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– Voilà qui simplifie les choses, commenta Léonarde. Nous ne savions pas comment nous rendre à Nancy et voici que l’on se propose de nous y conduire. L’armée se rassemble tous les jours. Bientôt nous partirons...

Le vaste plateau en effet se peuplait presque à vue d’œil. La Bourgogne tenait ses promesses et envoyait des troupes et des armes. On vit venir des Picards, des Wallons et des Luxembourgeois, quelques Anglais aussi obtenus non sans peine du roi Edouard par la duchesse Marguerite. Galeotto rejoignit l’un des premiers avec ses lances et ses charpentiers. Les soldats s’installaient dans les villages et les hameaux dont les habitants retenaient leur souffle en dépit des ordres sévères du Téméraire touchant le vol, le viol ou le pillage. D’autres campaient directement sous la tente et leurs feux de cuisine, la nuit venue, s’échevelaient sous le vent venu des montagnes. Le château s’emplissait de seigneurs et de capitaines qui y menaient grand bruit. Ce n’étaient que colloques, conciliabules, beuveries aussi il faut bien le dire, et Fiora ne quittait plus son appartement où Panigarola venait souvent se réfugier quand il était las des récits d’exploits guerriers. Elle ne voyait presque plus le duc et ne s’en plaignait pas. Le temps n’était plus aux chansons : le bruit des armes avait pris leur place et emplissait tout. Les oiseaux eux-mêmes et les animaux des bois fuyaient vers la montagne... Et puis, un matin, Panigarola vint faire ses adieux à Fiora.

En le voyant paraître botté et son manteau de cheval sur le bras, la jeune femme comprit ce qu’il en était avant même qu’il n’ait ouvert la bouche :

– Ne me dites pas que vous partez ?

– C’est bien cela pourtant. Le duc vient de me donner mon congé avec plus de bonne grâce d’ailleurs que je n’aurais osé l’espérer dans de telles circonstances...

– Milan et la Bourgogne ne sont plus alliées ?

– Non. Il est déjà inespéré que nous ne soyons pas en guerre. Monseigneur a bien voulu me dire qu’il me regretterait...

– Il n’est pas le seul. Je suis... navrée de vous perdre, mon ami. Nous reverrons-nous jamais ?

– Pourquoi pas ? Milan n’est pas si loin et je tiens à ce que vous sachiez que ma maison sera toujours prête à vous accueillir.

– Sauf si vous n’y êtes pas. Qui dit que l’on ne vous enverra pas demain chez le Grand Khan ?

– Il y a peu de chance : sa langue m’est inconnue. Mais... je suis venu aussi vous communiquer la nouvelle que je viens d’apprendre de Galeotto : Campobasso revient !

– Ici ?

– Peut-être pas. Mais il a écrit au duc pour lui proposer de reprendre du service avec sa condotta. Cela représente près de deux mille hommes et sa proposition a été accueillie avec transport.

Fiora rejoignit Léonarde qui cousait près de la fenêtre.

– Vous avez entendu ? Il faut que nous nous préparions à partir sur l’heure. Attendez-nous un moment, mon ami, nous ferons route ensemble ! ...

Elle se précipitait déjà vers un coffre qu’elle ouvrit.

– Je vous en prie, n’en faites rien. J’avais prévu votre réaction et j’ai demandé la permission de vous emmener. Monseigneur refuse formellement de vous laisser partir.

Laissant retomber le couvercle, Fiora hésita un instant puis marcha vers la porte :

– Il ne me le refusera pas à moi. Je ne veux plus rester ici, au milieu de tous ces hommes d’armes, dont les regards souvent me déplaisent, à attendre que Campobasso ne s’empare à nouveau de moi.

– N’y allez pas, Fiora ! Ce sera inutile. Tout ce que vous y gagnerez sera peut-être de vous retrouver tout à fait prisonnière.

– Mais enfin, il y a peu, vous me proposiez de m’aider à fuir ?

– En effet ! ... mais je ne savais pas tout. Et même je ne savais rien. Plus jamais le duc Charles ne vous autorisera à vous éloigner de lui. Et si vous prenez la fuite, vous savez quelle sera la conséquence ?

