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Excusez-moi, je parle trop. J’en reviens au point important : ma vision m’a permis de savoir que tout allait bien se passer. J’ai annulé l’avortement, et Brad et moi cherchons un petit appartement pour vivre ensemble et, à ma grande surprise, mes parents n’ont pas été catastrophés et ils sont même prêts à nous aider un peu, pour les dépenses. Je sais que beaucoup de gens vous raconteront comment leur vision a détruit leur existence. Je voulais juste vous dire qu’elle a amélioré la mienne énormément et qu’elle a sauvé la vie de la petite fille que je porte en ce moment. Merci… pour tout.

Jean Alcott »

« Docteur Simcoe,

Aux infos, on entend parler de gens qui ont eu une vision extraordinaire. Ce n’est pas mon cas. Dans la mienne, j’habitais exactement la même maison où je vis actuellement. J’étais tout seul, ce dont j’ai l’habitude parce que mes enfants sont grands et que ma femme est souvent absente pour 165 son travail. En fait, à part quelques petites choses qui ont changé — un ou deux meubles, et une nouvelle peinture sur un mur — il n’y avait rien pour m’indiquer que c’était mon futur.

Et vous savez quoi ? J’aime ça. Je suis un homme heureux, je mène une vie agréable. Savoir que je vais profiter d’au moins vingt ans de plus de cette même vie est une pensée qui me ravit. Toute cette histoire de visions a mis la vie de pas mal de gens sens dessus dessous, apparemment, mais pas la mienne. Je voulais juste que vous le sachiez.

Cordialement,

Tony DiCiccio »
E-MAILS SUR LE SITE WEB DU PROJET MOSAÏQUE

Brooklyn, New York : Bon, il y avait ce drapeau américain dans mon rêve et il avait cinquante-deux étoiles : une rangée de sept, une rangée de six, ensuite sept, et puis six, comme ça, pour un total de cinquante-deux. J’imagine que le cinquante et unième Etat doit être Puerto Rico, non ? Mais je deviens dingue à essayer de trouver ce que le cinquante-deuxième peut bien être. Si vous le savez, merci de me le dire par e-mail…

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Edmonton, Alberta : Je ne suis pas intelligent. J’ai la maladie de Down, mais je suis quelqu’un de gentil. Dans ma vision, je parlais en utilisant des mots compliqués, alors je devais être intelligent. Je veux redevenir intelligent.

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Indianapolis, Indiana : Merci d’arrêter l’envoi des e-mails disant que je serai président des États-Unis en 2030, ils inondent ma boîte à lettres. Je sais bien que je serai président et quand je viendrai au pouvoir, je balancerai un contrôle fiscal à tous ceux qui me disent encore que…

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Islamabad, Pakistan (autotraduction du texte d’origine en arabe) : Dans ma vision, j’ai mes deux bras. Mais aujourd’hui je n’en ai qu’un (je suis un vétéran de la guerre terrestre Inde-Pakistan). Je n’ai pas eu l’impression que c’était une prothèse. Je serais intéressé par entrer en contact avec toute personne détenant des informations sur les membres artificiels ou même sur la régénération des membres dans vingt et un ans.

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Chagzhou, Chine (autotraduction du texte d’origine en mandarin) : Apparemment je suis morte, dans vingt et un ans, ce qui ne me surprend pas parce que je suis déjà très âgée. Mais je serais intéressée par toute nouvelle concernant la réussite de mes enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Leurs noms sont…

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Buenos Aires, Argentine : Presque toutes les personnes à qui j’ai parlé étaient en vacances ou en congé pendant le Flashforward. Mais dans les pays d’Amérique du Sud que je connais le troisième mercredi d’octobre n’est pas un jour férié et il ne tombe pas dans une période de vacances. Alors j’ai pensé que peut-être on est passé à une semaine de travail de quatre jours, avec le mercredi de repos. Personnellement, je préférerais un week-end de trois jours. Quelqu’un sait ce qu’il en est ?

