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– N’aimez-vous pas votre jeune duc ?

– Il est charmant mais c’est un enfant, comme dit monseigneur Charles. Il n’est pas de taille à se mesurer à un tel prince. Il faut vivre avec son temps, que voulez-vous !

Une partie de la noblesse lorraine se rallia d’ailleurs au nouveau seigneur. Cela choquait quelque peu Fiora qui se rétablissait doucement et qui commençait à se demander ce qu’il en adviendrait d’elle-même. Battista Colonna venait chaque jour prendre de ses nouvelles et causer avec elle. Il lui avait appris le départ de Philippe pour la Savoie et aussi la scène violente qui, à cause d’elle, avait opposé Campobasso au duc Charles. Le condottiere, ayant su que Fiora demandait l’annulation de son mariage, conçut de grands espoirs et exigea qu’on lui accordât le titre de fiancé, réclamant du même coup l’autorisation d’aller visiter chaque jour celle qu’il considérait comme la future comtesse de Campobasso.

– Monseigneur, raconta Battista, lui a déclaré qu’il n’était nullement question que vous puissiez l’épouser, qu’en ce qui le concernait il s’y opposait formellement et que, d’ailleurs, il entendait vous garder par-devers lui comme otage... terme que Monseigneur Charles a employé. Toujours est-il que Campobasso est parti en claquant les portes et en jurant que, de sa vie, il ne servirait un prince qui ne reconnaissait pas à leur valeur les services rendus. -Parti ? Mais pour où ?

– Vous n’allez pas me croire : pour Saint-Jacques-de-Compostelle où il veut faire pèlerinage !

Fiora éclata de rire, Campobasso sous la bure et le chapeau du pèlerin lui semblait une image du plus haut comique.

– Et il s’y rend avec toute sa troupe de mercenaires ? Cela va faire un beau cortège !

– Je crois qu’il va laisser sa condotta à son château de Pierrefort, ce qui le dispensera de la payer. On dit que, depuis pas mal de temps déjà, il réserve pour lui-même l’argent qu’il perçoit du duc. Il a annoncé aussi qu’il comptait rendre visite au duc de Bretagne qui serait un peu son parent...

– N’importe quoi ! soupira Fiora mais, en son for intérieur, elle était plutôt satisfaite.

D’une part d’être débarrassée d’un homme qu’elle jugeait à présent plus qu’encombrant et ensuite d’avoir, somme toute, parfaitement accompli sa mission. En effet, connaissant le condottiere comme elle le connaissait, le grand saint Jacques et le duc de Bretagne devaient se résumer en un seul personnage : le roi de France, auprès duquel, très certainement, Campobasso allait déverser ses griefs. Et c’était bien à cela qu’elle avait souhaité l’amener. Ce qui lui permit de se réjouir pleinement d’en avoir terminé avec une aventure qu’elle jugeait peu glorieuse...

En revanche, cette excellente nouvelle s’accompagnait d’une autre... qui l’était moins. Peu de temps après l’entrée à Nancy, elle avait demandé au légat qu’on lui retrouve Esteban afin qu’il puisse reprendre son service auprès d’elle. Or, le jeune Colonna lui apprit que le Castillan était introuvable. Il semblait qu’au lendemain du soir où il avait sauvé Fiora du poignard de Virginio, Esteban se fût volatilisé. Ni le chef de la compagnie où il s’était engagé ni les autres soldats ne savaient ce qu’il était devenu... Et Fiora, à l’inquiétude qu’elle en éprouva, comprit qu’à son humble place, le Castillan avait gagné une petite partie de son cœur, comme Démétrios et comme tous ceux qui s’étaient comportés envers elle en amis véritables.

