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Aussi, fermement déterminé à ne pas perpétuer les Mortimer avant d’avoir eu la chance de retourner dans les Hautes Terres, le sergent la Bourrasque s’était-il consacré exclusivement à son métier de soldat en refusant avec obstination de s’apercevoir que villes et campagnes, sans compter la cour, offraient à son choix nombre de jolies jeunes filles et même de moins jeunes tout aussi charmantes. Pour l’hygiène, les ribaudes lui convenaient parfaitement. Quand l’envie lui en venait, il en prenait une sans y attacher plus d’importance que s’il s’agissait d’un gobelet de vin. Néanmoins, il la choisissait avec autant de soin que sa boisson.

Parvenu ainsi à l’âge de quarante ans, Douglas Mortimer élevait à près de six pieds sa tignasse roussâtre en accord parfait avec la longue moustache qui barrait son visage tanné, les épais sourcils qui abritaient ses yeux noisette – ceux de sa mère la Berrichonne ! – et un nez d’une pureté si parfaitement romaine que l’on s’était longtemps demandé, en famille, où il était allé le chercher. Brave comme tous les chevaliers de la Table Ronde, fort comme plusieurs Turcs, la Bourrasque savait dresser un cheval et montait comme un Mongol, tirait à l’arc mieux que Robin des bois, faisait sauter la tête d’un homme, casque compris, d’un seul coup de hache, maniait la lance, l’épée, la masse et le fléau d’armes avec une adresse qui confinait à la perfection et s’offrait par-dessus le marché le luxe d’être intelligent. Louis XI, pour lequel il avait déjà rempli quelques missions, l’avait choisi à cause de ces talents variés, bien sûr, mais aussi pour une autre raison : Mortimer qui avait déjà beaucoup voyagé au service de son maître connaissait la France, la Bourgogne, la Lorraine et tous autres pays limitrophes comme sa propre poche.

Un peu perplexe en face de cette force de la nature qui posait sur elle un regard d’une parfaite indifférence, Fiora demanda timidement si son guide n’était pas trop contrarié de quitter son régiment et son splendide équipement pour veiller sur une simple femme.

– Pas cette fois, répondit calmement la Bourrasque. Les Anglais, je les aime mieux au bout de ma lance qu’au bout d’une cuillère à pot ! Les Bourguignons sont plus amusants.

Esteban, lui, était franchement furieux :

– Je suis capable de vous défendre en toutes circonstances et contre n’importe quel ennemi, donna Fiora, et je n’ai pas besoin de cette montagne de muscles ! Sa présence est une offense à mon courage et à mon dévouement !

Démétrios entreprit de le calmer :

– Le roi ne te connaît pas. En outre, donna Fiora peut être exposée à de graves périls contre lesquels vous ne serez pas trop de deux. Enfin, tu pourrais penser à moi !

– Je sais, maître ! Crois-tu qu’il ne me soit pas pénible de te quitter ? Même pour peu de temps ?

– Ce n’est pas cela que je veux dire. Qu’un autre prenne ma place auprès de celle que je considère un peu comme ma fille est contrariant pour les projets que nous avons formés ensemble.

– Tu n’as rien à craindre, intervint Fiora qui rejoignait à cet instant les deux hommes dans la cour du château où le départ se préparait après un ultime entretien avec le roi. Où est ton don de double vue, Démétrios ? Le rideau de l’avenir ne se lève-t-il plus pour toi ?

– Je peux lire dans l’avenir des autres mais pas dans le mien.

– Eh bien, lis dans le mien ! Ne vois-tu rien de ce qui m’attend ? Souviens-toi du bal au palais Médicis !

– Tu n’étais pour moi qu’une inconnue alors. L’affection trouble la vue du mage. Tu m’es devenue chère, petite Fiora...

Emue, la jeune femme prit les mains du Grec et se haussa sur la pointe des pieds pour poser un baiser sur sa joue. C’était la première fois qu’il faisait allusion à un lien affectif entre eux et elle en était touchée :

– Tu me rejoindras bientôt, j’en suis certaine. Le roi me l’a promis !

