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Soudain le ululement d’une sirène déchira l’air — un véhicule d’urgence quelconque. Lloyd sortit en hâte de la salle de contrôle, suivi par tous les autres. La pièce de l’autre côté du couloir possédait une fenêtre. Michiko releva le store vénitien. Le soleil de cette fin d’après-midi inonda l’intérieur. Le véhicule était un camion de pompiers du CERN, un des trois que comptait le site. Il traversait le campus à vive allure en direction du bâtiment abritant les services administratifs.

Le nez de Sven avait enfin cessé de saigner. Le technicien serrait dans son poing la gaze rougie.

— Je me demande si quelqu’un d’autre a fait une chute, dit-il.

Lloyd le regarda sans comprendre.

— Les camions de pompiers servent aussi bien pour les incendies que pour les interventions d’urgence, expliqua le Norvégien.

Michiko saisit l’ampleur de ce qu’il venait de dire.

— Nous devrions vérifier toutes les pièces ici, pour nous assurer que tout le monde va bien.

Lloyd acquiesça et retourna dans le couloir.

— Antonia, vous vous occupez de toutes les personnes présentes dans la salle de contrôle. Michiko, tu prends Jake et Sven, et vous allez par là. Théo et moi, nous irons de l’autre côté.

Il éprouva un peu de culpabilité en se séparant ainsi de Michiko, mais il avait besoin d’un moment pour comprendre ce qu’il avait vu et expérimenté.

Dans la première pièce où Théo et lui entrèrent, une femme était inconsciente. Lloyd ne se souvenait plus de son nom, mais il savait qu’elle travaillait aux relations publiques. L’écran plat de l’ordinateur devant elle affichait l’habituel bureau en 3D de Windows 2009. D’après l’hématome à son front, elle s’était assommée quand elle s’était affaissée en avant. Lloyd fit ce qu’il avait vu faire dans un nombre incalculable de films : il lui prit la main gauche dans sa droite, lui ouvrit la paume et la tapota gentiment de sa main libre pour l’aider à se réveiller.

Ce qui se produisit après quelques secondes.

— Docteur Simcoe ? dit-elle en levant les yeux vers lui. Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Je l’ignore.

— J’ai fait un… un rêve, dit-elle. J’étais dans une galerie d’art, quelque part, et je regardais un tableau.

— Ça va, maintenant ?

— Je… je ne sais pas. J’ai mal à la tête.

— Vous souffrez peut-être d’une commotion. Vous devriez vous rendre à l’infirmerie.

— Pourquoi ces sirènes ?

— Le camion des pompiers… Écoutez, il faut que nous partions. D’autres personnes sont peut-être blessées.

Elle acquiesça.

— Ça ira pour moi, affirma-t-elle.

Théo était déjà dans le couloir. Lloyd le rejoignit, puis le dépassa, car le Grec s’occupait de quelqu’un qui avait fait une chute. Le couloir bifurquait à droite. Lloyd arriva devant un bureau dont la porte coulissa sans bruit, mais les gens à l’intérieur semblaient tous aller bien, même s’ils parlaient avec une agitation manifeste des différentes visions qu’ils venaient d’avoir. Ils étaient trois, deux femmes et un homme. Une des femmes l’aperçut.

— Que s’est-il passé, Lloyd ? lui demanda-t-elle.

— Je ne le sais pas encore. Il n’y a pas eu de bobo chez vous ?

— Tout le monde va bien.

— J’ai entendu ce que vous disiez. Vous avez eu des visions tous les trois, vous aussi ?

Hochements de tête.

— Et elles étaient très nettes ?

La femme qui ne lui avait pas encore adressé la parole désigna son collègue.

— Pas Raoul. Lui a fait une sorte d’expérience psychédélique, dit-elle comme si on ne pouvait attendre autre chose dudit Raoul.

— Je n’emploierais pas ce terme, corrigea le dénommé Raoul, sur la défensive. Mais ce n’était pas réaliste, ça, c’est sûr. Il y avait ce type avec trois têtes et…

Raoul avait de longs cheveux blonds serrés en une queue-de-cheval impeccable.

Lloyd l’interrompit :

— Si vous allez bien tous les trois, pourquoi ne pas vous joindre à nous ? Certaines personnes ont fait de mauvaises chutes quand ce… phénomène s’est produit. Il faut fouiller partout, au cas où il y aurait d’autres blessés.

— Pourquoi ne pas utiliser le système de comm interne pour rassembler tout le monde dans le hall d’entrée ? proposa Raoul. Ensuite nous pourrons compter les présents et voir qui manque à l’appel.

L’idée était pleine de bon sens.

— Continuez les recherches. Il se peut que des gens nécessitent une aide en urgence. Moi, je monte dans le bureau principal.

Lloyd sortit de la pièce pendant que les autres se levaient et le suivaient. Il prit l’itinéraire le plus court pour rejoindre le bureau et sprinta devant les mosaïques. Quand il arriva, quelques membres de l’équipe administrative s’occupaient d’un des leurs qui s’était apparemment cassé le bras en tombant. Une autre personne s’était brûlée en s’affaissant sur son café.

— Docteur Simcoe, qu’est-ce qui s’est passé ? demanda un homme.

Lloyd commençait à en avoir assez de cette question.

— Je n’en sais rien. Vous pouvez allumer le système de sonorisation ?

— Oh, bien sûr, répondit l’homme avec un fort accent allemand. Par ici.

Il le mena à une console et enclencha quelques boutons. Lloyd saisit la longue poignée du micro.

— Ici Lloyd Simcoe, dit-il, et il entendit sa propre voix qui résonnait dans le haut-parleur du couloir, mais les filtres du système éliminaient tout effet Larsen. Il est clair qu’un incident a eu lieu. Plusieurs personnes sont blessées. Si vous-même pouvez vous déplacer, veuillez vous rendre immédiatement dans le hall d’entrée, s’il vous plaît. Quelqu’un peut avoir fait une chute grave dans un endroit isolé et nous avons besoin de vérifier qu’il ne manque personne.

Il tendit le micro à l’homme.

— Vous pouvez répéter ce message en allemand ?

— Jawohl, répondit l’autre qui s’exécuta aussitôt.

Lloyd s’écarta, fit sortir tous les gens valides du bureau et les mena dans le hall d’entrée. L’endroit était décoré d’une longue plaque de laiton récupérée dans un des anciens bâtiments détruits pour céder la place au centre de contrôle du LHC. On pouvait y lire la définition de l’acronyme du CERN, « Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire », définition qui n’était plus vraiment d’actualité, mais on tenait à honorer ses racines historiques.

Il y avait là une majorité de Blancs, quelques Noirs américains, dont Peter Carter, de Stanford, des Africains et un certain nombre d’Asiatiques parmi lesquels, bien sûr, Michiko, qui était déjà arrivée. Lloyd se dirigea vers elle et la serra dans ses bras. Grâce au ciel, elle n’avait rien eu.

— Des blessés graves ? s’enquit-il.

— Quelques bleus et un autre saignement de nez, répondit-elle. Mais rien de grave. Et de ton côté ?

Il chercha des yeux la femme qui s’était cogné le front. Elle n’était pas encore là.

— Une commotion possible, un bras cassé, une brûlure assez moche, au visage. Il faudrait faire venir quelques ambulances, pour emmener les blessés à l’hôpital.

— Je m’en occupe, dit-elle avant de disparaître dans un bureau.

Les gens continuaient à affluer et ils étaient maintenant environ deux cents.

— Votre attention, s’il vous plaît ! cria Lloyd.

Il attendit que tous les regards convergent sur lui pour poursuivre :