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Ils causèrent ainsi sur un ton superficiel et parfaitement irréaliste jusqu’à ce que revînt Battista toujours aussi sale. Mais cette fois, La Marche en personne l’accompagnait avec quelques-uns de ses gardes. Le garçon fut remis debout sans douceur tandis que le Castillan faisait toute une affaire d’épousseter ses genouillères. Le capitaine des gardes était visiblement furieux :

– De soldats endormis, un page attaqué ! Qu’est-ce que cela signifie ? Et d’abord qui es-tu ?

– Virginio Fulgosi, sire capitaine. Je suis attaché à la personne de Mgr le comte de Campobasso, fit le jeune prisonnier qui visiblement reprenait son aplomb. C’est sur son ordre que je suis venu ici... Cette... cette femme avait fait tenir à mon maître un billet le suppliant de la faire évader...

– Curieuse façon de faire évader quelqu’un en l’attaquant avec ça ! s’écria Fiora indignée en brandissant la dague tachée de sang et la blessure qu’elle avait reçue à la main en se défendant. Ce misérable a tenté de me tuer et sans ce brave homme, ajouta-t-elle en désignant Esteban qui avait recoiffé son chapel et qui prenait un air modeste, je serais morte à l’heure qu’il est. Interrogez-le : il vous dira comment cela s’est passé... Ensuite vous pourrez toujours demander à Campobasso quels ordres il a donnés à ce garçon...

– Elle ment ! hurla Virginio qui se tordait comme une couleuvre sous la poigne des hommes qui le maintenaient. Cet homme et elle se connaissent. C’est un de ses anciens amants !

La gifle que lui asséna le Castillan avait de quoi assommer un bœuf mais sa voix n’était que vertueuse indignation quand il proclama :

– Bien sûr que je connais donna Fiora depuis longtemps ! Elle était haute comme trois pommes, quand je l’ai vue pour la première fois, à Florence chez son noble père. Et je connais aussi donna Léonarda, sa pieuse gouvernante, et Mgr le prince Lascaris, son grand-oncle... et je voudrais bien savoir ce qu’elle fait ici au milieu de tous ces hommes d’armes et à la merci du premier coquin venu !

-C’est bien, l’ami ! Nous verrons ce que Monseigneur le duc pensera de tout cela. Tu vas venir avec moi pour lui raconter ce qui s’est passé. Ensuite je ferai appeler messire Campobasso... Donna Fiora, je vous demande excuses pour tout ceci. Je vais vous envoyer maître Matteo de Clerici, le médecin de monseigneur, pour panser votre blessure.

– N’en faites rien, messire Olivier. Ce n’est pas profond et je saurai soigner moi-même cette écorchure. Mais je vous remercie de votre courtoisie et je vous recommande ce brave garçon, qui ne peut être qu’une excellente recrue pour l’armée de Monseigneur le duc : c’est un cœur vaillant et un bras solide.

Elle n’avait plus qu’un désir : être seule puisqu’il était impossible de parler avec Esteban mais, de le savoir près d’elle, veillant sur elle, était d’un grand réconfort. Ce qui ne l’empêchait pas de griller de curiosité. Par quel incroyable cheminement le Castillan en était-il venu à s’engager dans l’armée bourguignonne ? Il avait dit cette péripétie récente : mais qu’avait-il fait durant ces deux mois ? ... Incapable de trouver une réponse, elle mangea un peu de viande froide, une ou deux cuillerées de confiture et alla s’étendre sur son lit, y étalant son manteau pour suppléer la couverture qu’elle avait donnée à Battista. Pour la première fois depuis bien des nuits, son sommeil fut paisible, confiant, tant il faut peu de chose à un être jeune pour se sentir en sécurité. Pour qu’Esteban ait pu arriver à point nommé et sauver Fiora d’une mort certaine, c’est qu’une providence veillait sur elle. Mais ce secours venu de l’au-delà, elle ne l’attribuait pas à Dieu. Non parce qu’elle n’y croyait plus – elle n’avait jamais cessé de croire – mais parce que le Tout-Puissant semblait ne s’occuper des humains que pour les submerger de souffrances et d’épreuves. Non, si quelqu’un, là-bas, veillait sur elle, ce ne pouvait être que l’âme douloureuse de l’homme qui lui avait consacré sa vie, de ce Francesco Beltrami qu’elle ne cesserait jamais d’appeler son père.

