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— J’ai vu son visage. Son menton.

— Où ?

— Dans une pièce. Il était allongé sur un lit. (Silence.) Sauf que ce n’était pas un lit, c’était tout en métal. Et il y avait une chose dedans, comme ce plat sur lequel tu sers le rôti.

— Une gouttière ? dit Frau Drescher.

— Il avait les yeux fermés, mais c’était lui et…

— Et ?

Silence.

— Tu peux me le dire, Moot. Tu peux me le dire.

— Il n’avait pas de pantalon ni de chemise. Et il y avait ce monsieur en blouse blanche, comme celles qu’on porte en classe d’art. Mais le monsieur avait un couteau et il… Il…

… m’ouvrait le torse-, songea Théo. Une autopsie, et Moot était l’inspecteur qui regardait le légiste la pratiquer.

— C’était trop dégueulasse, dit le garçon.

Théo s’était approché peu à peu et il se tenait maintenant dans l’encadrement de la porte, derrière Frau Drescher. Comme il l’avait pensé, le gamin était allongé sur le ventre.

— Moot…, dit doucement le Grec. Moot, je suis désolé que tu aies vu ça, mais… mais il faut que je sache. Il faut que je sache ce que l’homme te disait.

— Je ne veux pas en parler, répliqua l’enfant.

— Je sais… Je sais. Mais c’est très important pour moi. S’il te plaît, Moot. S’il te plaît. L’homme en blouse blanche, c’était un docteur. S’il te plaît, raconte-moi ce qu’il t’a dit.

— Il faut vraiment que je le fasse ? demanda le gamin à sa mère.

Théo la sentait partagée. D’un côté, elle voulait protéger son fils d’une situation désagréable, et de l’autre, elle comprenait que quelque chose de bien plus important était en jeu.

— Non, tu n’es pas obligé, dit-elle enfin, mais ça aiderait beaucoup.

Elle traversa la chambre, s’assit sur le bord du lit et caressa les cheveux blonds en brosse d’Helmut junior.

— Tu vois, Herr Procopides, qui est ici, il a beaucoup de problèmes. Quelqu’un va essayer de le tuer. Mais peut-être que tu peux empêcher que ça arrive. Tu aimerais l’empêcher, n’est-ce pas, Moot ?

Ce fut au tour du gamin de se débattre avec son dilemme.

— Je crois que oui, finit-il par marmonner.

Il releva un peu la tête, regarda Théo et détourna aussitôt les yeux.

— Moot ? dit sa mère pour le motiver.

— Il a les cheveux teints, dit l’enfant comme si c’était une abomination. En vrai, ils sont gris.

Théo hocha la tête. Le jeune Helmut ne comprenait pas. Comment l’aurait-il pu ? Sept ans, et d’un coup il avait été transporté de l’endroit où il se trouvait : dans la cour de récréation, peut-être, ou dans une salle de classe, ou même ici, dans sa propre chambre. Transporté de là jusqu’à une morgue et confronté à un cadavre qu’on autopsiait. Il avait vu le sang épais s’écouler dans la rigole de la paillasse…

— S’il te plaît, dit Théo. Je… euh, je te promets de ne plus jamais me teindre les cheveux.

Le gamin resta silencieux encore un moment, puis il se mit à parler d’une voix hésitante.

— Ils ont dit un tas de mots bizarres. Je n’ai presque rien compris.

— Ils parlaient en français ?

— Non, en allemand. C’était bizarre, parce que je comprenais. L’autre monsieur, il n’avait pas d’accent, comme moi.

Théo sourit brièvement. D’après lui, l’accent de Moot était en fait très prononcé. Mais les deux tiers de la population suisse parlaient allemand, contre dix-huit pour cent qui s’exprimaient régulièrement en français. Certes, Genève se trouvait dans la partie francophone du pays, cependant il n’y aurait rien eu d’inhabituel à ce que deux personnes dont la langue natale était l’allemand bavardent entre eux dans cette langue. L’usage de l’anglais, en revanche…

— Ils ont dit quelque chose à propos d’une blessure d’entrée ? demanda Théo.

— Une quoi ?

— Une blessure d’entrée.

Pour le moment, ils conversaient en français. Théo espérait qu’il employait l’expression correcte dans cette langue.

— Tu sais, là où la balle est entrée dans le corps.

— Les balles, corrigea Helmut junior.

— Pardon ?

— Les balles. Il y en avait trois. (Il se tourna vers sa mère.) C’est ce que l’homme avec la blouse a dit.

Trois balles, songea Théo. Quelqu’un souhaitait vraiment ma mort…

— Et les blessures d’entrée ? insista-t-il. Ils ont dit où les balles sont entrées ?

— Dans la poitrine.

Donc j’ai vu mon assassin.

— Il y a autre chose que tu peux me dire ?

— J’ai dit quelque chose, répondit l’enfant.

— Quoi ?

— Je veux dire, j’ai eu l’impression que je parlais. Mais ce n’était pas ma voix. Elle était trop grave, vous comprenez ?

Une voix d’adulte. Bien sûr.

— Et qu’est-ce que tu as dit ?

— Qu’il avait été tué à courte portée.

— Comment l’as-tu su ?

— Je ne sais pas… Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Les mots sont juste sortis de ma bouche.

— Est-ce que le médecin légiste, l’homme avec la blouse, est-ce qu’il a dit quelque chose après ça ?

L’enfant s’assit sur le lit et leur fit face.

— Non, il a juste fait « oui » avec la tête. Comme s’il était d’accord avec moi.

— Bon, mais est-ce qu’il a dit quelque chose qui t’a poussé à voir que c’était à courte portée ?

— Je ne comprends pas, dit le garçon. Maman, il faut vraiment que je continue à en parler ?

— S’il te plaît, répondit Frau Drescher. Nous aurons de la glace pour le dessert. Mais aide ce gentil monsieur encore quelques minutes, d’accord ?

Helmut junior fronça les sourcils, comme s’il mettait en balance ses efforts et l’attrait d’une glace au dessert.

— Il a dit que vous avez été tué pendant un match de boxe.

Théo était très surpris. Il était peut-être arrogant, il se mettait sans doute un peu trop en avant, parfois, mais jamais dans sa vie d’adulte il n’avait frappé un autre être humain. En fait, il estimait être plutôt pacifiste et après l’obtention de son diplôme il avait refusé plusieurs offres lucratives émanant de sociétés d’armement. Il n’avait jamais assisté à un match de boxe, d’ailleurs il jugeait que c’était moins un sport qu’une activité digne des animaux.

— Tu es bien sûr que c’est ce qu’il a dit ? demanda-t-il.

Il regarda de nouveau l’affiche de Rocky sur la porte, et puis le mur au-dessus du lit de Moot, où s’étalait un poster du champion poids lourd Evander Holyfield. Et si l’enfant mélangeait ses rêves et sa vision ?

— Oui oui, dit le gamin.

— Mais pourquoi me tirerait-on dessus pendant un match de boxe ?

Helmut junior haussa les épaules.

— Tu te souviens d’autre chose ?

— Il a dit que quelque chose était vraiment tout petit.

— Quelque chose était tout petit ?

— Ouais. Seulement neuf millimètres.

Théo se tourna vers la mère.

— C’est un calibre. Je pense que c’est en rapport avec le diamètre du canon.

— Je déteste les armes à feu, déclara Frau Drescher.

— Moi aussi, affirma Théo avant de revenir à l’enfant. Qu’est-ce qu’ils ont dit d’autre ?

— « Glock ». L’homme n’arrêtait pas de dire ça : « Glock ».

— C’est une marque d’armes. Autre chose ?