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— Vous savez quelque chose ?

— Moi ? fit-elle, l’air perplexe. Non. Non, désolée.

— Ah. Alors pourquoi en parlez-vous ?

— Eh bien, j’ai réfléchi à la question, c’est tout. Vous ne pouvez pas être le seul à vouloir désespérément en savoir plus sur son avenir.

— J’imagine, oui.

— Eh bien, je pense qu’il faudrait mettre au point une méthode centralisée pour coordonner tout ça. Je veux dire, ce matin j’ai vu votre post dans un newsgroup.… et ce n’était pas le seul du genre.

— Oh ?

— Il y a des tas de gens qui recherchent des renseignements sur leur avenir personnel. Tout le monde ne cherche pas à avoir des détails sur les circonstances de sa mort, bien sûr, mais… Attendez, je vais vous lire un échantillon de ces messages. Elle s’assit et consulta ses documents avant de commencer :

— « À l’attention de quiconque aurait des informations concernant la situation future de Marcus Whyte, merci de contacter… », « Étudiant recherche tuyaux sur sa carrière : si votre vision a donné des indications sur les boulots ayant la cote en 2030, faites-le-moi savoir », « Recherche renseignements sur l’avenir du Comité international de la Croix-Rouge… »

— Fascinant, lâcha Théo.

Il comprenait ce que Michiko faisait actuellement : elle s’immergeait dans une tâche — n’importe laquelle — pour ne pas penser à la perte de Tamiko.

— N’est-ce pas ? dit la Japonaise. Et le Web est aussi envahi par les encadrés de grosses sociétés qui recherchent des infos qu’elles pourraient utiliser à leur profit. J’ignorais qu’on pouvait obtenir un bandeau publicitaire aussi rapidement, mais je suppose qu’à peu près tout est possible quand on est prêt à payer pour l’avoir.

Elle se tut et son regard s’égara. À coup sûr elle pensait à Tamiko. Hélas, certaines choses étaient impossibles, même si on était prêt à payer n’importe quel prix. Après un moment, elle reprit le fil de son discours :

— En fait, je pense que c’était peut-être une erreur d’exposer à tous cette information sur votre meurtre futur. Ce matin encore, je disais à Lloyd que les compagnies d’assurances sont sans doute déjà en train de rassembler une masse de données sur les gens morts durant les vingt prochaines années, afin de refuser des contrats à certaines personnes…

Une sensation bizarre envahit l’estomac de Théo. Il n’avait pas envisagé cet aspect des choses.

— Donc vous pensez qu’il faudrait coordonner tout ça ? dit-il.

— Enfin, pas au niveau commercial. Je ne voudrais pas que mes patrons de Sumitomo m’entendent dire ça, mais je me contrefïche de savoir quelles sociétés feront fortune. Je parle des données personnelles, des gens qui essaient de savoir ce que l’avenir leur réserve, ou de comprendre leur vision. Je pense que nous devrions les aider.

— Vous et moi ?

— Euh, pas seulement nous deux. Tout le CERN.

— Béranger n’acceptera jamais, fit Théo en secouant la tête. Il refuse que nous reconnaissions la moindre implication dans tout ça.

— Rien ne nous y oblige. Nous pouvons simplement nous porter volontaires pour mettre sur pied une base de données. Nous possédons le matériel nécessaire, c’est évident, et puis, après tout, le CERN a un passé éloquent en matière d’informatique au service de tous. Le World Wide Web a été créé ici, non ?

— C’est vrai. Alors, vous proposez quoi ? demanda Théo.

Michiko réprima un léger haussement d’épaules.

— Un dépôt central. Un site Web avec un formulaire : décrivez votre vision dans le cadre ci-dessous, en un maximum de deux cents mots », par exemple. Nous pourrions ensuite indexer toutes les descriptions pour que les gens trouvent ce qu’ils veulent par l’intermédiaire de mots-clés et d’opérateurs booléens. Vous savez, toutes les visions qui mentionnent Aberdeen, mais pas un événement sportif. Ce genre de choses. Bien entendu, le programme d’indexation raccorderait automatiquement les termes hockey, baseboru[1] et autres à des termes généraux tels qu’» événements sportifs ». Non seulement ça vous aiderait dans vos recherches, mais ça aiderait quantité d’autres gens.

