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— Le père Hiljohn ! annonce Roult. Un vieux croquant qui a fait fortune à Tokyo en vendant des bombes atomiques breloques.

« Et puis voici Tay-Donk-Pédhé, un brillant comédien thaïlandais qui fait une belle carrière au Japon dans des rôles de Philippins. »

Je presse des dextres.

— Dear Barbara, fais-je, je me suis permis d’amener un grand ami à moi, Bé-Rhû-Rié, qui mourrait d’envie de vous connaître.

L’assistance éclate de rire. Le Gros se renfrogne et j’interroge Roult du regard.

— Je m’excuse, San-A., fait-il, mais en japonais, Bé-Rhû-Rié signifie : Fleur de Nave vinaigrette !

Le Gros est le premier à s’esclaffer.

— Avouez que ça tombe bien, non ? Mon pote devait avoir des ancêtres japs, sûrement !

Le whisky se met à couler à flots, faut être un champion de Cayatte (comme dit Béru qui a beaucoup aimé le Massage du Rein) et avoir descendu les chutes du Nid à Garat pour tenir le choc. Tout le monde se met à biberonner en massant plus ou moins ouvertement le valseur de Barbara.

A un certain moment, le professeur jap se met à regarder Béru attentivement. L’acuité de son regard trouble le Gravos.

— Qu’est-ce qu’il a, le père barbichette, à me détroncher commak ? s’inquiète mon camarade.

— J’étudie sa morphologie, assure Yamamotokétolabo.

Et il continue à dégoiser en japonais, sur le mode interrogateur.

— Quoi ? grogne mon pote, mal à l’aise.

— Vous ne parlez donc pas japonais ?

— Il suis chinois !

Sans se troubler, le vieillard se met à dégoiser en chinois. L’incompréhension du Grassouillet ne fait que s’accroître.

— Vous ne parlez pas chinois non plus ?

— C’est-à-dire…

Mais les savants, c’est comme les collégiens ! Lorsqu’ils ont flairé un con quelque part, faut qu’ils en fassent le siège, si j’ose dire[7].

— Seigneur Bé-Rhû-Rié, parlez votre dialecte d’origine et je me fais fort de trouver votre lieu de naissance.

Le Gros me regarde, éperdu, se recueille et déclame :

— Kécequim’ faitar tircekon-là !

Yamamotokétolabo fronce ses minces sourcils. Il entre en transe et se met à pousser des petits « Hoïe ! Hoïe ! », comme s’il prenait son fade. A la fin, il secoue la tête.

— Moi qui me flatte de connaître tous les dialectes de l’Asie, j’ignore cette langue.

— Riendéto nantavec labouilleque ta ! affirme Béru.

— D’où êtes-vous donc ? gémit le vieillard.

— Ne laisse pas chercher le professeur, voyons, protesté-je.

Et je me grouille d’affirmer :

— Il est natif de la Mongolie.

— Mais je connais le parler mongol.

— Oui, mais de la Mongolie extérieure !

— Je le connais aussi !

Béru s’emporte. Et ce d’une voix d’autant plus tonitruante qu’il en est à son dix-huitième scotch.

— Moi, je suis de la vraie Mongolie estérieure ; tout à fait, tout à fait à l’estérieur qu’elle est, ma… heug… Mongolie ! Maintenant, faudrait un peu écraser sur le sujet, pépère, biscotte tu commences à me cavaler sur les glandes endoctrines !

On se marre bien. Un repas nous est servi. Le larbin nous apporte à chacun un plateau chargé de victuailles. Et c’est le galimafrage général. La môme Barbara est la plus grande pétroleuse des deux hémisphères et de leurs environs immédiats. Elle se cloque des pâtés impériaux dans le décolleté et nous oblige à les consommer sur place. J’ai jamais becté à un râtelier pareil. Je commence à me dire que je ne vais pas pouvoir vous raconter la suite, mes pauvres chéries. Cette nana, c’est pas les pompelards de la caserne Champerret qui pourraient l’éteindre.

