Выбрать главу

Elle ne s’éveilla que le lendemain matin, au vacarme des verrous tirés, quand le geôlier pénétra dans sa chambre pour lui apporter son repas :

– Vous devez avoir faim, lui dit-il dans ce langage élégant qui est l’apanage des gens de Touraine. Hier, je vous ai monté un plateau, mais je vois que vous n’y avez pas touché. Il est vrai que vous dormiez si bien...

– C’est vrai, dit Fiora. J’ai faim, mais si je pouvais avoir de l’eau pour faire ma toilette, je vous en serais reconnaissante.

Fouillant dans sa bourse, elle en tira une pièce d’argent qu’elle voulut lui donner, mais il la refusa :

– Non, merci, noble dame ! Les ordres de notre sire le roi sont de ne vous laisser manquer de rien. En m’occupant de vous, je ne fais que mon devoir...

– Manquer de rien ? Je crains que vous ne puissiez me donner ce qui me manque le plus : mon fils...

Le brave homme eut un geste navré :

– Hélas non ! Je ne peux donner que ce que l’on m’autorise à vous procurer. Croyez que je le regrette... Je vais vous apporter de l’eau chaude, des serviettes et du savon. Mangez, en attendant ! Votre repas va refroidir.

Le repas, c’étaient du lait chaud, du pain croustillant et encore tiède, du miel et une petite motte de beurre enveloppée dans une feuille de vigne que Fiora considéra avec une sincère stupeur :

– Est-ce que vous nourrissez aussi bien tous vos prisonniers ? Je sais peu d’auberges de bon renom où l’on vous traite de cette façon !

– C’est que vous êtes la seule pensionnaire en ce moment et que ma femme est autorisée à prendre notre nourriture aux cuisines du château. La vôtre aussi. Et puis, cette prison n’est pas comme les autres et elle reçoit peu de monde. C’est assez différent du donjon de la première cour. Enfin, je le répète, j’ai reçu des ordres.

– Suis-je autorisée à recevoir des visiteurs ? Je voudrais voir le sergent Mortimer, de la Garde écossaise.

– La Bourrasque ? fit le geôlier en riant. Tout le monde le connaît bien ici. Malheureusement, la chose n’est pas possible. D’abord parce que, Madame la comtesse, vous êtes au secret. Ensuite, parce qu’il n’est pas au Plessis... Je vais vous chercher votre eau.

– Encore un mot ! Dites-moi au moins votre nom ?

– Grégoire, Madame. Grégoire Lebret, mais le prénom suffira. Je suis tout à fait aux ordres de Madame la comtesse !

Et avec une sorte de petite révérence, le surprenant geôlier laissa Fiora dévorer ce petit repas encore plus surprenant. Tout en mangeant, elle s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses idées. On la traitait évidemment avec une certaine faveur, et pourtant on n’avait pas hésité à lui arracher son enfant, sa chère Léonarde et sa maison. Et, si elle se rappelait la brutalité avec laquelle, la veille, les archers avaient empêché Péronnelle de lui parler et le ton employé par l’abominable Olivier le Daim, il était certain que le roi avait donné, la concernant, des ordres précis, des ordres que le barbier se gardait de transgresser, quelle que soit l’envie qu’il en eût, mais pourquoi ? Pourquoi ? Quel crime avait-elle pu commettre ? Le Daim avait prononcé le mot de trahison et ajouté que le cas était grave. Mais comment, en quoi avait-elle pu trahir le roi ou même la France ? L’abominable personnage avait aussi fait allusion à Lorenza et, sur le moment, Fiora avait tremblé. Pourtant, cette naissance qu’il fallait essayer de garder secrète ne pouvait avoir offensé Louis XI au point de l’amener à une telle rigueur ? Il ne s’agissait que d’un malentendu habilement exploité, sans doute, par le barbier ou toute autre personne lui voulant du mal. Ou alors une calomnie ? Fiora savait le roi méfiant à l’extrême et capable, quand il se croyait trompé, de passer d’une grande bonhomie à une extrême rigueur. Si cela était, il fallait pouvoir s’expliquer avec lui le plus vite possible...

Lorsque Grégoire revint avec les divers objets annoncés, Fiora lui demanda s’il accepterait de faire dire au roi qu’elle le suppliait de vouloir bien l’entendre dès que possible. Mais cela non plus, le geôlier ne pouvait le faire : le roi ne se trouvait pas au Plessis, mais à Amboise, auprès de Madame la Reine qui était en souci de la santé de Monseigneur le Dauphin.

– Vous pensez qu’il va y rester longtemps ?

– En général, non, mais qui peut savoir, si le malaise du petit prince venait à s’aggraver ? Prenez patience, Madame la comtesse ! Je serais fort étonné si, dès son retour, le roi ne vous faisait mander...

La patience ! Cette vertu tant vantée par Démétrios et que Fiora n’était jamais parvenue à maîtriser, surtout quand elle se trouvait dans une situation désagréable ! Elle aimait à prendre des décisions et qu’ensuite les choses aillent vite. Les neuf mois d’attente d’un enfant lui avaient toujours paru neuf siècles. Une attitude qui amusait Léonarde. Cette fois, la patience ne pouvait être qu’une épreuve de plus. Quelle mère peut supporter longtemps d’ignorer le lieu où se trouve son enfant ?

Et pourtant, il fallut attendre. Chaque heure semblait interminable à cette jeune femme pleine de vie et réduite à l’inaction totale, Grégoire étant incapable de lui procurer des livres, la seule chose qui eût pu lui faire trouver le temps moins long. Ce n’était certes pas la première fois qu’elle se retrouvait captive, mais jamais elle n’en avait souffert à ce point, car alors ses angoisses ne concernaient qu’elle-même et non les siens. Où pouvaient être Léonarde, Khatoun et le petit Philippe ? Le roi savait qu’en la séparant d’eux sans lui dire le lieu de leur résidence, il lui infligeait la plus pénible des épreuves, ce qui rendait inutiles les sévices corporels et expliquait, en partie au moins, la chambre convenable, la bonne nourriture et même les vêtements – ceux qu’elle avait laissés à la Rabaudière et qu’elle avait retrouvés dans le grand coffre de sa prison. Une seule consolation : Louis XI aimait et respectait trop les enfants pour faire du mal au sien. Philippe était certainement encore mieux traité que sa mère. Mais que les heures parurent lentes durant les huit jours qu’elle dut passer en la seule compagnie de son geôlier !

Fiora s’obligeait à une tenue irréprochable, à une minutieuse toilette chaque matin, à porter du linge et une robe propres. La femme de Grégoire se chargeait du lavage et du repassage. C’était une façon comme une autre de garder sa propre fierté ; ensuite, elle ne voulait pas être surprise en négligé lorsque, enfin, on viendrait la chercher pour la conduire devant son juge... ou devant ses juges...