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Je me mets à lui narrer l’affaire de A jusqu’à Z. Il m’écoute en poussant des grognements de plantigrade privé de miel. Quand c’est que j’ai fini, comme dirait Béru, il fait claquer ses doigts.

— Montrez-moi cette enveloppe.

— J’obéis.

Il prend le rectangle de faf, l’examine comme l’a examiné tout à l’heure le libraire, puis il fait une grimace et me le rend.

— J’espère que vous n’allez pas vous faire hara-kiri maintenant ? lui dis-je.

Roult secoue la tête.

— Sûrement pas. Je dois d’ailleurs vous dire que je ne comprends pas ce qui est écrit. Il semble effectivement que ce soit du japonais, mais un japonais ancien…

— Ancien ! Mais l’enveloppe est timbrée !

— Le timbre m’est inconnu. Dommage que le tampon n’ait pas marqué entièrement et qu’on ne puisse lire la date, cela nous aurait fourni une indication…

Il me regarde et s’étonne.

— A quoi pensez-vous, cher commissaire ?

Je pense que le gars Helder qui frayait la petite Japonaise bousillée par Fouzy Houtusé est expert en philatélie. Ce timbre mystérieux, sur cette enveloppe plus mystérieuse encore, ne jouerait-il pas un rôle dans cette ténébreuse histoire ?

— Je nage un peu. Cette aventure japonaise est un casse-tête… chinois.

Roult me verse encore du raide dans le biberon.

— Ecoutez, venez donc ce soir chez une douce amie à moi, mistress Takemehali. Elle donne une petite réception intime à laquelle assistera justement le professeur Yamamotokétolabo, un spécialiste des langues anciennes. Vous pourrez lui expliquer votre petite affaire.

Il se fend l’ombrelle et ajoute :

— Même si le professeur ne peut rien pour vous, vous ne perdrez pas votre soirée, car on se marre bien chez Barbara. Son mari était un fonctionnaire à l’ambassade des U.S.A. Il est mort voici deux ans d’un coup de bambou administré un peu trop fort par un étudiant anarchiste. Barbara n’est pas rentrée dans son pays. Elle fait la foiridon ici et je l’assiste dans ce délicat passe-temps.

Je dis banco. Il me donne l’adresse de sa copine et je le laisse à son labeur.

Béru est en plein gringue avec la secrétaire. Cette gosse, vous pouvez la regarder sous tous les angles, elle est photogénique sur toute la longueur du parcours : elle a le regard en amande, le dargif en « X » et les seins en forme de poire. Elle n’a pas besoin de marcher à quatre pattes pour les faire tenir droits, ni de porter des soutiens-gorge en béton.

— C’est fou ce que votre ami parle bien le français, pour un Japonais, me dit-elle.

Derrière elle, le Gros m’adresse un regard significatif et j’écrase. Une fois dehors, il m’explique :

— A cause de ma jaunisse, je dis que je suis du pays, tu comprends. Elle m’a assuré que je ressemblais à l’acteur japonais « C’est-sûr-et-y-a-qu’à-voir ». Drôle de blaze, hein ?

Il parle, parle, émoustillé par ces instants passés en compagnie de la belle secrétaire.

— Je crois pas m’avancer en te disant que j’avais le gros ticket croisière avec elle.

— Tu as raison, t’avance pas trop, tu pourrais tomber dans le gouffre de la déception.

— Oh ! alors, si tu te mets à causer comme les Japs…

Cette fois, au lieu de fréter un taxi, je vais à l’Agence Hertz et je loue une voiture. C’est une magnifique Katchévorno dernier cric. Je prends alors la route de Kawasaki. Nous traversons des quartiers riches, puis des quartiers moins riches, enfin des quartiers pauvres et des quartiers plus pauvres, avant d’arriver aux quartiers extrêmement pauvres. Chose curieuse, même dans les coins les plus déshérités, les Japonais restent propres. » C’est la race la mieux lavée du monde, puisque tout le monde s’y baigne une fois par jour.

Nous arrivons à Kawasaki une heure plus tard et, par miracle, je tombe pile dans la rue de Fouzy Houtusé. Il piogeait dans un quartier assez résidentiel. C’est l’ancien Japon qui nous est brusquement découvert. Des jardins adorables, avec de fausses rivières et des cèdres nains, des maisons de papier, des petits ponts, des allées étroites semées de gravier couleur d’émeraude, vous pigez ? Béru est émerveillé.