Sans répondre, Démétrios avait posé ses deux mains sur la tête de Fiora en un geste qui était une bénédiction.

– De toute façon je te rejoindrai. Avec ou sans la permission du roi...

Puis, se détournant, il était parti à grands pas rejoindre son cheval et Philippe de Commynes qui, déjà en selle, lui faisait signe de se hâter. Fiora et Esteban se rendirent alors, en silence, jusqu’au chemin de ronde des remparts d’où, à présent, ils regardaient s’égrener l’interminable cortège. Celui-ci s’estompa peu à peu, ses brillantes couleurs brouillées dans la brume que formait la petite pluie fine et persistante...

– Allons nous préparer maintenant ! soupira Fiora. Notre Ecossais doit déjà nous attendre à l’auberge en trépignant...

En fait, Mortimer ne trépignait pas le moins du monde. Installé dans la grande salle, il vidait philosophiquement quelques pintes de bière tiède dans la meilleure tradition britannique. Posées devant lui, sur un banc, ses sacoches voisinaient avec une longue et large pièce de laine rousse grossièrement tissée dans laquelle un fil rouge et un fil vert dessinaient des carreaux et qui servait à la fois de manteau, d’écharpe et de couverture à l’Écossais. Vêtu de daim gris, il avait remplacé le grand béret à plumes de héron qui était d’uniforme par un autre, plus petit et en même tissu que son manteau, garni de plumes de faisan. Une dague et une longue épée pendaient de chaque côté de sa ceinture.

Ainsi équipé, Douglas Mortimer était superbe et majestueux à souhait ainsi qu’en témoignaient les yeux ronds de la jeune servante qui le contemplait, un doigt dans la bouche, sans qu’il y prêtât d’ailleurs la moindre attention. Mais, voyant entrer Fiora, il se leva, vida son pot, jeta une pièce sur la table, reprit son bagage et se dirigea vers la jeune femme :

– Prêt ! fit-il sobrement. L’étape de ce soir est à Villers-en-Retzi[x].

– L’étape de ce soir est à Paris, dit Fiora doucement mais fermement. J’ai à y faire !

– Pas question ! grogna l’Écossais. Le roi a ordonné : je vous conduis en Lorraine.

– Tout à fait d’accord mais il n’a pas précisé par quel chemin. Nous passerons par Paris !

– C’est du temps perdu. Quand le roi ordonne, on exécute. Le roi a dit en Lorraine, on va en Lorraine !

La voix du sergent la Bourrasque commençait à prendre quelque ampleur. Fiora comprit qu’il était temps pour elle d’user de cette vertu de patience que Démétrios proclamait souveraine en toutes choses :

– Écoutez, messire Mortimer : j’ai laissé à Paris, avec une jambe cassée, une femme qui m’a servi de mère, que j’aime infiniment, qui doit être en peine de moi et qui a le droit de savoir où je m’en vais. Je ne veux pas partir sans l’embrasser. Est-ce que vous pouvez comprendre cela ?

– Je ne comprends rien que les ordres du roi. Si vous vouliez faire le détour de Paris, il fallait le lui dire.

– Mais enfin qu’est-ce que cela peut vous faire de passer par un chemin ou par un autre ? s’écria Fiora qui commençait à perdre sa précieuse patience.

– A moi, rien, mais à mon cheval cela fait quinze lieues de plus et parfaitement inutiles. Sans compter le temps que nous allons perdre là-bas ! Ah, vous êtes bien une femme, hurla Mortimer dont la moustache commençait à se hérisser de fureur. Vous saurez que lorsque l’on a l’honneur...

Ils se dressaient l’un en face de l’autre comme des coqs de combat. Esteban se glissa entre les deux et prit Fiora aux épaules, tournant délibérément le dos à l’Ecossais :

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De nos jours Villers-Cotterêts.