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— Nous allons déposer une plainte pour vol de la voiture.

— Et alors ?

— Dans cette déposition, notre qualité de flics sera mentionnée. Ainsi, la police d’ici n’aura peut-être pas l’idée de nous interviewer ?

Il admet qu’effectivement c’est la seule solution.

De retour à Tokyo, nous abandonnons discrètement l’auto dans un quartier populeux et nous frétons un taxi pour rejoindre notre hôtel. Au passage, nous allons chez Hertz signaler le vol du véhicule. Ce système est peut-être un peu boiteux, mais franchement je ne vois pas ce qu’on pourrait faire d’autre dans la conjoncture présente.

Une fois dans ma chambre, je décroche le biniou et je demande Roult à l’Agence France-Presse.

— Du neuf ? demande-t-il, intéressé.

— Non, mais un coup fourré que je vous raconterai par le menu. Dites, cher ami, si par hasard nous avions besoin d’un alibi, il est bien entendu que nous avons quitté votre bureau voici à peine un quart d’heure, n’est-ce pas ?

— Ben voyons. C’est ce que ma secrétaire était en train de me faire observer, ricane-t-il. Vous pensez au petit raout de ce soir ?

— Je ne pense qu’à ça.

Je raccroche. Tout de même je ne suis pas très content de l’incident. M’est avis qu’il vaudrait mieux affranchir le Vieux pour le cas où ça se gâterait ici. Je ne tiens pas à visiter en client les prisons japonaises. Je me paie donc une nouvelle communication. Comme le matin, j’ai le cher boss au bout du fil après une petite heure d’attente. En termes pudiquement voilés (mais il a l’intelligence à fleur de peau), je lui raconte le coup du hara-kiri puis notre expédition à Kawasaki et ses conséquences. Il me dit qu’il va se mettre illico en communication avec notre ambassade, afin qu’une intervention efficace et rapide puisse être effectuée le cas échéant.

Toujours aucune nouvelle de l’Agence Pinaudère. On se sépare. Jamais je n’ai autant communiqué avec le Tondu que depuis que je me trouve à l’autre bout du monde ! Ma note de frais va être aussi salée qu’un baril de morue.

A l’instant où je raccroche, le Gros fait son entrée dans un calbar à fleurettes.

— J’ai donné mon costard à nettoyer et à repasser, dit-il. Avoue que c’est pas de bol ! Pour mon premier complet de flanelle blanche… Enfin, j’espère que je l’aurai en fin de journée pour aller à la soirée de la bonne femme amerlock !

Je cimente son enthousiasme.

— Il vaut mieux que tu ne viennes pas, Gros.

— Biscotte ?

— Parce qu’avec ta jaunisse, t’es pas présentable, faut comprendre !

Il se renfrogne.

— Ecoute, San-A. T’es en train de me chambrer. Il y a des millions de gnaces qui sont de la même couleur que moi ici !

— Oui, mais eux, c’est naturel. Non, crois-moi, il vaut mieux que tu te reposes… D’ailleurs, ton bain forcé de tout à l’heure, avec ce que tu as…

Il retourne dans sa chambre sans répondre et claque la porte violemment.

CHAPITRE VII

La journée s’achève sans incident. Vers huit plombes, votre mignon San-A., baigné, rasé, amidonné, calamistré, parfumé, quitte sa piaule. Il toque à celle de Béru. Mais Béru est absent. Béru boude et s’est emmené promener sans piper mot.

Je descends dans le hall de l’hôtel et je demande au portier de bien vouloir m’appeler un taxi. Je me sens d’une humeur de dogue. C’est moche de ne pas être dans son élément et de se trimbaler dans un pays qu’on ignore sans au juste savoir ce qu’on y cherche. Une fois de plus je maudis cette fâcheuse impulsion qui m’a fait prendre l’avion de Tokyo. J’aurais mieux fait de rester à Paris pour chercher Hector et Pinaud. Peut-être sont-ils cannés à l’heure actuelle ? Et le San-A., pendant ce temps, il estourbit des flics nippons en les prenant pour des truands ! Il brandit une enveloppe que personne ne peut déchiffrer. Il regarde des bonshommes se faire hara-kiri… Il…

— Votre taxi est là, monsieur.

