Выбрать главу

Il n’atteindrait jamais la station d’accès éloigné, il ne rejoindrait jamais la surface. Peut-être devrait-il simplement jeter la bombe par-dessus bord. Où qu’elle explose, elle mettrait le LHC hors service, mais…

Non.

Non, il était arrivé trop loin. Il n’avait pas de défaut fatal. Et sa chute n’était pas prédéterminée.

Si seulement…

Il jeta un œil au minuteur, puis au marquage sur les parois.

Oui !

Oui ! Il pouvait réussir !

Il accéléra encore.

Et soudain le tunnel devint rectiligne.

Il écrasa le frein d’urgence.

Une autre pluie d’étincelles.

Métal contre métal.

Sa tête projetée en avant.

La douleur démultipliée dans son épaule.

Il s’extirpa de la cabine trop étroite et s’écarta en titubant du monorail.

Quarante-cinq secondes…

Encore quelques mètres d’un pas vacillant…

Jusqu’à l’entrée de l’énorme chambre vide, haute comme un immeuble de six étages, qui avait jadis abrité le détecteur CMS.

Il se força à continuer, et il plaça la bombe au centre du vaste espace.

Trente secondes.

Il fit demi-tour, courut aussi vite qu’il le pouvait, horrifié par tout ce sang qu’il avait laissé sur le sol en entrant…

Il rejoignit le monorail…

Quinze secondes.

Se hissa dans la cabine, appuya sur l’accélérateur…

Dix secondes.

L’engin se rua en avant le long de son rail…

Cinq secondes.

Aborda de nouveau une section courbe du tunnel…

Quatre secondes.

Théo était au bord de l’inconscience…

Trois secondes.

Accélérait encore…

Deux secondes.

Se couvrait la tête de ses deux mains et la douleur explosait dans son épaule comme il soulevait son bras droit…

Une seconde.

Il se demanda vaguement ce que le futur recelait…

Zéro !

« Ka-boom ! »

La déflagration déferla dans le tunnel.

Un éclair de lumière venu de l’arrière projeta une ombre énorme de la forme insectoïde du monorail sur la paroi de l’anneau…

Et puis…

Les ténèbres bienfaisantes, accueillantes, tandis que le monorail continuait à foncer dans l’anneau et que Théo s’affaissait sur le petit tableau de bord.

Deux jours plus tard.

Théo se trouvait dans la salle de contrôle du LHC. L’endroit était bondé, mais pas à cause des scientifiques ou des ingénieurs, car presque tout était maintenant automatisé. Néanmoins des dizaines de journalistes étaient présents, et tous étaient étendus sur le sol. Jake Horowitz était là aussi, bien sûr, ainsi que les invités d’honneur de Théo, l’inspecteur Helmut Drescher, le bras en écharpe, et sa jeune épouse.

Théo déclencha le compte à rebours, puis il s’allongea à son tour sur le sol et attendit.

Chapitre 31

Lloyd Simcoe pensait souvent à Joan, sa fille de sept ans qui vivait à présent au Japon. Ils bavardaient tous les deux ou trois jours par l’intermédiaire du vidéophone, et il essayait de se convaincre que la voir et l’entendre était aussi agréable que la serrer dans ses bras, la faire sauter sur ses genoux, lui tenir la main lors d’une promenade dans un parc, ou essuyer ses larmes lorsqu’elle tombait et s’écorchait un genou.

Il l’aimait énormément et il était fier d’elle à un point que les mots ne pouvaient exprimer. En dépit de son prénom occidental, elle ne lui ressemblait pas du tout. Ses traits étaient purement asiatiques. En fait elle ressemblait beaucoup à la pauvre Tamiko, la demi-sœur que jamais elle ne connaîtrait. Mais les apparences ne comptaient pas. La moitié de ce que Joan avait venait de lui. Plus que son prix Nobel, plus que tous les articles qu’il avait écrits ou coécrits, plus que tout le reste, elle incarnait son immortalité.

