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— Exactement !

— Mais c’est impossible : le premier bond temporel a déjà eu lieu. Nous l’avons tous vécu il y a vingt et un ans.

— Nous ne l’avons pas tous vécu, dit Rusch d’un ton dur.

— Euh, non, mais…

— Oui, il a eu lieu. Mais je vais l’annuler. Je vais réécrire rétroactivement les deux dernières décennies.

Théo n’avait pas envie de le contredire, mais ce fut plus fort que lui :

— Ce n’est pas possible.

— Si, c’est possible. Je le sais. J’ai déjà réussi.

— Quoi ?

— Qu’est-ce que toutes les visions avaient en commun, la première fois ? demanda Rusch.

— Je ne vois pas…

— Des activités de loisir ! Dans son immense majorité, la population mondiale semblait être en vacances, ou profiter d’un jour férié. Et pourquoi ? On leur avait dit à tous de rester à la maison ce jour-là, en sécurité, parce que le CERN allait tenter de reproduire le déplacement temporel. Mais quelque chose s’est passé, quelque chose qui a annulé cette reproduction, simplement trop tard pour que les gens retournent au travail. Et c’est ainsi que l’humanité a bénéficié d’un jour de congé inattendu.

— Il est plus probable que ce que nous avons vu la première fois ait été uniquement une version de la réalité dans laquelle l’événement de précognition ne s’était jamais produit.

— Ridicule, trancha Rusch. Bien sûr nous avons vu des gens au travail — des commerçants, des vendeurs de rue, la police… Mais la plupart des magasins étaient fermés, n’est-ce pas ? Vous avez entendu les spéculations : que le mercredi 23 octobre 2030 serait un jour férié partout dans le monde. Mais nous sommes en 2030, et vous savez aussi bien que moi qu’un tel jour férié n’existe pas. Tout le monde avait quitté le travail pour se préparer à un déplacement temporel qui n’est jamais arrivé. Mais ils ont su qu’il ne se produirait pas, je veux dire que l’annonce de la panne du Grand collisionneur de hadrons a été diffusée plus tôt durant cette même journée. Eh bien, j’ai réglé ma bombe pour qu’elle explose deux heures avant l’arrivée des neutrinos de Sanduleak.

— Mais si ce genre de nouvelle figurait aux infos, quelqu’un l’aurait certainement appris dans sa vision. Et en aurait parlé.

— Non, je suis sûr que mon scénario est le bon. Je réussirai à mettre le CERN hors service. La conscience de la Terre de 2030 restera là où elle doit être, et le changement se propagera à rebours à partir de ce point, pour remonter vingt et une années et réécrire l’histoire. Ma chère Helena et toutes les victimes de votre arrogance retrouveront la vie.

— Vous ne pouvez pas me tuer, dit Théo, et vous ne pouvez pas me garder ici pendant deux jours. Des gens vont remarquer mon absence, et ils descendront ici à ma recherche. Ils trouveront votre bombe et la désamorceront.

— Vous marquez un point…, fit Rusch.

Sans cesser de viser Théo avec le Glock, il recula vers la bombe. Il la sortit de la pompe à air en la soulevant par sa poignée. Il dut remarquer l’expression du physicien, car il crut bon de dire :

— Ne vous inquiétez pas, le système de mise à feu n’est pas sensible aux chocs.

Il plaça la bombe sur le sol du tunnel et tripota le clavier de la minuterie, puis il tourna la mallette pour que Théo puisse voir le compte à rebours. Celui-ci fonctionnait toujours, mais était maintenant réglé sur cinquante-neuf minutes et cinquante-six secondes.

— La bombe explosera dans une heure, dit Rusch. Plus tôt que prévu, mais l’effet sera le même. Tant que les dommages créés dans le tunnel demanderont plus de deux jours de réparation, Der Zwischenfall ne sera pas reproduit. (Il se tut un instant, avant de paraître se décider.) Maintenant, nous allons marcher un peu, vous et moi. Je n’aurais pas confiance si nous prenions l’aéroglisseur tous les deux. J’imagine que vous êtes venu avec le monorail, n’est-ce pas ? Nous ne le prendrons pas non plus. Mais en une heure nous pouvons parcourir à pied une distance suffisante pour ne pas risquer d’être blessés. (Il fit un geste avec le pistolet.) Alors allons-y.