C’est fête au village pour le Mongol extérieur. Ce n’est pas un Mongol fier[8]. Il a la paluche vagabonde, le Gros. L’Américaine pousse des petits cris énamourés. Elle est tombée sur un gastronome de première… bourre ! Déjà que Béru aime la bouffe, alors vous pensez : croquer dans le corsage d’une dame, c’est l’apothéose. Il en oublie les recettes de Raymond Oliver. D’ailleurs ce serait rigolo, une leçon pareille à la télé. Vous l’imaginez, le Raymond, en train de faire une démonstration avec Catherine de mes dix mettraient en branle (les pères de famille nombreuses, les mères maquerelles ombrageuses, les papas gâteaux, les grands-pères gâteux, les pères blancs, les pères noirs, les terres noires, les mères Michel, les Canadiens, les Portugais, les Portugaises et les marraines, les titrés, les sous-titrés, les épices-copeaux, les bien-pensants, les malveillants, les mécontents, les adjudants, les fermez-le-ban, les prudents, les suppléants, les subjonctifprésents, les assermentés, les fermentés, les montés-en-graine, les polyvalents, les édifiés, les édifiants, les édifiantes, les fientes, et puis les autres aussi ! Beaucoup d’autres !)

A la fin du repas, tout le monde est sénégalais, sauf bibi qui a freiné sur le flacon de rye. Le chanteur thaïlandais pousse la fameuse berceuse philippine (de cheval) « Kikavumonkontrut » : le père Hiljohn ronfle sous le canapé après s’être déchaussé afin de permettre à ses durillons de se développer, le professeur Yamamotokétolabo arrache les poils de sa barbe et les tresse avec agilité, Barbara déguste les muqueuses de Béru et l’ami Roult contemple la scène avec un louche intérêt. Je me dis que si le Vioque nous voyait, il en aurait les crins qui repousseraient. De la basse orgie, les gars ! J’ai vaguement honte. Je ne me figurais pas la soirée commak. Soudain, le Gros abandonne les labiales de Barbara.

Il est grave. Ses sourcils touffus forment une ligne absolument horizontale au-dessus de ses yeux.

— Je voudrais téléphoner, fait-il doctement.

Mrs. Takemehall lui désigne le salon voisin.

— Allez-y, my dear.

En l’absence du Gravos qui paraît avoir fait sa conquête, elle se rabat sur moi.

— Votre ami est merveilleux ! me dit-elle.

Comme quoi ce voyage au pays du soleil levant n’aura pas été inutile. L’absence de Béru se prolonge. Un quart d’heure, puis une demi-heure s’écoulent. Comme il ne revient pas, je pousse Barbara dans les bras disponibles de Roult et je pars aux informations.

Le Gros est assis à califourchon sur un pouf. Son pif rougeoie comme celui d’un Popoff enrhumé.

— Mais saperlipopette, dis-je en français du dix-neuvième, à qui donc téléphones-tu ? Tu ne connais personne ici !

— Ici, non. J’appelle Berthe. Elle est pas chez nous, j’ai appelé chez Alfred, elle y était pas non plus. Alfred me dit qu’à Pantruche il fait un temps de chien. Maintenant j’appelle chez mon beauf, à Nanterre.

Il est brusquement sollicité par le téléphone et se met à meugler.

— Allô ! Ninette ? C’est Benoît-Alexandre ! Bonjour… Comment ? De Tokyo ! (plus fort il reprend :) De Tokyo (et il épelle :) T.O.Q.U.I.O. Mais non, c’est pas dans l’Ardèche ! C’est au Japon. Oui : le Japon. Vous voyez Madagascar ? Eh bien, à gauche… Berthe est là ? Bon, passe-moi-la…

Un temps. Il se retourne vers moi et éructe :

— Elle y est. On va voir ce qu’on va voir.

(Au téléphone :)

— C’est toi, Berthe ?

Des éclats de voix crépitent. Le Gros éloigne l’écouteur de sa trompe d’Eustache et se cure le tympan du bout de l’ongle.

— Ecrase un peu, tu veux ? fait-il. Si t’es pas contente, c’est le même tarif ! Je t’appelle justement pour te dire… Hein ?… De Tokyo ! Je dis : de Tokyo ! Mais non, c’est pas dans les Ardennes ! C’est au Japon ! Tu sais où qu’il est le Japon ? Bon !

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7

Et j’ose.

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8

C’est très mauvais, mais je m’inflige le bas calembour pour m’obliger à demeurer modeste. C’est une bonne discipline.