L’inspecteur parut hésiter une seconde et l’arme dans ses mains s’abaissa très légèrement. Mais il la releva aussitôt pour viser l’Allemand au cœur.
— Je m’occuperai de la paperasse plus tard, railla-t-il. Lâchez votre arme ou je tire.
Rusch se tenait si près de Théo que celui-ci pouvait sentir sa respiration, rapide, légère. Il n’était pas loin de l’hyperventilation.
— D’accord, dit-il. D’accord.
Il s’écarta d’un pas de Théo.
« Kablam ! »
La détonation se répercuta, assourdissante, dans le tunnel.
Le coeur de Théo s’arrêta…
… mais seulement une seconde.
La bouche de Rusch s’était ouverte mollement sous le coup de l’horreur, de la terreur, de la peur…
… pour ce qu’il venait de faire…
… tandis que Moot Drescher reculait en chancelant, basculait et tombait à la renverse. Le policier se reçut lourdement sur le dos et son arme lui échappa. Une tache de sang s’élargissait déjà au niveau de son épaule.
— Oh ! mon Dieu ! s’écria Jake. Mon Dieu !
Il s’élança pour ramasser l’arme de l’inspecteur.
Rusch semblait complètement hébété. Théo en profita, recula et l’attaqua par-derrière d’une clé au cou. Il pesa de son genou replié contre le creux des reins de Rusch. De son autre main, il tenta de lui arracher le Glock.
Jake avait récupéré l’arme de Drescher. Il voulut la pointer sur les silhouettes combinées de Théo et Rusch, mais il tremblait. Violemment. Théo tordit le bras de Rusch qui lâcha le pistolet. Le physicien s’écarta alors précipitamment de l’Allemand. Jake pressa la détente, mais son tir alla percuter un néon de la voûte qui explosa dans une cascade d’étincelles et de débris de verre. Rusch s’était baissé pour ramasser le Glock. Pas plus lui que Théo sembla en mesure de le saisir, et finalement Théo donna un coup de pied dans le pistolet, l’expédiant à une dizaine de mètres dans le tunnel.
Ils étaient maintenant désarmés tous les deux. Drescher était entouré d’une mare de sang, mais toujours vivant, car sa poitrine se soulevait et s’abaissait rapidement. Jake tira une deuxième fois et rata.
Rusch se rua vers le Glock. Conscient qu’il ne pourrait le devancer, Théo décida de fuir dans l’autre sens.
— Il a une bombe ! cria-t-il en passant devant Jake. Aidez Moot !
Horowitz hocha la tête. Rusch venait de reprendre son arme. Il fit demi-tour et se mit à courir, le pistolet pointé devant lui en direction de Jake, Moot et Théo qui détalait.
Le Grec n’avait jamais couru aussi vite, et ses pas éveillaient des échos secs dans le tunnel. Il aperçut devant lui la mallette en aluminium qui contenait la bombe. Il risqua un coup d’œil en arrière. Jake s’était agenouillé auprès de Drescher dont il tenait toujours l’arme. Rusch les dépassa en les menaçant du Glock, puis il continua à reculons pour surveiller Jake jusqu’à ce qu’il s’estime hors de portée de ce piètre tireur. Alors il se retourna et reprit la poursuite.
Théo atteignit la bombe et la ramassa sans presque ralentir.
L’instant suivant il sautait dans l’aéroglisseur de Rusch et son pied écrasait la pédale de l’accélérateur. L’engin démarra et Théo regarda encore derrière lui.
Rusch rebroussait chemin. Jake semblait penser que l’Allemand était parti. Il avait posé l’arme de Drescher et faisait passer sa chemise par-dessus sa tête sans même l’avoir complètement déboutonnée, avec l’intention manifeste de s’en servir pour en faire un bandage compressif sur la blessure de l’inspecteur. Rusch n’eut donc aucun mal à grimper dans l’aéroglisseur qui avait amené Jake et Moot, et il fonça derrière Théo.
