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Le loufiat nous demande ce que nous désirons boire. Béru opte pour de l’alcool de riz. On nous en sert donc une carafe que l’Enflure se cogne allégrement.

— Tu aimes ? je demande, soucieux d’avoir son appréciation.

— Ç’a un peu le goût de la chose, mais c’est fameux, rétorque mon noble coéquipier.

Avisant sur la table une seconde bouteille, il la hume et s’en sert un godet. Puis il clape de la menteuse et déclare :

— Çui-là, tu devrais le goûter, il est plus mieux bon, San-A.

— Non, merci. Je crois en définitive que je vais boire de la bière.

— T’as tort, rigole le Multiplié par Dix en se versant un deuxième godet. Ça, c’est de la first quality, du nanan, du nector, du heug !

Son premier hoquet sur gazon ! Ça promet. Il a les pommettes qui flamboient, le regard qui poudroie, la langue qui verdoie. Une douce euphorie l’envahit. Il biberonne le contenu de la seconde boutanche aussi facile que celui de la première.

C’est à ce moment-là que le loufiat radine avec les mets. Il allume le réchaud, mais la mèche refuse la flamme qui lui est présentée, comme une vache refuserait le taureau s’il ressemblait à Benoît-Alexandre Bérurier. Lors, le serveur décapuchonne le réservoir, retire la jauge et constate qu’il ne reste plus de carburant. Il saisit la bouteille que Béru vient de siffler et, s’apercevant qu’elle est vide itou, se met à pousser une bouille qui ferait peur à un magot chinois.

— Qu’avez-vous, mon ami ? je demande.

— La bouteille était pleine d’alcool à brûler, qu’il soupire, le pauvre biquet.

Béru fronce les sourcils.

— C’était de l’alcool à brûler ?

— Mais… oui !

— Sur l’alcool de riz, ça n’est pas mauvais, affirme le Gros.

Et comme l’autre demeure pétrifié, il explose :

— Ben quoi, me regardez pas comme ça ! Vous z’aurez qu’à la mettre sur la note. Tout le monde peut se gourer, non ?

— Bien, monsieur, balbutie notre amphitryon 38 (c’est la pointure de ses godasses).

Béru se calme et, d’un ton confidentiel, questionne :

— Vous pourriez pas demander au sommelier si qu’il aurait pas une bouteille de beaujolais quèque part ? C’est pas que je soye contre la cuisine érotique, mais quand on a ses habitudes…

C’est un Béru rond comme un boulon que j’emmène au dodo.

Il est content du Japon, le Mastar. Il s’endort comme un bienheureux. Et je dois admettre que j’en fais autant. Pour attaquer une enquête dans de bonnes conditions, il faut être neuf, mes amis.

Le lendemain, je m’éveille tôt. Je calcule l’heure qu’il est à Paris, ça doit aller chercher dans les onze plombes du soir. J’ai malgré tout des chances de trouver le Vioque. Je risque un coup de grelot. Comme toujours je l’obtiens. Vous le savez, des bruits courent à la Grande Cabane à propos du Dabe. On prétend qu’il pieute dans son burlingue. Je crois que la vérité est plus simple. Quand il quitte la maison mère, les P. et T. lui branchent sa ligne de bureau à son domicile. Cette explication me paraît plus rationnelle, pas à vous, tas de manches à quenouille ? Tant pis. Donc j’ai le Vioque. On ne se perd pas en blabla car la communication va chercher dans les trente-cinq mille anciens francs la minute, ce qui donne du prix à votre salive.

Je lui raconte le coup de Fouzy Houtusé et de la nitroglycérine. Il me dit qu’on ne sait rien de Pinaud, non plus que de mon cousin. L’ambassade du Japon à Paris a entièrement flambé. Il y a deux blessés graves, on sait que l’incendie a été allumé par une main criminelle et on file toujours de très près le dénommé Helder. Voici le point tel qu’il se présente ce matin. Je demande au Daron de prévenir Félicie, il me répond que c’est fait. Cher homme ! Il pense à tout. On raccroche. Notre conversation par-dessus l’univers n’a duré que soixante-douze secondes.

