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— Vous devriez me la confier, dit-il, en brandissant l’enveloppe. Ça ressemble à de la dynamite, ce truc-là ! Je vais contacter des savants français ; peut-être que…

— O.K. Mais prenez-en soin. On se téléphone domani, vu ?

— Vu !

Le Gravos a déjà relevé le pan de son kimono et il voltige vers la sortie comme l’étoile d’un ballet.

Nous dévalons l’escadrin de service quatre à quatre et nous débarquons dans la rue à l’instant précis où s’amène une voiture bourrée de flics.

Il n’était que temps.

Histoire de profiter de la douceur du soir, et histoire surtout de nous rafraîchir la mansarde, nous rentrons à pied à l’hôtel.

— C’est vraiment pas croyable ! fait Bé Rhû Rié. Jamais, dans toute ma putain de vie de poulet, j’ai rencontré une affaire pareille, Jamais ! Jamais ! Jamais !

Il voûte ses épaules accablées et va, dans les rues populeuses, pareil à un énorme paquet de thermogène avec son dragon vert qui crache des flammes dans son dos.

CHAPITRE VIII

Eh ben, dis donc, soupire l’Enorme lorsque nous franchissons la porte tournante de notre hôtel, on peut dire que la journée a z’été rude ! Il récapitule :

« Un vieux zig qui s’ouv’ le bide ! Deux flics auxquels qu’on casse la gueule. Une pinupe qui me fait du rentre-dedans, m’amène z’aux bords du divorce et me laisse quimper ; et z’enfin un vieux tordu qui se file la pipe par la fenêtre après avoir tenté de t’assommer, y a pas à tortiller, c’est captivant, le Japon ! »

On se serre la louche dans le couloir et on pénètre chacun dans sa carrée. Dès que j’ai actionné le commutateur, je tressaille : ma turne est complètement retournée. Quelqu’un (ou quelqu’une) est venu pendant mon absence et a tout fouillé. Le matelas est à terre. Les tiroirs sont béants. Ma valise éventrée…

Comme je considère le désastre, le Gros se radine, l’air féroce dans son kimono.

— Et la fiesta continue ! hurle-t-il. Viens voir un peu mon isba à quoi qu’à ressemble !

— Pas la peine, dis-je, il me suffit de contempler la mienne.

Il découvre mon désastre intime et secoue sa tête de gladiateur surmené.

— Vois-tu, San-A., je sens qu’on file du mauvais coton dans ce patelin. C’est pas un pays pour nous. Les gens et les choses ne ressemblent pas à ceuss d’ailleurs. Moi, nettement, je bourdonne.

J’hésite à alerter la direction. Tout bien pesé, j’y renonce. Les patrons de l’hôtel préviendraient la police et c’est la dernière chose que je souhaite. Nous retapons nos plumards en maugréant.

— Qu’est-ce tu crois qu’il cherchait, le tordu qu’est venu faire not’ ménage ?

— Peut-être l’enveloppe…

— Tu crois ?

— Je ne vois pas autre chose.

Le Gravos se campe au mitan de la turne, les poings aux hanches.

— Faudrait tout de même arriver à savoir quoi t’est-ce qu’il y a de marqué sur cette saloperie d’enveloppe, non ?

— Oui, il faudrait. Seulement ceux qui savent lire l’adresse se zigouillent. Alors nous nous trouvons dans un cercle vicieux, Bonhomme.

— A propos de vicieux, cette Barbara, c’est tout de même un chouette morcif, San-A., admets !

— Pour manger tout de suite peut-être ; mais ça ne vaut pas le coup d’en faire un paquet.

— Elle a l’air un peu historique, hein ?

— Pas un peu, Gros. T’as intérêt à continuer de pêcher la Baleine. Cette rouquine, c’est un vrai chalumeau : on s’y brûle les doigts.

Sur ces considérations, nous nous couchons. Mais je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je suis prêt à me rendre aux objets perdus, lorsqu’il me vient une autre idée. Je décroche le bigophone et je demande le numéro de ce polisson de Roult.