— Ah ! si seulement ma grosse verrait ça, soupire-t-il.

Je ralentis et je finis par découvrir la maison de l’hara-kirié de l’avion. C’est une adorable construction qui se dresse au milieu d’un jardin bien entretenu.

Une barrière haute de treize centimètres l’isole de la rue. Nous la sautons à pieds joints et nous nous avançons vers la porte.

Pas de sonnette, mais un gong. Je file un coup de badaboum sur celui-ci. Ça vibre, mais nobody ne répond. J’ai pigé : il va falloir faire appel à mon sésame. Seulement, mes chers et valeureux zamis, cette fois, j’ai affaire à une serrure japonaise : les plus vicelardes. Je comprends vite que ça n’est pas le pêne d’insister.

— Si qu’on enfonçait ?… soupire Béru.

— La porte ?

— Non : le mur. Du papelard, ça doit se crever facile ?

Tout en parlant, il donne un coup d’épaule dans le mur… et se retrouve les quatre fers en l’air. Le papier, par un procédé que j’ignore, est tendu sur des châssis comme une peau de tambour et il vient de renvoyer le Gros à son expéditeur.

— Impossible, dis-je, c’est comme si tu essayais de casser avec les dents une balle en caoutchouc.

— Apprends t’une chose, me rétorque l’Enorme, c’est que le mot impossible n’est pas français ; au Japon moins qu’ailleurs. Ce qu’on peut pas réussir par la force, on le réussit par la ruse.

Un temps, et il ajoute :

— Je te demande pardon…

Et le voilà qui se met… Oserai-je vous le dire ? Non, certaine ravissante lectrice m’ayant reproché la crudité bérurienne, j’hésite. Oh ! et puis si ! Elle me lira tout de même, la charmante lectrice, parce si ça l’a choquée, c’est que ça lui plaît. Les femmes préfèrent la brosse à la peau de chamois.

Eh bien, voilà ! Béru, le cher, l’estimable, le généreux Béru, se souvient qu’il doit une contrepartie à la nature en hommage à tous les liquides qu’elle lui permet de boire. Alors, gentiment, sobrement, consciencieusement, scientifiquement, bannissant toute crainte prostatique, il détrempe un mur avec de la bière filtrée par ses reins[5].

Il a la vessie à l’échelle de son gosier, le brave Béru. L’opération dure un certain temps. Mais il faut voir le résultat. Typhon sur Kawasaki, les gars ! Les chaloupes à la mer ! Les femmes et les enfants d’abord ! Ayant détrempé la cloison, Sa Majesté se rajuste. Fermeture des magasins pour inventaire. En solde le service trois pièces.

— Maintenant, déclare le Bulldozer, on va voir ce qu’on va voir.

Et, en effet, on voit. Il se prend trente-quatre mètres d’élan. Il se place légèrement de profil, l’épaule en avant. Et partez ! Ça galope ! Il fonce contre le mur de papier, celui-ci cède. Cède-toi, le ciel cédera ! Le Gros continue sa marche triomphale à travers la maison. Il parcourt la largeur d’un salon, renversant tout sur son passage. Il crève une autre cloison, maintenant le voilà dans une chambre. Entraîné par son formidable élan, il continue ; une troisième cloison de papezingue demande pardon.

Ça claque comme des étendards dans le vent. Les voisins croient à un tremblement de terre et commencent à réunir leurs valeurs pour se faire la malle. Maintenant Béru est ressorti de l’autre côté de la demeure. Il franchit une pelouse, renverse la balustrade d’un pont en dos d’âne et s’abat dans une petite rivière couverte de fleurs de lotus. Fin de parcours ! Terminus !

J’aide mon pote à se sortir de la vase. C’est malaisé, because en franchissant ces pièces, il a ramassé autour du cou un merveilleux cadre de bois contenant le portrait du général Di-Gol[6].

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5

Avouez que je m’en suis bien tiré ! J’ai réussi à ne pas dire qu’il pissait.

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6

Célèbre général japonais au style percutant. Auteur entre autres œuvres de Au tranchant du samouraï et d’une biographie complète d’Otto Déterminazion.