Celui-ci disposait d’une bonne avance. Mais sa trajectoire n’avait rien de rectiligne. Non seulement il devait négocier la longue courbure du tunnel, mais il lui fallait aussi louvoyer entre le matériel qui saillait ici et là.
Il consulta la minuterie de la bombe : quarante et une minutes et dix-huit secondes. Il espérait que Rusch avait dit vrai en affirmant que les explosifs n’étaient pas sensibles aux chocs. Il y avait une série de boutons sans indication sur le côté de la mallette, et aucun moyen de savoir lequel positionnerait le compteur sur un délai plus important, ni lequel provoquerait la mise à feu immédiate. Mais s’il atteignait la station d’accès et réussissait à remonter à l’air libre, il aurait le temps d’abandonner la bombe au beau milieu d’un champ.
Son aéroglisseur avait tendance à tanguer désagréablement : Théo devait le pousser à une allure qui dépassait les limites de ses stabilisateurs gyroscopiques. Il jeta un coup d’œil en arrière. Tout d’abord il faillit soupirer de soulagement car Rusch n’était visible nulle part, mais la seconde suivante il apparut à l’autre extrémité du tunnel.
Les ténèbres, droit devant. Théo n’avait activé l’éclairage de la voûte que sur une courte portion de l’anneau. Il espérait que Jake avait réussi à stopper l’hémorragie de Drescher. Bon Dieu… Il n’aurait pas dû prendre l’aéroglisseur. Il était certainement plus important de ramener l’inspecteur à la surface que de protéger le matériel dans le tunnel. Mais peut-être Jake penserait-il au monorail…
Merde ! L’engin de Théo venait de toucher la paroi externe du tunnel et il tournoya un instant dans l’obscurité que déchiraient ses phares. Il s’arc-bouta sur le manche à balaie et parvint à redresser dans la bonne direction, mais à présent Rusch était à la moitié de la section visible de l’anneau, et non plus à l’autre bout.
L’Allemand avait toujours le Glock, bien sûr, mais un aéroglisseur n’était pas comparable à une voiture. Vous ne pouviez pas tirer dans les pneus pour le stopper. La seule méthode certaine pour arrêter ce genre de véhicule était de tuer le pilote. Courbé sur son siège, Theo appuya un peu plus fort sur la pédale de l’accélérateur.
Il faisait osciller son engin à droite et à gauche, monter et descendre autant qu’il était possible dans l’espace restreint, pour offrir une cible mouvante plus difficile à toucher.
Il remarqua les jalons sur les parois. Le tunnel était divisé en huit octants d’environ trois kilomètres et demi chacun, et chaque octant était subdivisé en trente sections d’un peu plus de cent mètres. D’après la signalétique, il était maintenant à l’octant 3, section 22. La station d’accès se trouvait à l’octant 4, section 33. Il pouvait y arriver…
Un impact !
Une pluie d’étincelles.
Le crissement du métal qui se déchire.
Bon sang, il avait relâché un instant son attention et l’aéroglisseur avait effleuré une des unités cryogéniques. L’engin avait failli verser et précipiter au sol son conducteur et la bombe. Théo redressa sa trajectoire, mais un regard furtif en arrière lui confirma ses craintes : le choc l’avait ralenti et Rusch n’était plus maintenant qu’à cinquante mètres. Il faudrait qu’il soit vraiment bon tireur pour toucher Theo à cette distance et dans l’obscurité, mais s’il se rapprochait encore…
La portion suivante du tunnel était encombrée de matériel et Theo dut descendre l’aéroglisseur à quelques centimètres du sol, mais son contrôle sur l’engin était mauvais à une telle vitesse, et le véhicule effectua une série de petits bonds comme un caillou plat lancé à la surface d’un lac.
Un autre regard à l’affichage lumineux. Trente-sept minutes.
« Blam ! »
La balle siffla sur le côté. Instinctivement, Théo se baissa. Le projectile ricocha sur des montants métalliques devant lui, illuminant le tunnel d’une gerbe d’étincelles.