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Lloyd et lui n’avaient jamais voulu cela. Diable ! Théo ne parvenait pas à imaginer ce qui avait pu provoquer cette perte de connaissance générale. Une impulsion électromagnétique géante ? Elle aurait certainement eu plus de répercussions sur le matériel informatique que sur les êtres humains. Or, tous les instruments de pointe du CERN paraissaient fonctionner normalement.

Il avait fait pivoter son siège en s’y asseyant et il tournait maintenant le dos à la porte restée ouverte. Il ne prit conscience de l’arrivée de quelqu’un d’autre que lorsqu’il entendit un homme qui se raclait la gorge. Un demi-tour de son fauteuil et il se retrouva face à Jacob Horowitz, un étudiant diplômé qui travaillait avec Lloyd et lui. Il avait les cheveux roux et des essaims de taches de rousseur.

— Ce n’est pas votre faute, dit Jake avec gravité.

— Bien sûr que si, répliqua Théo comme si la chose était évidente. Il est clair que nous n’avons pas pris en considération un facteur crucial et…

— Non, affirma Jake avec force. Non, vraiment. Ce n’est pas votre faute. Ce qui s’est passé n’a aucun rapport avec le CERN.

— Quoi ? fit Théo comme s’il n’avait pas compris.

— Descendez avec moi dans la salle du personnel.

— Je n’ai envie de voir personne, pour l’instant, et…

— Non, venez. Ils ont CNN en bas et…

— CNN en parle déjà ?

— Vous verrez. Venez.

Théo se leva au ralenti de son siège et contourna son bureau. Dans le couloir, Jake s’élança et lui fit signe de se hâter, et enfin Théo se mit à trotter à son niveau. Quand ils arrivèrent, il y avait une vingtaine de personnes dans la salle.

—… Helen Michaels, New York City. A vous, Bernie.

Le visage grave de Bernard Shaw emplit l’écran HD du téléviseur.

— Merci, Helen. Comme vous pouvez le constater, dit-il en s’adressant à la caméra, le phénomène semble être mondial. Ce fait suggère que les analyses initiales, qui faisaient état d’une arme étrangère, sont probablement erronées, même si l’éventualité d’un acte terroriste n’est pas à écarter totalement. Aucune revendication sérieuse pour le moment et… Ah, nous recevons à l’instant le rapport australien, comme nous vous l’avions promis.

La vue changea pour montrer Sydney et en arrière-plan les voiles de l’Opéra illuminées contre le ciel obscur. Un journaliste se tenait au centre de l’écran.

— Bernie, à Sydney il est un peu après 3 heures du matin. Je n’ai aucune image à vous montrer pour vous donner une idée de ce qui est arrivé ici. Les informations nous parviennent peu à peu, à mesure que les gens se rendent compte que ce qu’ils ont vécu est un phénomène généralisé. Les tragédies sont hélas nombreuses. Nous avons appris que dans un hôpital du centre-ville une femme était morte pendant une opération d’urgence quand chirurgiens et infirmières ont cessé toute activité pendant plusieurs minutes. Mais nous avons aussi eu écho du cambriolage raté d’une épicerie de nuit : le patron, les quelques clients et le voleur ont sombré dans l’inconscience à une heure du matin, heure locale. Le cambrioleur s’est apparemment assommé en tombant au sol et un client qui a repris connaissance avant lui a pu lui subtiliser son arme. Nous n’avons toujours aucune idée précise du nombre de décès à déplorer ici, à Sydney, et encore moins dans le reste de l’Australie.

— Paul, qu’en est-il des hallucinations ? Vous en avez entendu parler chez vous aussi ?

Un court silence, le temps que la question rebondisse entre les satellites, d’Atlanta à l’Australie.

— Bernie, ici les gens parlent beaucoup de ça, oui. Nous ignorons quel pourcentage de la population a fait l’expérience d’hallucinations, mais il semble élevé. J’en ai moi-même eu une, très nette.

— Merci, Paul.

Le fond d’écran derrière Shaw fut remplacé par le sceau de la présidence des États-Unis.

