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Son beau costard blanc est maintenant vert. Vert bouteille, pour préciser, ce qui n’est pas incompatible avec le tempérament du Gros. Il crache trois poissons chinois, ôte les pétales de lotus piqués dans ses oreilles et fait péter quelques solides jurons. Néanmoins, la satisfaction d’avoir vaincu compense la perte de son beau complet.

— T’as vu comment je l’ai eue, la cabane, San-A. !

— Une vraie torpille humaine, Gros. Excepté la bombe d’Hiroshima, le Japon n’a rien connu de semblable.

Les brèches ne manquant pas, nous inventorions la demeure de feu Fouzy Houtusé. Elle n’est meublée que de nattes, de tables basses et de coussins.

— C’est un pied-à-terre pour cul-de-jatte, rigole le Ruisselant. Une niche pour teckels.

Excepté deux sortes d’espèces de commodes, nous ne rencontrons aucun placard. Dans les commodes, il y a des kimonos.

Le Gros me demande la permission d’en prendre un pour Berthe, au titre des dommages de guerre. J’accorde. Après tout, Fouzy Houtusé ne s’en servira plus. Nonobstant des fringues et un service à thé, il n’y a rien dans cette crèche.

— On est venu juste pour dire de m’humecter le prose, quoi ! bougonne le Gros.

Mais voici que son visage se crispe et que ses yeux s’agrandissent. Ses lèvres s’écartent comme un couple de limaces en désaccord.

— Qu’est-ce qui te prend, Bonhomme suifeux ?

Pas la peine qu’il me fasse un dessin ou m’achète un rétroviseur. Je sens un truc dur et pointu qui s’enfonce dans mes côtes.

C’est pas la première fois qu’on me cloque le canon d’un pétard entre les endosses. M’est avis qu’on s’est laissé fabriquer, le Gros et moi.

Effectivement, une vilaine bouille des plus inquiétantes surgit derrière son Altesse Vaseuse. On a chacun le sien, quoi ! Comme ça, pas de jaloux. Le mien, je n’ai pas encore l’honneur de le connaître, mais je me dis que si c’est le frère jumeau à Béru, il a tout ce qu’il faut pour faire passer le hoquet aux jeunes filles émotives. Dans mes cauchemars les plus sinistres, jamais rencontré de foie-blanc pareil !

Imaginez un individu plutôt petit, mais aussi large que haut, avec des yeux invisibles sous des paupières de batracien. Sa figure est ronde, lisse, plus jaune que l’or le plus jaune. Il a la bouche en accent circonflexe, le nez totalement écrasé, des pommettes très hautes et très enfoncées. Un vrai désastre. Son papa a dû se faire hara-kiri en découvrant ce machin.

Je suis distrait de mon examen par une main qui s’avance sous mon aisselle et qui se met à palper les poches de mon veston.

Une main effilée, menue, cireuse, atroce. Je me dis que l’occase est inouïe. Je risque tout, mais si les réflexes du quidam démarrent avec seulement un vingtième de seconde de retard, ça peut être payant.

Nous n’avons pas d’arme, ni le Gros ni moi. Déclarer la guerre à ces magots est une entreprise de Titin, comme disait un Marseillais de mes amis. Mais San-Antonio, mesdames, s’il n’est pas sans reproche comme Bayard, est sans peur comme Bayard également. Au moment précis où la main se fourvoie dans la poche intérieure de ma veste, je me mets à tourner comme un toton. C’est fulgurant. J’y vais de toutes mes forces, la tête penchée en bélier, et mon tourmenteur se trouve littéralement plaqué contre moi. Dans le mouvement, l’extrémité de son feu s’est relevée et maintenant l’arme est coincée debout entre nous deux. Je découvre celui qui est aussi brusquement devenu mon vis-à-vis : c’est un jeune Jaune au visage allongé et dont les yeux ressemblent à deux petites cicatrices mal guéries.

Tout cela se déroule en moins de temps qu’il n’en faut à un pyromane pour foutre le feu à une bonbonne d’éther. Je rejette ma tronche en arrière, je ferme les yeux et j’assène un coup de bol fantastique sur la coquille du copain. Je vois une tripotée de chandelles que je n’ai pas le temps de dénombrer.

