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– Je sais que je vais demander beaucoup au roi mais tout ce que je désire c’est la vie... et la liberté du comte de Selongey.

Le silence qui suivit fut si pesant que la jeune femme frissonna et, sans oser relever les yeux, ajouta d’une voix faible mais cependant audible :

– Je ne désire rien d’autre, sire...

Toujours sans rien dire, Louis XI prit à deux doigts le menton de Fiora et considéra longuement les grands yeux gris aux cils desquels perlait une larme.

– Pauvre enfant ! soupira-t-il doucement. Amour vous tient en plus cruelle prison que ne sont les geôles de Loches ! Non, n’ajoutez rien ! ... Nous étions persuadé, en venant dans cette chapelle, que vous demanderiez la grâce de cet homme. Nous vous devons trop pour vous la refuser... bien que cela contrarie les espoirs que nous avions misés sur vous. Relevez-vous !

Il se détournait, allait prendre la statuette de sainte Angadresme qu’il scruta comme s’il pensait y trouver un défaut.

– Sire, commença Fiora, la reconnaissance que je...

– Non ! Ne remerciez pas ! Peut-être... ne méritons-nous pas autant de gratitude que vous l’imaginez... En vous faisant venir ici, nous avions pensé, surtout vous ayant vue, que vous seriez pour nous... un bon otage, tout à fait de nature à déterminer le sire de Selongey à nous servir. Vous nous avez laissé entendre que notre prisonnier ne tenait pas à vous à ce point-là ! Dès lors, nous avions conçu un autre plan : obtenir vos services contre le Téméraire en vous faisant espérer sa grâce. Ce maudit moine et son poignard sont venus se mettre tout à la traverse... Enfin ! soupira-t-il, demain vous serez conduite à Compiègne auprès de...

– Que le roi me pardonne de l’interrompre, sire, mais je crois que nous ne nous comprenons pas. L’idée de la mort de celui que je croyais mon époux m’était insupportable. Il vivra et j’en remercie la clémence du roi mais je ne veux rien d’autre. N’ai-je pas dit l’autre jour à Votre Majesté que j’étais disposée à la servir si, ce faisant, je pouvais assouvir la haine que j’éprouve pour le duc de Bourgogne ? Rien n’est changé.

Louis XI baisa dévotement la précieuse figurine avant de la replacer sur son support. Sans se retourner vers Fiora il demanda :

– Vous ne souhaitez pas lui porter vous-même la nouvelle inespérée de sa libération ? Ce serait, il me semble, belle et noble vengeance ?

– Non sire. Je ne veux même pas le revoir pour ne point risquer de retomber sous le charme où il m’a tenue captive. En frappant le maître qu’il chérit plus que tout au monde, je serai mieux vengée...

– Et dans ce but, vous feriez... n’importe quoi ? Jusqu’à... vous donner à un autre homme ?

– Si mon mariage ne fut qu’un leurre, je n’ai pas à redouter l’adultère. Que le roi ordonne ! J’obéirai.

– Soit. Allez rejoindre messire Lascaris. Ce soir, vous souperez tous deux à notre table, en petit comité, ce dont personne ne s’étonnera après ce que vous avez accompli ce jour pour le royaume. Vous saurez plus tard, ce que vous aurez à faire...

S’agenouillant à nouveau devant l’autel scintillant, Louis XI s’abîma dans une profonde oraison. Fiora salua à la fois Dieu et le roi puis se retira à reculons...

L’orage qui avait menacé en grondant tout le jour, tournant autour de la ville et des grandes forêts qui l’environnaient, creva quand vint le soir, déversant sur toutes choses de véritables cataractes. Chaque rue se transforma en ruisseau et les gouttières en autant de petites cascades. Le tonnerre fulminait de majestueuses imprécations et les éclairs succédaient aux éclairs... Il n’y avait plus âme qui vive dans les rues. Seuls, les soldats de garde aux remparts recevaient la douche stoïquement. Après l’étouffante chaleur qui rendait les armures si pesantes, l’énorme averse devait être délicieusement rafraîchissante.