Cette disparition faisait qu’elle se sentait plus déracinée que jamais et elle ne comprenait pas pourquoi le duc tenait tant à la garder auprès de lui. Ne l’avait-il dit que pour se débarrasser de Campobasso ou bien cette histoire d’otage était-elle sérieuse ? Du fond de ce lit étranger, dans cette maison étrangère au cœur d’une ville et d’un pays étrangers, la jeune femme ne souhaitait plus que de retourner à Paris pour y rejoindre sa chère Léonarde dont l’absence lui était de plus en plus pénible. Noël approchait et elle appréhendait à présent cette douce fête où se réunissent ceux qui s’aiment. Pour elle ce serait le Noël de la solitude, le premier qu’elle allait vivre sans son père et sans Léonarde. Même Philippe, cette ombre d’époux, était au loin, perdu à jamais pour elle... A dix-huit ans, le cœur n’a pas encore oublié les tendres joies de l’enfance ni la douceur du foyer paternel et Fiora, durant la nuit entière, pleura, elle dont l’orgueil détestait les larmes, sur les cendres, encore chaudes, de son palais incendié et de son bonheur détruit.

– Moi aussi je suis séparé des miens, lui confia au matin Battista en remarquant ses yeux rougis, et si vous ne souhaitez pas vous mêler à vos hôtes pour la fête, je pourrais m’en venir et vous chanter de jolies chansons de chez nous...

Ce qui eut pour conséquence immédiate de la faire pleurer de plus belle à sa grande confusion. En vérité, elle devenait d’une affligeante sensibilité ! Elle embrassa l’enfant sur les deux joues pour le remercier de son amitié.

Or, à la veille de la Nativité, trois cavaliers qui ne ressemblaient en rien aux rois mages, surgirent des chemins enneigés et franchirent la porte de la Craffe : un homme, une femme et un jeune garçon. C’étaient, dans l’ordre : Douglas Mortimer superbe sous son harnois de la Garde Ecossaise mais de fort méchante humeur de se présenter en pareille compagnie, Léonarde, juchée sur une mule et emmitouflée de lainages et de fourrures, aussi sereine que son compagnon était grognon, enfin le jeune Florent, l’apprenti banquier gagné par le démon de l’aventure, qui s’était pendu aux basques de la vieille demoiselle en refusant farouchement de s’en séparer avec, bien sûr, au fond de son cœur innocent, l’espoir de revoir la belle dame de ses pensées...

Tout ce monde se retrouva bientôt devant Olivier de La Marche un peu déconcerté par cette arrivée pittoresque :

– Je dois remettre à Monseigneur le duc une lettre du roi de France et en attendre réponse, dit Mortimer du ton rogue qui lui était habituel.

– Vous serez conduit à lui dans un instant... mais quelles sont ces personnes ? Vous voyagez en famille ?

Avant que l’Écossais qui avait viré au rouge brique ait libéré les mots que la colère coinçait dans sa gorge, Léonarde s’était chargée de la réponse.

– Moi, de la famille de cet ours mal léché ? Sachez, sire capitaine, qu’il a seulement été chargé par Sa Majesté le roi de nous protéger, moi et ce jeune homme, au long du voyage depuis Paris. Sachez aussi que je désire voir votre maître. Je suis la gouvernante de donna Fiora Beltrami qu’il retient prisonnière et je suis venue la chercher car il ne convient pas qu’une jeune dame de sa qualité se trouve seule en compagnie de soudards !

– Je vois, dit La Marche. Et celui-là ? ajouta-t-il en désignant Florent.

– Mon jeune valet, ou mon page comme il vous plaira. Je suis dame Léonarde Mercet, déclara-t-elle du ton altier qu’elle eût employé pour dire : je suis la reine d’Espagne.

– Vous m’en direz tant ! fit le capitaine, mi-figue, mi-raisin. Votre nom, messire ?

– Douglas Mortimer, des Mortimer de Glen Livet, officier de la Garde Ecossaise du roi Très-Chrétien, Louis, onzième du nom, lança celui-ci en homme qui sait ce qu’il représente... La Marche d’ailleurs s’inclina : -Veuillez me suivre !

Quelques instants plus tard, l’Ecossais et la vieille fille pliaient le genou devant le Téméraire qui, superbe à son habitude, donnait ses audiences du mardi dans la salle des états de Lorraine. Si Léonarde fut impressionnée par le faste qui l’entourait, elle n’en montra rien et ce fut un regard fort paisible qu’elle posa sur l’homme dont on disait qu’il faisait trembler la moitié de l’Europe.