Ils se mirent à marcher dans le tunnel, en allant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, mais ils avaient à peine avancé de dix mètres que Théo perçut un chuintement singulier derrière eux. Il se retourna, tout comme Rusch. Un autre aéroglisseur venait d’apparaître là-bas, au bout de la courbure de l’anneau souterrain.

— Qui est-ce ? maugréa l’Allemand.

La tignasse rousse et grise de Jake Horowitz était aisément identifiable, même à cette distance, mais l’autre personne…

Seigneur ! Elle ressemblait à…

C’était bien lui. L’inspecteur Helmut Drescher, de la police genevoise.

— Je ne sais pas, dit Théo en feignant de plisser les yeux pour mieux voir.

L’aéroglisseur se rapprochait rapidement. Il y avait tant de matériel monté sur les parois que, prévenu d’une telle arrivée, on pouvait facilement se dissimuler. Rusch laissa la bombe sur le côté du tunnel et se mit à reculer. Mais il était trop tard. Jake pointait l’index sur eux. Rusch rejoignit Théo et lui enfonça le canon de son arme dans le flanc. Le physicien n’aurait jamais cru que son coeur pouvait battre aussi vite et aussi fort.

Drescher avait dégainé son propre pistolet quand l’aéroglisseur se posa à cinq mètres d’eux.

— Qui êtes-vous ? dit Jake à l’Allemand.

— Attention ! lança Théo. Il a une arme !

Rusch paraissait s’affoler. Mettre une bombe quelque part était une chose, mais une prise d’otage doublée d’un meurtre potentiel en était une autre. Néanmoins son arme ne quittait pas les côtes de Théo.

— Exact, lança-t-il. Alors reculez.

L’inspecteur s’était campé jambes écartées, pour avoir le maximum de stabilité, et il tenait à deux mains son pistolet braqué droit sur le cœur de Rusch.

— Je suis officier de police. Lâchez votre arme.

— Nein.

La voix de Drescher resta d’un calme absolu.

— Lâchez cette arme ou je fais feu.

Le regard de Rusch bondit à droite, puis à gauche.

— Si vous tirez, le docteur Procopides mourra.

L’esprit de Théo était en ébullition. Les choses s’étaient-elles passées ainsi ? Rusch devrait lui tirer dessus non pas une, mais trois fois. Dans un affrontement comme celui-ci, il lui logerait peut-être une balle dans la poitrine — et il n’en faudrait pas plus —, mais dès qu’il aurait fait feu Drescher l’abattrait.

— Reculez ! cria l’Allemand. Reculez !

Jake semblait aussi terrifié que Théo l’était, mais l’inspecteur ne flanchait pas.

— Lâchez votre arme. Vous êtes en état d’arrestation.

La panique de Rusch parut baisser pendant quelques secondes, comme s’il était seulement étonné de l’accusation. S’il était réellement professeur d’université, il n’avait sans doute jamais eu de problèmes avec la loi. Soudain il retrouva tout son aplomb.

— Vous ne pouvez pas m’arrêter.

— Oh si, je le peux, répliqua Moot.

— À quelle police appartenez-vous ?

— Celle de Genève.

Rusch eut un petit rire aigre et il enfonça un peu plus son arme dans les côtes de Théo.

— Dites-lui où nous nous trouvons.

Le Grec ne comprenait pas la question.

— Dans le Grand collisionneur de…

— Le pays, coupa Rusch.

Le physicien sentit son coeur se serrer.

— Oh… Nous sommes en France. La frontière traverse le tunnel.

— Donc, fit Rusch à l’adresse de Drescher, vous n’avez aucune autorité ici. La Suisse n’est pas un état membre de l’Union européenne. Si vous m’abattez en dehors de votre juridiction, vous commettrez un meurtre.