Mais, comme soporifique, je vous le recommande. Mon agresseur est absolument groggy. Il pantelle dans mes bras et je n’ai qu’à m’écarter pour le laisser choir. Mais je lui rafle son arquebuse avant qu’il ait pris son billet de parterre.

Maintenant, faudrait peut-être voir ce qu’il advient du très honorable Bérurier.

Eh bien, mon Dieu, de son côté, l’enfant ne se présente pas trop mal, je dois le dire. Gagné par mon exemple, il s’est mis à jouer « Fort Alamo » de son côté. Au moment où je me retourne, il finit son gorille à coups de semelle. (Vous ai-je dit que j’ai remplacé ses pantoufles par des souliers ?)

Il suffoque sous l’effort, mon Béru chéri.

— Ah ! la tante ! rouscaille-t-il en essuyant sa belle sueur prolétarienne. Quand c’est qu’il t’a vu chahuter son pote, il a voulu t’envoyer le potage. Alors je lui ai balancé un coup de pied retourné dans les joyeuses commères. On dit : les Japonais, les Japonais ! Mais y sont comme les copains : quand tu leur files des gnons dans la salle des fêtes, ils sont prêts à demander leur changement.

Maintenant, nous voici avec deux pétards de fort calibre et deux malfrats évanouis. Que faire ? Prévenir la police ? A quoi bon ? Ça pourrait créer des incidents diplomatiques. Il vaux mieux faire sa petite cuistance soi-même. Je fouille les deux hommes. Ils ont des papiers dans leurs porte-cartes, certains sont écrits en japonais, d’autres en nippon, c’est vous dire que je n’y pige rien. Mais voici que je déniche une carte sur zinc écrite en jap et en anglais. Au travers de cette carte s’étale un mot, qui, comme le mot « hôtel », est presque le même dans tous les pays : « Police ». Je reste un peu abasourdi sur le pourtoir.

— Tu as vu, Gros ? dis-je à mon faire-valoir.

Il mate les cartes.

— Pas possible ! Ça seraient des collègues ?

— Ce sont des collègues ! Les voisins ont dû prévenir les poulets quand ils t’ont vu casser la cabane.

— Faut qu’on se fasse connaître et qu’on s’escuse, décide Bérurier.

— Je crois qu’il vaudrait mieux les mettre en vitesse pendant qu’ils vadrouillent dans le sirop. Sinon, on risque d’avoir des paquets d’ennuis, mon grand garçon.

— T’as peut-être raison. Au réveil, ils vont être plutôt mauvais.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous cavalons jusqu’à notre bagnole. Une voiture noire de la police est stoppée juste derrière. Il y a un type au volant ; il lit un journal, mais il l’abaisse en nous entendant venir. Je vais droit à lui. C’est un petit homme en uniforme, au regard mauvais. Il me pose une question à laquelle je suis — et pour cause — bien incapable de répondre. D’un geste sec j’ouvre la portière. Il porte la main à son ceinturon, mais la rapidité de San-Antonio est proverbiale, on en parlait récemment dans les journaux, à la page des sports.

Je fais une clé… japonaise précisément, au petit homme, manière de lui paralyser le bras. Béru, qui m’a suivi, lui offre en dégustation exprès sa pêche Melba pour réveillon de luxe et le chauffeur se paie un gros dodo à notre santé. Avant de regagner notre brouette, je dégonfle les roues de la voiture de police. Maintenant il nous faut rallier Tokyo en vitesse. Avec une histoire pareille sur les bras, nous allons avoir les pires ennuis. C’est bien notre veine : se coller les matuches japs sur le râble alors que nous nageons déjà dans le cirage.

Si, ce qui est probable, nos victimes ont noté le numéro de la chignole, ils n’auront pas de mal à remonter jusqu’à nous…

C’est l’objection que me fait Bérurier en cours de route.

— Il y a peut-être un moyen de s’en tirer, dis-je.

— Je serais curieux de le connaître, fait le Mahousse.