— Le président Boulton s’adressera à la nation dans quinze minutes, vient-on d’apprendre. Bien entendu, CNN vous retransmettra son intervention en direct. En attendant, passons maintenant au rapport qui nous vient d’Islamabad, au Pakistan. Yusef, vous êtes là ?

— Vous voyez ? fit Jake à voix basse. Tout ça n’a rien à voir avec le CERN.

Théo se sentait simultanément abasourdi et soulagé. Un phénomène inexpliqué avait frappé toute la planète. Leur expérience n’avait certainement pas pu avoir un tel effet.

Et pourtant…

Si le phénomène n’avait aucun rapport avec le LHC, alors qu’est-ce qui l’avait provoqué ? Shaw avait-il raison ? S’agissait-il d’une quelconque arme terroriste ? Il s’était à peine écoulé deux heures depuis le phénomène. Les équipes de CNN faisaient preuve d’un professionnalisme impressionnant, alors que Théo en était encore à essayer de se remettre.

Annihiler la conscience de toute l’humanité pendant deux minutes, et quel serait le nombre de victimes ?

Combien de véhicules avaient été accidentés ?

Combien d’avions s’étaient écrasés ? D’adeptes du Deltaplane ? Combien de parachutistes s’étaient évanouis et avaient oublié de tirer sur la sangle d’ouverture ?

Combien d’opérations chirurgicales avaient mal tourné ? Combien de naissances ratées ?

Combien de gens avaient chuté d’une échelle, ou dans les escaliers ?

Bien sûr, la plupart des avions auraient continué à voler sans problème pendant une minute ou deux, même sans intervention de leurs pilotes, tant qu’ils n’étaient pas en phase de décollage ou d’atterrissage. Sur les routes peu fréquentées, des véhicules avaient peut-être même réussi à décélérer et à s’arrêter sans casse.

Mais… Mais…

— Le plus surprenant, disait Bernard Shaw à l’écran, c’est que d’après ce que nous savons, l’état conscient de la race humaine a été interrompu à précisément midi, heure d’hiver de New York. Il a tout d’abord semblé que les heures diverses ne correspondaient pas exactement, mais nous sommes en train de vérifier les heures données par tous nos correspondants en les comparant à l’heure présente ici sur nos horloges, au centre CNN d’Atlanta, horloges qui bien sûr sont réglées sur celle de l’Institut national des normes et de la technologie, à Boulder, dans le Colorado. Si l’on corrige les quelques heures légèrement incorrectes qu’ont notées certaines personnes, nous découvrons que le phénomène s’est produit à 11 heures, heure de New York, et ceci à la seconde près…

A la seconde près, songea Théo.

A la seconde.

Bon Dieu…

Le CERN utilisait une horloge atomique, bien évidemment.

— Comme depuis ces deux dernières heures, nous avons avec nous l’astronome Donald Poort, du Georgia Tech, disait Shaw. Il était l’invité de CNN This Morning et nous avons eu la chance qu’il soit déjà arrivé au studio. Le docteur Poort est un peu pâle, veuillez l’excuser. Nous l’avons interviewé avant qu’il ait le temps de passer par le maquillage. Docteur Poort, merci de nous avoir rejoints.

L’astronome était un homme d’une cinquantaine d’années, au visage mince et aux traits tirés. Il paraissait livide sous l’éclairage cru du studio, en effet, comme s’il n’avait pas vu le soleil depuis la fin de l’administration Clinton.

— Merci, Bernie, dit-il.

— Expliquez-nous ce qui s’est passé, docteur Poort.

— Eh bien, comme vous avez pu l’observer, le phénomène s’est produit à 11 heures, à la seconde près. Bien entendu, une heure comptant trois mille six cents secondes, les chances qu’un événement se produise à l’heure juste, comme on dit, sont de une sur trois mille six cents. En d’autres termes, ridicules. Ce qui m’amène à penser que nous sommes confrontés à un événement causé par l’intervention humaine, quelque chose qui avait été programmé. Mais quant à ce que pourrait être cette chose, je n’en ai aucune idée…