Выбрать главу

– Dieu a déjà pris soin de lui. Il y veillera encore, j’en suis certain. Ne pleurez plus, ma fille !

– Vous saviez ?

– Disons que je vous ai devinée à l’instant où vous avez plié le genou devant moi. J’ajoute que je vous pardonne cette... mascarade. Elle vous était dictée par votre grand désir d’en savoir très vite un peu plus sur notre rescapé. Mais, bien sûr, il vous faut quitter cette maison à l’instant, avant qu’un autre que moi ne découvre votre supercherie. J’espère que vous retrouverez bientôt le comte de Selongey.

– Merci ! oh merci !

Se laissant glisser à terre, elle prit la main du moine pour la baiser, mais ne put que l’effleurer car il la lui retira doucement.

– Allez, à présent, et que Dieu vous ait en Sa sainte garde ! Je Le prierai de bénir votre quête comme je vous bénis...

Le geste courba Mortimer à côté de Fiora. Cependant, le dom prieur frappait dans ses mains pour rappeler le frère convers afin qu’il ramène ses visiteurs à l’hôtellerie. Avant de sortir, Fiora demanda :

– Je voudrais faire aumône à cette maison en remerciement des soins reçus. Votre Révérence accepterait-elle...

– Merci de votre intention, mais pas à moi. Donnez à notre hôpital afin d’adoucir les souffrances des pauvres malades.

Un moment plus tard, Mortimer et Fiora quittaient la chartreuse et se retrouvaient dans la grande rue qui traversait la ville sur toute sa longueur.

– Que faisons-nous à présent ? demanda l’Ecossais. Vous ne voulez pas repartir tout de suite, j’imagine ?

– Non. J’ai besoin d’un peu de repos... et puis je crois qu’il nous faut parler, essayer d’imaginer ce que Philippe a fait en quittant cette ville...

– Pour le repos du corps et la clarté des idées, rien de tel qu’une bonne auberge ! Suivez-moi !

CHAPITRE VII

UNE SITUATION DIFFICILE..

Villeneuve-Saint-André n’était pas une ville comme les autres et Fiora put s’en convaincre en remontant, botte à botte avec Mortimer, la longue rue qu’elle n’avait fait qu’entrevoir la veille puisque la chartreuse était voisine des remparts. De magnifiques palais, tous entourés de jardins, la bordaient, certains en parfait état, d’autres menaçant ruine.

– Ce sont les « livrées » des anciens cardinaux de la cour pontificale qui occupa Avignon jusqu’au début de ce siècle, expliqua Mortimer. Leurs maisons de campagne, en quelque sorte.

– « Livrées ». Quel drôle de nom ! A Florence, on dirait villas...

– Cela vient, fit l’Ecossais qui décidément savait beaucoup de choses, de ce que chacune a été formée à l’origine de plusieurs maisons que leurs propriétaires ont été obligés de « livrer » aux princes du Sacré Collège. Contre argent sonnant bien sûr, mais le nom leur est resté.

Quelques-unes de ces demeures avaient la sévérité des palais romains, avec un petit quelque chose en plus. Il suffisait d’une fenêtre à colonnette, d’une longue « amande » de pierre sertie de vitraux colorés, d’un rosier grimpant obstiné à panser les plaies d’une façade lépreuse, d’un buisson de myrte, d’une vigne exubérante ou d’un acacia embaumé pour que tout ne soit qu’amabilité souriante. Des orangers, des citronniers débordaient des jardins, entretenus ou non, et les grandes armoiries de pierre qui dominaient chaque portail gardaient des traces des couleurs ou de l’or qui les enluminaient jadis. Enfin, coiffant tout ce qui n’était pas toit en terrasse enguirlandé de jasmin ou de petit lierre pâle, les tuiles romaines roses, rondes et presque charnues, posaient leur lisière tendre contre le bleu éclatant du ciel.

