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L’ambassadeur milanais ne put retenir une protestation indignée :

– Est-ce façon, monseigneur, de traiter des soldats ? Ils se sont battus parce que c’était leur devoir. Pardonnez-moi mais ceci est indigne d’un grand chef de guerre.

– Allons ! Ces gens ne méritent pas d’autre traitement. Souvenez-vous que leurs pareils ont dévasté plusieurs cités du pays de Vaud... Il en arrivera autant d’ailleurs à tous les Suisses qui me tomberont sous la main.

– Encore une fois, monseigneur, ce sont des soldats ! et ils se sont rendus...

– Je vous trouve bien sensible, Panigarola ? Cela servira de leçon à ce ramassis de marchands, de toucheurs de bœufs et de chasseurs...

– Certains de ces chasseurs traquent l’aigle et l’ours.

– Et je dis, moi, que c’est une infamie ! cria Fiora qui ne pouvait plus contenir son indignation. Tuer des hommes désarmés est une lâcheté à laquelle je refuse d’assister plus longtemps !

Tournant les talons et bousculant ses voisins, elle prit sa course en direction du camp, gagna sa tente où Léonarde lisait ses heures et y pénétra en trombe :

– Venez, Léonarde ! Nous partons. Je vais chercher des chevaux. Emballez vite le peu que nous possédons et préparez-vous !

– Que se passe-t-il ?

– Le duc Charles est en train de faire assassiner les malheureux qui se sont rendus ce matin. Il arrivera ce qu’il arrivera mais je ne resterai pas auprès de ce bourreau une minute de plus !

– Enfin ! soupira la vieille demoiselle en se précipitant sur un sac de cuir qu’elle se mit en devoir de remplir. Voilà des jours que j’espérais cela !

– Vous êtes contente de partir ? Par le temps qu’il fait et alors que je ne sais même pas où nous allons ?

– Il tomberait des hallebardes et des grêlons gros comme le poing que je me précipiterais dehors quand même. Quant à savoir où nous allons, je vous le dirai tout à l’heure. Allez chercher les chevaux !

Un moment plus tard, les deux femmes galopaient sur la route de Montagny dans l’intention de refaire le chemin parcouru à l’aller et de repasser le col de Jougne puisque c’était le seul itinéraire qu’elles connussent. La route défoncée par le passage de l’armée et de l’artillerie serait au moins facile à suivre...

Soudain, à un détour du chemin, elles virent se dresser devant elles ce qui leur parut être un mur de fer : une cinquantaine de chevaliers armés de toutes pièces, en tête desquels Fiora, dont le cœur manqua un battement, reconnut les aigles d’argent sur champ d’azur. D’ailleurs, la visière relevée du casque ne laissait aucun doute sur l’identité de son propriétaire. Fiora hésita un instant mais constata vite que toute échappatoire était impossible et elle décida de faire front...

En dépit de son déguisement, Philippe la reconnut aussitôt.

– Vous ? ... Et dans cet équipage ? Mais où prétendez-vous aller ? Et avant que Fiora ait pu répondre, il ajoutait : je suis heureux de vous revoir, dame Léonarde, mais je vous croyais plus de sens.

Il avança son cheval jusqu’à toucher celui de Fiora et ne put s’empêcher de sourire :

– Quel charmant garçon vous êtes ! Mais, pour l’amour du ciel, dites-moi ce que vous faites là ?

– C’est assez évident il me semble ? Je pars, je m’enfuis, je me sauve ! L’otage a pris la clé des champs ! lança-t-elle avec colère. Pour tout l’or du monde, je ne resterai pas un instant de plus, quoi qu’il puisse arriver, auprès de ce monstre qu’est votre duc !

– Le duc un monstre ? Mais que vous a-t-il fait ?

– A moi ? rien... encore qu’il y ait peut-être matière à discussion, mais là n’est pas la question. Je viens de voir comment il traite les soldats de Grandson dont la seule faute est d’avoir osé lui résister. Ils se sont rendus à merci et on les massacre, par dizaines. On les jette du haut des remparts, on les pend ou les noie afin qu’il n’en reste plus un seul pour appeler sur votre maître la vengeance du ciel. Ce qui n’empêche qu’elle l’atteindra un jour !