Théo se surprit à acquiescer.

— Ça tient debout. Mais pourquoi limiter la taille des entrées ? Je veux dire, l’espace de stockage ne coûte rien, ou presque. Je serais plutôt pour encourager les gens à relater avec le plus de détails possible leur expérience du Flashforward. Quand on y pense, ce qui pour une personne n’a aucun intérêt peut se révéler d’une importance vitale pour quelqu’un d’autre.

— Remarque très intéressante, dit Michiko. Aussi longtemps que le moratoire de Béranger sur l’utilisation du LHC est en vigueur, je n’ai vraiment pas grand-chose à faire et je suis tout à fait disposée à travailler sur ce projet. Mais j’aurai besoin d’un peu d’aide. Lloyd, ça ne vaut même pas la peine d’y songer : la programmation n’est vraiment pas son domaine. Mais j’ai pensé que vous pourriez peut-être me donner un coup de main.

Le partenariat entre Lloyd et Théo avait vu le jour parce que le premier avait besoin de quelqu’un possédant une connaissance de la programmation beaucoup plus approfondie que la sienne pour encoder ses théories physiques et les transformer en expériences qui pourraient être réalisées en utilisant ALICE.

Théo réfléchissait déjà aux avantages de ce projet. Ils pouvaient l’annoncer par un communiqué de presse ; cette femme du service des relations publiques qui s’était assommée pendant sa vision pouvait le diffuser là où il aurait le plus d’impact. Et dans ce communiqué de presse, pourquoi ne pas prendre le cas de Théo comme exemple ? Ce serait le biais parfait pour s’assurer que son problème aurait un retentissement mondial.

— Bien sûr, dit-il. Bien sûr.

Après le départ de Michiko, Théo se remit à son ordinateur et consulta sa BAL. Il y avait les pollutions habituelles, dont un message publicitaire envoyé par une société installée en Mauritanie. Le gouvernement là-bas avait fait un joli coup : étant un des rares pays à ne pas interdire l’envoi des spams à partir de son territoire, il avait attiré chez lui des milliers de sociétés.

Théo fît défiler les autres mails. Un message d’un ami habitant Sorrente. Une demande de copie d’un article dont Théo était coauteur : pour au moins un chercheur du MIT, rien n’avait vraiment changé. Et…

Oui ! D’autres renseignements sur son assassinat.

Ils émanaient d’une femme habitant Montréal. Elle était née en France et bien que vivant maintenant au Canada suivait toujours l’actualité dans son pays. Le CERN étant installé à cheval sur la Suisse et la France, un meurtre dans son enceinte intéressait tout autant la presse des deux pays.

Dans sa vision, elle avait lu un compte-rendu paru dans Le Monde concernant l’assassinat de Théo. Les faits correspondaient à ceux relatés par Kathleen DeVries, ce qui confirmait que la Sud-Africaine n’avait pas tenté de le piéger avec un canular. Mais les termes employés dans l’article, tels que cette seconde-personne les rapportait, étaient assez différents. Il y avait surtout un détail crucial qui manquait jusqu’alors : selon cette Française installée au Québec, l’inspecteur de la police genevoise chargé de l’enquête sur le meurtre de Théo s’appelait Helmut Drescher.

La femme concluait son e-mail par la formule : « Bonne chance ! »

De la chance… Oui, il lui en faudrait certainement. Et il espérait qu’elle serait bonne.

Théo connaissait par coeur le numéro des urgences pour Genève : c’était le 117. Pour une raison simple : il figurait sur 1 autocollant ornant tous les téléphones du CERN. En revanche Théo ignorait le numéro du central de la police. Mais il n’eut pas trop de mal à le trouver sur Internet.

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1

« Base-ball » prononcé à la japonaise. (NdT)