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Lloyd se pencha légèrement en avant.

— Pourquoi dites-vous ça ?

— Bah ! C’était bien Rome, pas de doute. Tout près du Colisée. Et je conduisais une voiture… sauf que je ne conduisais pas, enfin, pas exactement. La voiture semblait se déplacer d’elle-même. Et je ne pouvais pas trop savoir pour celle dans laquelle je me trouvais, mais beaucoup des autres véhicules flottaient à peut-être vingt centimètres du sol. (Il haussa les épaules.) Comme j’ai dit, ça ressemblait à une sorte de simulation.

Sven et Antonia, qui auparavant avaient eux aussi évoqué des voitures volantes plus tôt dans la journée, opinaient vigoureusement.

— J’ai vu la même chose, dit Sven. Pas à Rome, mais il y avait ces voitures qui flottaient.

— Moi aussi, ajouta Antonia.

— C’est fascinant, commenta Lloyd avant de se tourner vers son jeune étudiant diplômé, Jake Horowitz. Qu’avez-vous vu, Jake ?

Quand il répondit, le jeune homme le fit d’une voix flûtée, tout en passant nerveusement les doigts d’une main dans sa tignasse rousse.

— La pièce était très quelconque. Un labo quelque part. Murs jaunes. Il y avait un tableau de Mendeleïev sur un des murs, quand même, en anglais. Et Carly Tompkins était présente.

— Qui ? fit Lloyd.

— Carly Tompkins. Enfin, je pense que c’était elle. Mais elle m’a semblé bien plus âgée que la dernière fois où je l’ai vue.

— Qui est Carly Tompkins ?

Assis un peu plus loin dans le cercle, Théo répondit à la place de Jake :

— Vous devriez la connaître, Lloyd, elle est Canadienne. Carly travaille sur les mésons. La dernière fois que j’ai entendu parler d’elle, elle était au TRIUMF.

— Exact, approuva Jake. Je ne l’ai rencontrée qu’en deux ou trois occasions, mais je suis quasiment certain que c’était elle.

Antonia, qui aurait dû être la prochaine à prendre la parole, parut intriguée.

— Puisque Carly figurait dans la vision de Jake, il serait intéressant de savoir si sa vision à elle incluait Jake…

Tout le monde regarda l’Italienne.

— Il y a une façon de le savoir, dit Lloyd, c’est de lui téléphoner. Jake, vous avez son numéro ?

L’étudiant grimaça.

— Non. Comme je l’ai dit, je la connais à peine. Nous avons assisté ensemble aux mêmes séminaires lors de la dernière réunion de l’American Physical Society et j’ai entendu sa conférence traitant de la chromodynamique.

— Si elle est membre de l’APS, elle sera dans le répertoire, dit Antonia.

Elle traversa la salle et fouilla sur une étagère jusqu’à trouver un mince volume à la couverture en carton fort. Elle le parcourut.

— Et voilà, annonça-t-elle. Numéros professionnel et perso.

— Je… Euh, je n’ai pas trop envie de l’appeler, déclara Jake.

Lloyd fut un peu étonné de sa réticence, mais il ne poussa pas plus loin sur le sujet.

— Pas de problème. Il n’est pas indispensable que vous lui parliez. Je veux seulement savoir si elle vous mentionne spontanément.

— Vous aurez peut-être du mal à la joindre, fit remarquer Sven. Le réseau téléphonique est en surcharge, avec tous ces gens qui essaient d’avoir des nouvelles de leurs proches et de leurs amis…

— Ça vaut quand même le coup d’essayer, dit Théo.

Il se leva et alla prendre l’annuaire des mains d’Antonia. Puis son regard passa du téléphone à la page ouverte devant lui.

— Comment fait-on pour appeler un numéro au Canada, d’ici ?

— Pareil que pour les States, répondit Lloyd. L’indicatif du pays est le même : 01.

