptible hésitation avant de prononcer le nom du Magnifique n’avait pas échappé à Léonarde. Fiora le vit en rencontrant son regard dans le miroir... et en constatant avec un peu d’agacement qu’elle venait de rougir encore.

– Lorenzo ? susurra la vieille demoiselle en soulevant la masse des cheveux noirs et soyeux pour les aérer. Il me semble que votre voix tremble un peu en prononçant son nom ?

Brusquement, Fiora se leva et, serrant contre sa poitrine le fin tissu qui l’enveloppait, se mit à arpenter d’un pas nerveux le tapis de sa chambre. Léonarde ne dit rien et la laissa faire. Au bout d’un instant la jeune femme s’arrêta en face d’elle :

– De toute façon, j’avais l’intention de tout vous dire. Je me suis attardée, c’est vrai, et Lorenzo y est pour beaucoup. Au soir du meurtre dans la cathédrale, il est devenu mon amant... et même quand j’ai su que Philippe était vivant, il ne m’a pas été facile de m’en séparer. Donnez-moi un vêtement plus commode, Léonarde et venez vous asseoir près de moi sur ce lit : je vais vous raconter cela dans le détail.

– Vous êtes sûre de n’être pas trop fatiguée ?

– Quelle hypocrite vous faites ! dit Fiora en riant. Voilà une heure que vous me trempez dans l’eau froide. Ne me dites pas que vous n’aviez pas une idée derrière la tête ?

– J’avoue, fit Léonarde avec bonne humeur, mais je vous promets de préparer tout à l’heure une infusion de tilleul pour que vous passiez une bonne nuit.

Il était près de minuit quand Fiora reçut la tisane en question et se glissa dans des draps frais qui sentaient la menthe et le pin. Tandis qu’elle buvait, ses yeux, pardessus le bord de la tasse, interrogeaient ceux de Léonarde debout, bras croisés, auprès de son lit :

– Est-ce que je ne vous fais pas horreur ?

– Pourquoi ? Parce que, vous croyant veuve, vous avez laissé la nature parler en vous et entre les mains d’un homme... dont plus d’une femme peut rêver ? Ce vieux fou de Démétrios a d’ailleurs dû vous dire ce qu’il en pensait ?

– Certes. Il semblait comprendre que, sans l’aimer vraiment, je puisse être heureuse avec Lorenzo...

– Il m’eût étonné qu’il vous prêchât les mortifications et le couvent ! Ces Grecs ont une morale bien à eux, mais en l’occasion, il avait raison : vous avez montré un courage d’homme et vous aviez droit à une récompense. Dormez, à présent, et ne pensez plus à tout cela. Demain sera un autre jour... et le début d’une nouvelle vie. C’est de ce côté-là qu’il faut regarder.

Ayant dit, Léonarde se pencha pour embrasser Fiora, puis, après avoir déclaré qu’elle n’allumait pas la veilleuse à cause des moustiques particulièrement voraces cet été, elle quitta la chambre et regagna la sienne. Là, avant de se coucher, elle resta longtemps à genoux devant une statuette de Notre-Dame de Cléry que Louis XI lui avait offerte pour y accrocher ses espoirs et ses prières durant la trop longue absence de Fiora. Elle avait beaucoup de mercis à formuler pour le retour de la voyageuse, mais elle ne put s’empêcher d’y joindre la prière que de nouvelles épreuves fussent épargnées à l’enfant de son cœur...

En descendant à la cuisine, le lendemain matin, Fiora y trouva Douglas Mortimer. Attablé confortablement, l’Ecossais était en train de faire un sort à certain pâté de lapin dont Péronnelle lui servait de généreuses portions. Il les étalait sur de larges tranches de pain. A chaque bouchée correspondait un petit oignon confit dans du vinaigre qu’il allait pêcher dans un pot en grès à la pointe de son couteau. Le contenu d’un gros pichet de vin d’Orléans aidait à faire glisser le tout.

Voyant entrer la jeune femme, il se leva et salua, sans lâcher pour autant sa tartine et son couteau :

– Le roi m’envoie vers vous, donna Fiora, expliqua-t-il, et, en attendant votre réveil, dame Péronnelle m’a donné de quoi prendre patience.

– Elle a bien fait, et je vais vous tenir compagnie. J’ai faim et ce pâté sent bien bon... Mais pourquoi notre sire vous envoie-t-il si matin ? Avez-vous donc un message important ?

– Oui et non. Le roi vous invite à souper ce soir, mais c’est un lève-tôt qui aime bien organiser sa journée dès qu’il a l’œil ouvert. Et puis, l’idée de venir passer un moment dans votre cuisine n’est pas pour me déplaire, conclut-il avec bonne humeur.

– Le roi me fait grand honneur, dit Fiora en attirant la terrine à elle. Mais d’autres convives seront présents ce soir et j’aimerais lui parler seul à seule.

– Lui aussi. C’est pourquoi il vous fait dire de venir vers quatre heures, l’heure de sa promenade à pied ou à cheval. Aujourd’hui ce sera à pied. Vous pourrez faire le tour du potager, ou du verger, ou visiter les écuries et la vénerie...

A l’heure dite, Fiora, escortée de Florent tout fier d’avoir retrouvé son rôle de chevalier d’honneur, pénétrait dans la cour du Plessis et mettait pied à terre près du vieux puits. Sa toilette lui avait posé quelques problèmes. Elle savait combien son royal hôte appréciait la simplicité, surtout si l’on devait marcher à travers champs, mais d’autre part, il tenait à ce que l’on respectât un certain décorum et donc une certaine recherche lorsque l’on était admis à l’honneur de l’approcher en son particulier. Aussi, après mûre réflexion, Fiora avait-elle opté, avec l’approbation de Léonarde, pour une robe de soie mate à dessins noirs et blancs qu’un étroit ruban vert ceinturait sous les seins. Un petit hennin court, de la même joyeuse couleur de jeune feuille et ennuagé de mousseline blanche amidonnée, la coiffait. Un seul bijou soulignait son décolleté : la chimère d’or aux yeux d’émeraude qu’elle avait portée au soir de son mariage avec Philippe et que Léonarde avait réussi à sauver du sac du palais Beltrami.