Et même si elle était le fruit d’un mariage qui n’avait pas duré, Joan s’en sortait très bien. Lloyd n’en doutait pas moins que parfois elle aurait aimé que son père et sa mère soient toujours ensemble. Néanmoins l’enfant avait assisté au mariage de Lloyd et Doreen, et elle avait ravi le cœur de tout le monde en endossant le rôle de la petite fille qui porte les fleurs pour une femme qui serait bientôt sa belle-mère.

Belle-mère. Demi-sœur. Ex-femme. Ex-mari. Nouvelle femme. Des permutations. La panoplie des interactions humaines, des différentes manières de constituer une famille. Presque plus personne n’organisait de grande cérémonie pour les mariages, mais Lloyd avait insisté pour qu’il en soit ainsi. Dans la plupart des États et des provinces d’Amérique du Nord, les nouvelles lois stipulaient que si deux adultes vivaient ensemble assez longtemps ils étaient mariés, et que s’ils cessaient de vivre ensemble ils cessaient d’être mariés. C’est clair et simple, sans problème. Et sans toute cette souffrance que les parents de Lloyd avaient endurée, sans rien des simulacres et des disputes dont lui et Dolly avaient été les témoins abasourdis et désemparés.

Mais il avait tenu à la cérémonie. Il avait renoncé à trop de choses par peur de créer un autre foyer brisé et il était déterminé à ne plus jamais se laisser décourager par ces considérations, ni par le passé. Et Dolly et lui avaient vécu une grande et belle fête, une soirée inoubliable de danses, de chants, de rires et d’amour.

Doreen était déjà ménopausée quand ils s’étaient mis en ménage, mais il existait maintenant des procédures et des techniques qui lui auraient permis d’avoir un enfant si elle l’avait voulu. Lloyd y était tout disposé. Il était déjà père, mais il ne voulait pas la priver du bonheur d’enfanter. Pourtant Doreen avait décliné la proposition. Elle avait eu une vie heureuse avant de le rencontrer, et elle en profitait encore plus maintenant qu’ils étaient ensemble, mais elle n’éprouvait pas le désir d’avoir un enfant. Elle ne recherchait pas l’immortalité.

Lloyd avait pris sa retraite et ils passaient beaucoup de temps dans leur cottage du Vermont. Leurs deux visions les avaient placés là lors de ce jour inoubliable. Ils avaient bien ri en meublant la chambre afin qu’elle ressemble dans les moindres détails à ce qu’elle était quand ils l’avaient vue pour la première fois, avec la vieille table de nuit et le miroir au cadre de pin.

Et à présent ils étaient étendus côte à côte dans leur lit. Elle portait même une chemise de travail Tilley bleu marine. Par la fenêtre on apercevait les feuillages aux magnifiques couleurs de l’automne. Ils avaient les doigts entrelacés. La radio était allumée et diffusait le compte à rebours annonçant l’arrivée des neutrinos de Sanduleak.

Lloyd sourit à Doreen. Ils étaient mariés depuis cinq ans déjà. Etant enfant d’un couple divorcé et ayant lui-même divorcé une fois, il supposait qu’il devrait s’abstenir de caresser le rêve naïf d’une vie de couple sans fin avec Doreen, mais il ne pouvait s’en empêcher. Avec Michiko ils avaient été bien assortis, mais lui et Doreen formaient le couple parfait. Elle avait été mariée, mais elle avait divorcé vingt ans plus tôt, avec la certitude qu’elle resterait seule jusqu’à la fin de sa vie.

Et puis ils s’étaient rencontrés. Lui était physicien et prix Nobel, elle peintre, deux mondes totalement différents, bien plus par certains aspects que celui japonais de Michiko comparé à celui américain de Lloyd. Et pourtant ils s’étaient magnifiquement accordés, et l’amour s’était épanoui entre eux, et à présent Lloyd séparait son existence en deux parties, celle avant Doreen, et celle actuelle.

La voix à la radio avait entamé le décompte :