L’index de Théo exécuta une danse rapide sur le clavier pour entrer une longue série de chiffres. Puis, à l’attention des autres, il tendit un à un les doigts de sa main libre pour indiquer le nombre de sonneries : Une. Deux. Trois. Quatre…

— Oh, bonjour. Carly Tompkins, je vous prie… Bonjour, docteur Tompkins. Je vous appelle de Genève, du CERN. Écoutez, nous sommes quelques-uns rassemblés ici. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais brancher le haut-parleur.

Une voix ensommeillée :

—… comme vous voulez. Qu’est-ce qui se passe ?

— Nous aimerions avoir une description de votre hallucination, après que vous avez perdu connaissance.

— Hein ? C’est quoi, une blague ?

Théo regarda Lloyd.

— Elle ne sait pas, murmura-t-il.

Lloyd se racla la gorge avant de parler d’une voix forte :

— Docteur Tompkins, ici Lloyd Simcoe. Je suis moi aussi Canadien, quoique j’aie été avec le groupe D-Zéro à Fermilab jusqu’en 2007, et depuis deux ans ici, au CERN. (Il marqua un temps, sans trop savoir qu’ajouter.) Quelle heure est-il, chez vous ?

— Pas loin de midi, fit-elle en étouffant un bâillement. C’est mon jour de repos. Je faisais la grasse matinée. De quoi s’agit-il ?

— Donc vous ne vous êtes pas levée, aujourd’hui ?

— Non.

— Vous avez une télé dans votre chambre ?

— Oui.

— Allumez-la. Regardez les infos.

— M’étonnerait que je capte les infos suisses, rétorqua-t-elle avec une pointe d’irritation. Ici, c’est la Colombie Britannique.

— Il n’est pas nécessaire que ce soient les infos suisses. N’importe quelle chaîne d’infos fera l’affaire.

Tous dans la salle entendirent le soupir de Tompkins qui fit crachoter le haut-parleur.

— Bon, d’accord. Une seconde.

Ils perçurent ce qui devait être CBC Newsworld en fond sonore. Après ce qui leur sembla être une éternité, Tompkins reprit le combiné.

— Oh, mon Dieu, souffla-t-elle. Mon Dieu…

— Mais vous, vous avez dormi pendant que ça se produisait ? demanda Théo.

— J’en ai bien peur, oui, dit la voix à l’autre bout du monde. Pourquoi m’avez-vous appelée ?

— Le programme d’infos que vous regardez a-t-il déjà abordé le sujet des visions ?

— Joël Gotlib est en train d’en parler, répondit-elle, et ils supposèrent qu’elle faisait référence à un journaliste canadien. Tout ça a l’ait dément. En tout cas, il ne m’est rien arrivé de comparable.

— Très bien, dit Lloyd. Désolés de vous avoir dérangée, Docteur Tompkins. Nous allons vous…

— Une seconde, intervint Théo.

Lloyd dévisagea le jeune homme.

— Docteur Tompkins, je m’appelle Théo Procopides. Nous nous sommes croisés une ou deux fois, lors de conférences.

— Si vous le dites.

— Docteur Tompkins, poursuivit Théo, je suis comme vous : je n’ai eu aucune vision, moi non plus. Pas de vision, pas de rêve, rien du tout.

— Un rêve ? répéta la voix. Ah, maintenant que vous en parlez, oui, je crois bien que j’ai fait un rêve. Le plus bizarre, c’est qu’il était en couleurs, et je ne rêve jamais en couleurs. Mais je me souviens du type dans ce rêve, parce qu’il avait les cheveux roux.

Théo parut déçu. Manifestement, il avait été heureux de découvrir qu’il n’était pas un cas unique. Mais tous les autres regards s’étaient braqués sur Jake.

— Et en plus, il avait des sous-vêtements rouges, précisa Carly.

Les joues du jeune Jake adoptèrent aussitôt cette couleur.

— Des sous-vêtements rouges ? dit Lloyd.

— C’est ça.

— Et vous connaissiez cet homme ?

— Non, je ne crois pas.

— Il ne ressemblait à personne que vous ayez déjà rencontré ?

— Il ne me semble pas.

Lloyd se pencha un peu plus sur le téléphone.