Le silence qui suivit traduisit la gêne de Philippe qui avait pâli :

– Quand la colère le prend, il peut être effrayant, je le sais et...

– En colère, lui ? Pas le moins du monde. Il sourit et même il rit tant il trouve plaisant le spectacle...

– Il semble d’ailleurs coutumier du fait, dit paisiblement Léonarde. J’ai entendu parler de ses exploits à Dinant et à Liège où il n’a même pas accordé la vie sauve aux chats !

– Laissez, chère Léonarde ! Vous ne convaincrez pas messire de Selongey. Le Téméraire est son dieu... mais moi qui préfère en servir un plus clément, je vous prie de nous livrer passage afin que nous puissions continuer notre voyage.

– Etes-vous si pressées ? temporisa Philippe. J’avoue que j’espérais vous voir en rejoignant le camp...

– Nous n’avons plus grand-chose à nous dire, Philippe. J’ai demandé que notre mariage soit annulé. Ainsi vous serez libre et le cher duc sera content. Je crois qu’il vous tient en réserve quelque grande dame...

– Que voulez-vous que j’en fasse ? cria Selonguey que le ton de persiflage de la jeune femme agaçait. Quant à cette annulation, je n’en veux pas. Je n’ai aimé et n’aimerai jamais que vous, Fiora, et quoi que vous ayez pu faire...

– Ce que « j’ai » pu faire ? Apparemment ce serait vous qui auriez quelque chose à me reprocher ?

– Il me semble, oui ! Avez-vous déjà oublié Thionville ?

– Inutile de crier et de réjouir vos compagnons avec nos querelles. J’en vois plus d’un sourire. Il est vrai que les distractions anodines sont plutôt rares dans ce pays. Mais, dans quelques instants vous pourrez leur offrir beaucoup mieux : des arbres supportent des grappes humaines. Le duc vous expliquera que c’est le summum du comique. A présent, je veux passer !

– Je ne vous laisserai pas partir ! dit Philippe en s’emparant de la bride du cheval de Fiora.

A cet instant d’ailleurs, un nouveau cavalier, lancé au galop, débouchait du tournant de la route et dut faire preuve d’une réelle science équestre pour arrêter sa monture avant la collision.

– Donna Fiora ! s’écria Battista Colonna. Dieu soit loué ! je vous retrouve !

– Vous me cherchiez ?

– Monseigneur vous cherche. Il ordonne que vous rentriez au camp immédiatement. J’ai ordre de vous ramener à tout prix.

– Voilà qui est fait, Battista. A présent, vous pouvez retourner dire à votre maître que je refuse de revenir. Il a exigé que je le suive dans cette guerre mais je ne m’en sens vraiment plus le courage. J’en ai vu plus que je n’en peux supporter. Dites-le-lui ! ...

– Ah !

Le jeune garçon devint très rouge et détourna la tête.

– C’est là votre dernier mot ? murmura-t-il.

– Absolument... Pardonnez-moi, Battista ! Je sais que je vous confie là une mauvaise commission mais...

– Je crois qu’elle est même plus mauvaise encore que vous ne l’imaginez, intervint Philippe. Que se passera-t-il si donna Fiora ne revient pas avec nous, Colonna ? Je jurerais que vous en répondez... peut-être même sur votre tête ?

– Ce n’est pas possible ! protesta Fiora. Il ne peut pas rendre cet enfant responsable de ma conduite ?

– C’est très possible au contraire. Quand le duc Charles entre en fureur, il ne raisonne plus, ne se contrôle plus... et vous l’avez peut-être offensé gravement ? Que lui avez-vous dit ?

– Je ne sais plus exactement mais je crois que j’ai parlé d’infamie... de lâcheté... Battista, je vous en prie, dites-moi la vérité ! Messire de Selongey a-t-il raison ?