Je me dirige vers la sortie. Au moment où je m’engage dans la porte-tambour, un gros Japonais en costume national la tient bloquée. Je vais pour rouscailler lorsque je reconnais Béru. Un peu beau, le mec ! Il a un kimono de soie noire (celui qu’il eut la présence d’esprit d’emporter de chez Fouzy Houtusé) dans le dos duquel un dragon vert crache le feu. Il me fait une grimace. Enervé, je balance un coup d’épaule dans la porte qui pivote. Béru se met à hurler because sa brioche a été coincée entre les pales de la lourde et le tambour. Il se dégage d’une secousse et me rejoint dans la rue.

— J’suis t’y pas sensas, dans cette tenue, San-A. ?

Je ne peux m’empêcher de sourire.

— On dirait un vieux moine bouddhiste. En quel honneur t’es-tu loqué ainsi ?

— Pour la soirée.

— Quelle soirée ?

— Chez l’Américaine. Comme ça, je suis officiellement un vieux Japonais de tes amis.

— Mais !

Il se plante devant la portière de mon taxi.

— Ecoute bien ce que je vais te causer, San-A. Avec moi y a pas deux poids deux mesures. Tu m’as charrié dans ce patelin sans que je demande. Y a pas de raison pour que t’aille faire le mirliflore et que moi je me fasse tartir ici. Vu ?

Dans le fond, il a raison, le pauvre Gros.

— Tu ne peux pas passer pour Jap, tu ne parles pas la langue !

— Et alors ? Puisque je cause français !

— Oui, mais il y aura des Japonais à cette soirée. S’ils t’adressent la parole en nippon, tu auras bonne mine !

— Eh bien, je dirai que je suis chinois, c’est pas marle ! Allez, en route !

Que faire devant cette obstination ? Je cède et nous partons.

Mrs. Takemehall habite un ravissant appartement dans un immeuble moderne. Nous sommes accueillis par un serveur en veste blanche qui nous drive jusqu’à l’immense salon où la maîtresse de maison se vautre sur un divan pour manœuvres militaires en compagnie de trois autres bonshommes. Car, je l’apprends un peu plus tard, Mrs. Takemehall n’invite jamais les femmes. Elle est misogyne et entend rayonner sur une cour de soupirants de tous âges et de toutes qualités. C’est une grande femme d’une quarantaine d’années, rousse, avec des yeux ardents, des lèvres épaisses, un rire qui fend les cristaux, des gestes brusques et des réactions inattendues. Point n’est besoin de la faire psychanalyser par le professeur Lagamberge, de l’Université de Matière Grise de Trépan, pour comprendre que cette veuve joyeuse est complètement dingue et qu’elle picole autant qu’un régiment polak.

Roult est là, beurré, car il a dû se distiller deux boutanches de scotch en guise d’apéritif.

— Tiens ! La Rousse ! hurle-t-il. Dearlingue, je te présente le commissaire San-Antonio ! Un des cracks de la police française…

« Voilà Barba, San-A. La plus grande salope des Etats-Unis et de sa banlieue. Tu peux l’embrasser, elle aime ça ! »

Prise de contact assez percutante, comme vous pouvez en juger, mes toutes chéries. Je roule donc la galoche parisienne à Barbara, laquelle semble aimer ça et, pour me le faire comprendre, noue ses bras autour de ma nuque et glisse une de ses jambes entre les miennes.

Roult se claque les cuisses.

— Tu t’attendais pas à un phénomène pareil ! hein ! tonitrue-t-il en se claquant les cuisses.

Le voilà qui me tutoie. Ce zig, j’ai l’impression de l’avoir toujours connu.

— Ordinairement, je passe en attraction et non en lever de rideau, fais-je.

Là-dessus, on revient aux convenances et on exécute le numéro des présentations. On me désigne le professeur Yamamotokétolabo, un vieillard plissé comme un parchemin ancien, et qui s’étonne sans s’étonner de cette étonnante ambiance de biture et de foiridon. Puis on me présente un vieil Amerlock à la trogne cabossée comme une voiture de stock-car.