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Auckland, Nouvelle-Zélande : Je connais quatre des numéros gagnants du tirage du Super Huit néo-zélandais du 19 octobre 2030. Dans ma vision, j’encaissais 200 dollars avec le ticket où j’avais ces quatre numéros gagnants. Si vous connaissez d’autres chiffres gagnants pour la même date, j’aimerais que nous fassions équipe pour jouer.

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Genève, Suisse (posté en quatorze langues) : Si quelqu’un a des renseignements concernant l’assassinat de Theodosios (« Théo ») Procopides, merci de me contacter à l’adresse suivante…

Chapitre 14

Jour 6 : dimanche 26 avril 2009

Lloyd et Theo déjeunaient ensemble dans la grande cafétéria du centre de contrôle du LHC. Les fenêtres donnaient sur la cour où les fleurs de printemps étaient toutes écloses. Autour d’eux, d’autres physiciens discutaient de théories et d’interprétations en rapport avec le Flashforward ; une piste prometteuse mettant en cause la défaillance supposée d’un des aimants quadripolaires venait d’être torpillée une heure auparavant. L’aimant fonctionnait parfaitement. C’était le matériel de test qui était défaillant.

Lloyd mangeait une salade, Théo la brochette qu’il avait préparée la veille et qu’il venait de réchauffer au micro-ondes.

— Les gens semblent se faire à la situation mieux que je l’aurais pensé, dit Lloyd. Toutes ces morts, toutes ces destructions, et les gens s’époussettent, ils retournent au travail et à leur train-train quotidien.

Théo acquiesça.

— Ce matin, j’ai écouté la radio. Un type disait qu’il y avait eu beaucoup moins de recours aux cellules d’aide psychologique qu’on l’avait prévu. En fait, un tas de gens ont apparemment annulé les séances de thérapie qu’ils avaient retenues, depuis le Flashforward.

— Pourquoi ? fit Lloyd, surpris.

— Il a dit que c’était à cause de la catharsis, répondit Théo avec un sourire. Je vous le dis, ce bon vieil Aristote savait de quoi il parlait : donnez aux gens une occasion de se purger de leurs émotions et ils en ressortent en meilleure santé. Beaucoup ont perdu un être cher pendant le Flashforward : l’épanchement de chagrin a été très positif sur le plan psychologique. Le type de la radio disait que quelque chose de comparable s’était produit il y a une dizaine d’années avec la mort de la princesse Diana : pendant les mois suivants, les thérapeutes ont été notablement moins sollicités. Naturellement, le plus gros de la catharsis s’est déroulé en Angleterre, mais, juste après la mort de Lady Di, vingt-sept pour cent des Américains ont dit avoir l’impression qu’ils avaient perdu quelqu’un qu’ils connaissaient personnellement…

Bien sûr, on ne se remet pas facilement de la perte d’une épouse ou d’un enfant, mais de celle d’un oncle ? D’un lointain cousin ? D’un acteur qu’on aimait bien ? D’un collègue de travail ? C’est une grosse délivrance.

— Mais si tout le monde traverse la même épreuve…

— C’était justement ce qu’il soulignait, dit Théo. Vous voyez, en temps normal, si vous perdez quelqu’un dans un accident, vous vous effondrez, et ça dure des semaines, des mois… et tout le monde autour de vous renforce votre droit à la tristesse. On vous dit : « Il faut le temps qu’il faut pour faire son deuil ». Tout le monde vous apporte son soutien émotionnel. Mais si tous les autres ont eux aussi à affronter une perte, il n’y a plus cet effet béquille. Il n’y a personne pour vous tenir un discours apaisant. Vous n’avez pas d’autre choix que de vous ressaisir et de vous remettre au boulot. C’est la même chose pour les gens qui traversent une guerre. N’importe quelle guerre est bien plus dévastatrice en termes quantitatifs que la pire tragédie personnelle, mais quand la paix revient la plupart des gens reprennent simplement le cours de leur vie. Tout le monde a enduré les mêmes épreuves. Il faut juste isoler la période, l’oublier et continuer. C’est ce qui se passe en ce moment, apparemment.