Je passe dans la turne de Béru. Je crois m’être gouré de carrée et être entré dans la chambre d’un Japonais ; mais un ronflement familier à mes trompes d’Eustache m’indique qu’il n’y a pas du tout maldonne. Intrigué, je me penche sur le lit de l’Enorme. Le Gros a changé de couleur. Il est d’un jaune canari très affirmé. Je le réveille et il me sourit.

— Comment te sens-tu ? je m’inquiète.

— Impec, bâille Béru.

— T’as pas mal au foie ?

— Quelle idée ! Pourquoi t’est-ce que j’aurais mal au foie ?

— Parce que tu es jaune comme une bouillabaisse, mon chéri.

Il se lève et, tout en grattant véhémentement la partie la moins noble de son démocratique individu, il va contempler sa vitrine dans la glace du lavabo. Ça lui colle une secousse.

— Mais qu’est-ce qui m’arrive ?

— C’est l’alcool à brûler d’hier. Il t’aura déclenché une jaunisse.

Ça ne l’émeut pas.

— Probable, oui. Je vais passer inaperçu. Le rêve, pour se payer une jaunisse, c’est de vivre au Japon. J’ai de la chance dans mon malheur.

— On va tout de même appeler un toubib.

— Tu crois ?

— Ce sera plus prudent.

Je bigophone à la réception et je leur dis de nous adresser le meilleur toubib du quartier. Celui-ci ne tarde pas à s’annoncer. C’est un tout petit zigoto à barbiche de bouc salace, maigre comme un rayon de vélo, et affublé de lunettes à monture d’or.

Pendant qu’il examine mon compère, je descends interviewer le portier. Je lui montre l’enveloppe que j’ai trouvée sur Fouzy Houtusé et je lui demande de bien vouloir me la traduire du japonais. Le gars se caresse le lobe d’un air circonspect.

— Ça n’est pas du japonais ? m’enquiers-je.

— Si, mais…

— Mais…

— C’est du japonais sûrement ancien. Je ne comprends pas très bien… On ne fait plus les caractères de cette façon, maintenant, et…

— Il n’est pas tellement ancien, puisque cette enveloppe porte un timbre !

— Je ne saurais vous renseigner, monsieur. Mais vous devriez demander une consultation au libraire de la rue voisine. Il vend des éditions anciennes et pourra peut-être vous être utile.

Je dis merci au gnace, lui cloque un pourboire et remonte prendre des nouvelles de Béru. Comme je sors de l’ascenseur, je perçois des hurlements, des coups, des plaintes… Cela provient de la chambre du Gros Lard. Je fonce, bille en tête.

Quel spectacle ! Le docteur est groggy au milieu de la pièce, sa chemise est déchirée, sa cravate arrachée, il manque une manche à son veston. Il a un énorme hématome sous l’œil droit et deux petits tas de verre pilé ainsi qu’un morceau de fil d’or tortillé comme le capsulage métallique d’un bouchon de champagne furent ses lunettes.

Le Gravos, à loilpé dans la chambre, plus jaune que sa victime, balance encore son poing de lutteur forain.

— Mais qu’est-il arrivé ? mugis-je.

Mon compagnon fulmine.

— Qu’est-ce c’est ce pays où que les toubibs sont de la pédale !

Il retourne au docteur et lui virgule un coup de latte dans les côtelettes. L’autre geint. J’interviens :

— Arrête, Gros, et explique !

— Tu vois pas ce ouistiti qui me fait des propositions dégueulasses, à moi Béru ! Comme si j’aurais l’air d’en être ! Ça se voit donc pas à ma tronche que je suis normal ! Que mes mœurs sont avec nature, et pas contre ! Hein ! Je te demande !

— Calme-toi ! Que t’a-t-il dit ?

— C’est tellement moche que j’ose pas le répéter, même à toi qu’es un ami de toujours, San-A. !