C’était jour de marché. Sur la petite place ombragée de platanes dont les larges feuilles, d’un vert changeant, apportaient leur fraîcheur, des paysannes en coiffes aériennes se tenaient assises, droites et fières comme des statues grecques au milieu de paniers plats où piaillaient des volailles et de corbeilles où, auprès de grosses olives juteuses, s’étaient déversées toutes les richesses de la campagne et des jardins. Groupés sous les arbres, de petits ânes débâtés attendaient placidement qu’il fût l’heure de rentrer au mas. Les voix joyeuses se renvoyaient des plaisanteries et, quelque part, une chanson voltigeait, soutenue par un air de flûte...

Prise d’une soudaine fringale, Fiora acheta un fromage de chèvre qu’on lui offrit sur une belle feuille de vigne et une grosse grappe de raisin doré qu’elle partagea généreusement avec Mortimer.

– Avez-vous peur qu’on ne vous nourrisse pas à l’auberge ? demanda-t-il en riant. Si la cuisine est restée ce qu’elle était lors de ma venue, vous n’aurez pourtant pas à vous plaindre...

– Je ne sais pas pourquoi, mais je meurs de faim. Au fait, qu’est-ce qu’un Écossais pouvait faire ici ?

– Oh, rien d’extraordinaire, fit Mortimer volontairement évasif. Une petite mission dont le roi m’avait chargé. Je suis resté un mois, mais cela n’a pas été le plus désagréable de ma vie.

Fiora ne chercha pas à en savoir davantage. Brusquement, par la magie de cette terre provençale qui, par bien des côtés, lui rappelait son pays florentin, l’épuisante course à la recherche d’une ombre venait de prendre la couleur aimable d’un loisir, d’un voyage de découverte où le temps s’oublie pour le plus grand plaisir des yeux et de l’odorat. Les heures cruelles s’étaient effacées devant une certitude : Philippe était vivant. Fiora, dès lors, pouvait s’accorder le droit de respirer un peu...

A l’abri de la collégiale Notre-Dame dont la tour carrée et les clochetons semblaient protéger la petite ville comme une poule ses poussins, l’auberge du Grand Prieur ouvrait sur la place du chapitre ses salles fraîches qui sentaient la verveine et les herbes aromatiques. Derrière, un jardin foisonnant de lauriers-roses, d’orangers, de myrtes, de cyprès, de pins, de rosiers, de jasmins et de bien d’autres plantes rejoignait celui d’un prieuré appartenant aux abbés de Saint-André. Là s’étalaient, sur la colline de Montaut, les vestiges de l’ancien palais du cardinal Pierre Bertrand, évêque d’Autun et fondateur, à Paris, du collège du même nom. Cet ensemble formait l’un de ces lieux privilégiés où la beauté de la nature rehausse le charme du travail des hommes et où toutes choses se joignent pour le contentement des yeux et la paix de l’âme.

Au temps où, dans son palais, le cardinal Bertrand se plaisait à recevoir les grands de ce monde, l’hôtellerie accueillait les seigneurs de leurs suites et portait secours aux cuisines parfois défaillantes des princes de l’Église ses voisins. D’autre part, ceux d’Avignon franchissaient volontiers le pont Saint-Bénézet pour goûter un moment de fraîcheur sous les ombrages du jardin, et surtout pour savourer les délicatesses d’une cuisine célèbre à vingt lieues à la ronde.

Le départ de la cour papale aurait pu porter un coup fatal au Grand Prieur, il n’en fut rien. Le temps des légats était venu, Avignon hérita de l’ère des pontifes une population cosmopolite qui en fit une grande place d’affaires où banques et maisons de commerce possédaient des comptoirs, alors même que Marseille n’en avait pas encore. En fait, Avignon demeurant le principal relais entre la mer et les grands marchés de Lyon et de Genève, Villeneuve, bien qu’appartenant au roi de France, continua à profiter d’une situation aussi exceptionnelle et le Grand Prieur ne perdit rien de sa renommée. Bien au contraire, car ses propriétaires, Maître Jacques et sa femme Françoise, possédaient au plus haut degré l’art difficile d’accueillir chacun, d’où qu’il vienne, de la façon qui lui conviendrait le mieux. Le sourire de Dame Françoise aurait désarmé une douairière et fait s’épanouir d’aise un anachorète avant qu’elle ne laisse à son époux le soin de le faire plonger jusqu’à la damnation finale au plus savoureux du péché de gourmandise.