Posté derrière la fenêtre de sa chambre, le roi Louis considérait l’orage avec satisfaction : il songeait à son « bon frère », le roi Edouard IV d’Angleterre qui, le ventre creux et les pieds dans l’eau, devait attendre avec quelque impatience à présent la conclusion de l’accord secret que lord Howard et John Cheyney étaient venus six jours plus tôt établir avec lui. Ces deux-là, dont il était convenu qu’ils resteraient comme otages jusqu’à ce que l’armée anglaise eût repassé la mer, étaient les seuls qui ne devaient pas souffrir beaucoup de la faim : avant de les renvoyer à leur maître, on les avait nourris et abreuvés royalement, circonstance qui devait donner quelque chaleur à leurs propos...

– Les Anglais doivent nous attendre comme le messie ! déclara le roi en se frottant les mains. Tant d’eau et pas une goutte de bière ou de vin pour se remonter le moral...

– Espérons tout de même que la pluie cessera de tomber d’ici demain. Si c’est toujours demain que nous partons pour Amiens ? dit Commynes.

– Bien sûr que nous partons demain. L’entrevue avec Edouard est prévue pour le 29 de ce mois à Picquigny et nous avons d’ici là beaucoup de choses à mettre au point.

Demain aussi, j’ordonnerai à Tristan Lhermite, notre Grand Prévôt, de remettre en liberté le sire de Selongey et de le faire accompagner, sous bonne escorte jusqu’à Vervins. Là on le relâchera en lui faisant savoir que le Téméraire est à Namur. Il le rejoindra ainsi sans peine...

– Vous libérez cet homme qui a voulu vous tuer ? Sire, est-ce bien raisonnable ?

– Donna Fiora m’a sauvé la vie et c’est sa liberté qu’elle a demandée en récompense.

– Pourquoi ? C’est insensé !

– Elle est sa femme. C’est pourquoi j’avais voulu la voir... Allons Commynes, ne fais pas cette tête ! En libérant ce tranche-montagne je réalise, je crois, la meilleure affaire de ma vie. Donna Fiora croit son époux bigame -et il l’est peut-être après tout ! Elle ne sait pas au juste si elle l’aime ou si elle le hait. Une chose est certaine : elle ne veut plus le voir. Mais ce qui est beaucoup plus manifeste, c’est l’exécration qu’elle voue à Bourgogne dont elle a juré la mort. Je vais lui en fournir les moyens.

– Comment cela ?

– Je vais l’envoyer à Campobasso qui est l’un des principaux chefs de guerre du Téméraire mais qui n’a pas l’air de savoir exactement de quel côté sa tartine est beurrée...

– Je vois : elle représente le petit morceau de beurre chargé d’expliquer à ce condottiere que les vaches françaises produisent de meilleur lait et plus abondant que les vaches bourguignonnes ?

Louis XI se mit à rire et assena une bonne claque dans le dos de son jeune conseiller.

– Il y a plaisir à causer avec vous, messire Philippe... encore que votre métaphore champêtre ne convienne guère à pareille beauté. On dit Campobasso fort porté sur les dames et celle-ci, merveille, vient d’Italie, comme lui.

– Ne va-t-elle pas courir de bien grands périls ? Pour rejoindre le Napolitain, il va lui falloir traverser des régions infestées de soldats ? Elle est jeune... et fragile pour être ainsi lancée dans une fournaise, ajouta Commynes gravement.

Si gravement même que le roi fronça les sourcils.

– Pâques-Dieu, mon compère, tu es en train de tomber amoureux ? Souviens-toi que ton cœur appartient tout entier à dame Hélène, ta gracieuse épouse. La belle Florentine n’est pas pour toi.

– Vous préférez en faire don à ce reître ?

– Eh oui ! Rarement j’ai eu en main si belle arme et si bien trempée. Rassure-toi, elle sera protégée... A présent, allons remercier Dieu de toutes les bontés dont il nous comble et puis mettons-nous au lit. Demain, avant de partir, je verrai donna Fiora pour lui donner mes instructions.

– Si elle réussit, que ferez-vous pour elle ?

– Au lendemain de la mort du Téméraire, elle pourra demander ce qu’elle voudra. En outre, je lui destine certain petit château entouré d’une belle terre qui n’est point éloigné de notre manoir de Plessis-lez-Tours...