Son biniou carillonne un long moment. Je me demande s’il n’aurait pas fini la notche dans les bras parfumés de la bonne Mrs. Takemehall ; mais non. Une voix épaisse comme du goudron en fusion grommelle :

— Yes ?

— San-Antonio, ici !

Ça le réveille.

— Oh ! Attendez que j’écluse un coup de désinfectant pour me réveiller.

Il doit avoir une boutanche de scotch à portée de la main car je perçois le bruit symptomatique d’un glouglou.

— Ça y est, San-Antonio, je suis paré.

— On ne se tutoie plus ? je ricane.

— Si tu veux, pourquoi pas ? fait Roult. Je crois qu’on était tous un peu blindés quand le vieux crabe s’est défenestré.

— Comment ça s’est passé avec les archers ?

— Pas mal. On leur a dit que Yamamotokétolabo avait mal au cœur et qu’il a voulu prendre un bol d’air. Il s’est trop penché et il est allé déguster le bitume.

— Ils ont accepté la version ?

— Sur catalogue. Nous sommes des gens considérables, mon vieux poulet ; je voudrais voir qu’on mette notre parole en doute.

— Tu as toujours l’enveloppe ?

— Ben voyons : elle est dans mon coffre. Je la montrerai demain soir à Sir Prise-Party, un éminent Rosbif qui vit au Japon depuis la fin de la guerre afin de préparer une thèse sur les langues fourrées nippones depuis l’institution du shogounat.

— Bon. Maintenant, je voudrais te demander un tuyau à propos du vieux prof. Avant d’entrer en transe, il a gueulé un truc en jap. As-tu compris ce qu’il disait ?

— Malédiction.

— Seulement ?

— C’est déjà pas mal.

— A ton avis, toi qui connais les mœurs, qu’est-ce qui peut provoquer de pareilles réactions chez ces bonshommes ?

— C’est certainement d’ordre religieux, mais je ne saurais te préciser davantage.

Il bâille comme toute une ménagerie lorsque les abattoirs n’ont pas livré les entrecôtes du jour.

— Je vais te laisser dormir, m’excusé-je.

— Bonne idée ! Comment trouves-tu ma belle Américaine ?

— Un peu névrosée sur la périphérie, mais gentille au demeurant.

— Accueillante, hein ?

— C’est le self-service !

Il se marre.

— Moi, fait-il, j’aime les souris comme ça. Elles simplifient la vie de l’honnête homme et résolvent ses problèmes physiologiques.

Je le quitte et j’en écrase pendant une demi-douzaine d’heures en rêvant qu’un professeur Yamamotokétolabo démesuré tombe du ciel en hurlant « Malédiction ! ».

Juste au moment où nous arrivons dans le hall, le portier nous désigne à deux types qui se tiennent assis à promiscuité de la porte. Les deux hommes se lèvent et s’approchent de nous. Ils sont de taille moyenne, vêtus de complets gris et coiffés de chapeaux de paille noirs, style américain. Ils sont japonais et paraissent aussi joyeux que le monsieur qui vient d’allumer par mégarde sa cigarette avec le billet gagnant du sweepstake.

Je les considère sans joie, pressentant qu’ils viennent nous causer des ennuis.

— Police, fait l’un des deux en français, suivez-nous !

Le Bérurier me coule un regard aussi pendant que les oreilles d’un teckel.

— C’est ici que les Athéniens s’atteignirent, que les Perses se percèrent, que les Satrapes s’attrapèrent et que les Croisés sautèrent par la fenêtre ! me dit-il.

Ce qui, traduit en langage courant, signifie :

« On est cuits, essayons de nous débiner. »

Mais je le calme d’une œillade. On ne peut pourtant pas jouer les Buffalo Bill dans un palace ! D’autant plus qu’avec l’intervention de l’ambassade, notre cas doit pouvoir s’arranger.

— C’est à quel sujet ? questionné-je.

— Vous le saurez ! rétorque le poulet.