Quand il revint, le lendemain, Battista apportait un plein panier de mauvaises nouvelles : d’abord, Philippe de Selongey avait été blessé – légèrement il est vrai — au cours d’une sortie tentée par les assiégés pour faire entrer un convoi de vivres par la porte de la Craffe. Ensuite, le page Virginio que Campobasso, fou de rage, avait ordonné d’exécuter, avait été sauvé par l’intervention du Téméraire en personne. Selon le duc, il n’était pas du tout certain qu’il n’ait pas dit la vérité et qu’il n’y eût pas tentative d’évasion. Le garçon avait été remis au prévôt de l’armée en attendant que l’affaire fût tirée au clair. Enfin, la pluie diluvienne avait provoqué un glissement de terrain qui avait enseveli toute une compagnie. L’armée, exaspérée par ce temps abominable, était à deux doigts de la rébellion et, selon le page, l’évêque de Metz, Georges de Bade, qui aurait voulu voir son frère le margrave devenir au moins gouverneur de Lorraine, ne cessait de parcourir le camp pour exhorter les hommes à la patience affirmant que le camp abondait en vivres, ces vivres qui manquaient cruellement à la ville bloquée...

– Mais, enfin, dit Fiora, leur fameux duc René, où est-il ? Ne va-t-il pas venir au secours de sa capitale affamée ?

– Je crois qu’il voudrait bien mais ne peut pas. Il est en France pour essayer d’obtenir du secours et des troupes du roi Louis mais celui-ci, si j’ai bien compris, ne tient pas du tout à rompre encore une fois les accords signés à Soleuvre...

– La place d’un chef est à la tête de ses troupes, surtout quand le combat est désespéré. Quant à vos Bourguignons je ne vois pas de quoi ils se plaignent : ils n’ont qu’à attendre tranquillement que la ville meure de faim. Est-ce si difficile ?

– Peut-être pas, mais c’est le second hiver qu’ils voient venir à se geler devant des portes qui refusent de s’ouvrir. Ils n’ont pas digéré Neuss et Nancy ne leur inspire aucune confiance. Il faut comprendre !

La dernière mauvaise nouvelle surgit en la personne du capitaine des gardes : le duc Charles ordonnait qu’on lui amenât sa prisonnière. Sans un mot, Fiora prit son manteau, jeta le capuchon sur sa tête et suivit l’officier à travers les rafales de pluie dans lesquelles le camp commençait à se dissoudre...

Elle trouva le duc dans une pièce plus petite que celle où il l’avait reçue la première fois. C’était, tendu de précieuses tapisseries d’Arras parfilées d’or, une sorte de cabinet d’armes. Le duc s’y tenait assis en compagnie d’un petit homme tout rond dont la figure avenante couronnée de courts cheveux gris frisottants était surmontée d’une mitre violette brodée d’or. Des flots de cendal couleur d’améthyste emballaient un corps qui donnait l’impression d’être ovoïde. Une grande croix d’or et de rubis pendait à son cou au bout d’un ruban assorti à la robe d’où dépassaient de petits pieds chaussés de pantoufles de velours et de petites mains blanches et dodues que l’anneau pastoral avait l’air d’écraser.

Comprenant que ce devait être là le légat papal, Fiora plia le genou devant lui, se donnant ainsi le plaisir de faire attendre un instant au Téméraire le salut qu’elle lui devait. Quand elle lui eut rendu cet hommage de politesse, elle attendit calmement ce qui allait suivre.

– Voici, dit le duc d’un ton bref, la femme dont j’ai parlé à Votre Eminence et dont on ne sait trop ni qui elle est ni d’où elle vient. Elle se nomme Fiora Beltrami, secrètement épousée paraît-il par le comte de Selongey, notre fidèle serviteur, mais il semblerait qu’elle soit aussi une espionne de Louis de France qui, dans un but obscur, est devenue la maîtresse du comte de Campobasso. Elle l’a rendue à moitié fou et il a provoqué en duel, comme vous le savez, messire Philippe...