– C’est insensé ! s’écria Léonarde. Ce n’est plus de l’amour, c’est de la rage.

– Ni l’un ni l’autre, donna Léonarde... C’est de la superstition. Quand nous avons séjourné à Besançon, l’hiver passé, un rabbin versé dans la kabbale a dit à monseigneur que la mort ne l’atteindrait pas tant que vous seriez auprès de lui, Fiora. Voilà pourquoi il vous a reconnue si hautement pour la dame de Selongey car cela fait de vous une Bourguignonne ; pourquoi il veut vous garder à sa cour quand la guerre aura pris fin ; pourquoi enfin Battista doit mourir si vous prenez la fuite. Vous êtes devenue comme son ange gardien.

D’abord médusée, Fiora éclata brusquement de rire :

– Moi, son ange gardien ? Moi qui en quittant Florence ne rêvait que de le tuer ? ... Il y a là de quoi me faire revenir à mes premières idées.

– N’essayez pas car vous n’y parviendrez pas quoi que vous fassiez. La lame du poignard cassera, le poison sera sans effet...

– Mais enfin vous croyez à ces folies, vous, si logique et si bon philosophe ? Qui vous a dit cela ? Le duc ?

– Non. Le Grand Bâtard que je priais d’intercéder pour vous et qui, depuis longtemps, a demandé que l’on vous rende votre liberté.

– Il faudrait alors que Battista rentre chez lui. Après tout il est romain, cet enfant, et il n’appartient pas vraiment à la maison de Bourgogne. Son maître n’était-il pas le comte de Celano ?

– Qui a disparu à Grandson et dont on ne sait ce qu’il est devenu. Mais je vous en prie calmez-vous ! Rien n’est encore perdu. En vous quittant, je dois m’arrêter à Saint-Claude pour y attendre Mgr Nanni. Le légat espère toujours arriver à conclure la paix entre la Bourgogne et les Cantons. Le pape et l’empereur y sont attachés et il a désiré me rencontrer. Nous verrons ensemble ce que nous pouvons faire. Le jeune Colonna pourrait être rappelé à Rome... par un deuil familial, par exemple ?

– Vous pensez obtenir du légat qu’il profère un aussi gros mensonge ?

En dépit de la gravité du moment, Panigarola se mit à rire.

– Ma chère enfant, apprenez qu’en politique comme en diplomatie, le mensonge et la vérité sont des notions tout à fait abstraites. Il n’y a que le résultat qui compte... et Mgr Nanni est l’un des meilleurs diplomates que je connaisse. Ainsi donc prenez patience ! ... et permettez à un vieil ami de vous embrasser car vous lui êtes devenue chère. Portez-vous bien, donna Léonarda !

– Je n’y manquerai pas, messire, fit celle-ci avec une petite révérence et j’en souhaite tout autant à Votre Excellence !

Le soir venu, le duc Charles, à la surprise de Fiora, se fit annoncer chez elle. Et elle constata du premier regard qu’il était triste.

– Je viens vous demander à souper, donna Fiora, dit-il en prenant sa main pour la relever de sa révérence. Et, à moins que cela ne vous contrarie, on servira ici.

-Monseigneur ne sait-il pas qu’il est chez lui ?

– Ne soyez pas si cérémonieuse. Vous devez être aussi affligée que moi. N’avons-nous pas perdu un ami ?

– Je ne crois pas. Vous avez perdu l’ambassadeur, non l’ami qui vous reste certainement attaché.

– Puissiez-vous dire vrai mais je mesure à ces défections combien la gloire de la Bourgogne est ternie. Il est urgent qu’une grande victoire lui restitue tout son éclat. Heureusement vous me restez.

En dépit de ce qu’avait dit Panigarola, Fiora ne put s’empêcher de tenter sa chance :

– Tenez-vous vraiment à m’emmener encore en guerre, monseigneur ? J’en suis... affreusement lasse ! La guerre me fait horreur...

– Vous voulez me quitter, vous aussi ? Qu’est devenu mon jeune écuyer si vaillant ? Qu’est devenue la dame de Selongey qui tenait tant à maintenir auprès des miennes les couleurs de son époux ?