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— Aô, fait-elle, vous êtes peut-être impouissant ?

Lors, le Mahousse désigne sa boutonnière.

— On cause pas comme ça à un homme qui porte cet insigne, mâme Barbara, déclare-t-il.

Nous les laissons s’expliquer et emmenons le père Boku-Hokury dans la piaule qui lui est réservée. Lorsqu’il est couché, Roult, qui a été brancardier dans les limonadiers pendant la dernière guerre, examine la blessure du bonhomme.

— Pas très joli, fait-il. Il s’est fracassé la mâchoire ?

— En tombant la tête la première sur le pontage d’un canot d’une hauteur de six mètres.

— Bigre ! Je vais appeler un médecin.

— C’est risqué !

— Non. J’ai un copain belge qui travaille à l’université d’ici et qui fera ça pour moi.

Il bigophone, ensuite de quoi je lui narre les événements par le menu. Ça le sidère.

— Du diable si je pige quelque chose à cette histoire ! murmure Roult. Que peut bien représenter cette enveloppe, je me le demande ! J’ai mis une annonce ce matin dans le hall de l’agence et un professeur suisse, spécialisé dans les langues orientales, s’est présenté.

Je fronce les sourcils.

— Comment ça ? Tu devrais montrer l’enveloppe à Sir Prise-Party ?

— Oui, mais manque de pot, il venait de rentrer à Londres. Alors j’ai eu l’idée de mettre un écriteau ainsi libellé : « Cherchons Européen spécialiste des textes orientaux pour déchiffrage d’un document. »

Je me fous en renaud.

— T’es con pour de bon, ou tu le fais exprès, Roult ?

— Ben quoi, il fallait bien qu’on arrive à un résultat !

— Et tu l’as obtenu, ce résultat ?

Il secoue la tête.

— Non. Le type qui est venu et à qui j’ai montré l’enveloppe, bien qu’il eût une tête de rat de bibliothèque, n’a pas su déchiffrer le texte.

— Personne d’autre ne s’est présenté ?

— Non, personne.

— Bigophone tout de suite à ta secrétaire pour lui demander de retirer l’écriteau.

— Inutile, je l’ai fait moi-même avant de m’en aller !

— Heureusement !

Nous allons boire un godet en compagnie des tourtereaux. Béru a retrouvé de sa superbe et fait le joli cœur sur le gazon avec sa belle amie en bokono.

— Je crois que décidément j’ai le ticket maison, me souffle-t-il en aparté. Elle vient de me dire que j’étais son genre à bloc. Elle aime les hommes gros et forts qu’ont des cicatrices et des manières brusques ; mon cas, en somme.

Au bout d’un moment, il se lève et demande la permission d’aller téléphoner. Je le rattrape de justesse.

— C’est Berthe que tu appelles ?

— Oui, avoue-t-il en rosissant, cette fois mon tabouret est fait, San-A. Je crois que cette femme me convient et que je m’adapterai à la vie japonaise.

J’essaie de le raisonner, mais le Gros est commotionné et il ne veut rien entendre.

— Tu ne pourras pas exercer ton métier ici, voyons, Béru !

— Tant pis, j’en ferai un autre.

— Lequel ?

— Ne serait-ce que professeur de lyonnais dans les écoles de geishas !

— Attends au moins demain avant de téléphoner.

— Non.

— Si ! hurlé-je. Nous devons être recherchés, et si tu demandes la communication pour la France nous serons repérés. Je te défends d’appeler, Béru, c’est un ordre !

Il se résigne.

— Très bien, J’attendrai. Mais si tu espères que je vais changer d’idée, tu te colles le doigt dans l’œil jusqu’au fémur !

Là-dessus, le copain toubib de Roult se pointe. C’est un jeune garçon blond, dynamique. Roult lui demande de soigner un blessé sans poser de questions. Le toubib tique un peu, mais il acquiesce.

Nous assistons à l’examen du père Boku-Hokury. Le doc fait la grimace.

— Pas brillant.

— Fracture du crâne ? je questionne.

— Non, mais traumatisme sérieux. Il a beaucoup saigné ?

— Pas mal, merci.

Sans mot dire, il lui fait une piqûre pour soutenir le battant du vieux coing.

Il faut absolument lui faire une transfusion sanguine. Seulement pour cela il doit être en clinique.

— C’est provisoirement impossible, affirmé-je. Ne pouvez-vous pratiquer cette transfusion ici ?

— Compliqué.

— Il le faut, toubib, soupire Roult. Nous sommes dans la chose jusqu’au trognon, si vous faites la moindre vague, nous risquons une intoxication !

Il sourit.

— Bien. Je vais déterminer son groupe sanguin.

Nous le laissons procéder à son analyse.

— Groupe O ! annonce-t-il. Qui parmi vous appartient à cette classification ?

— Bérurier ! m’exclamé-je. J’en suis certain.

Nous appelons le Gros. Nous avons quelque peine à le dénicher car il s’était enfermé dans la chambre de Barbara. Il réapparaît, chancelant et barbouillé de rouge à lèvres comme une selle d’agneau est barbouillée de moutarde.

— Quoi t’est-ce ? bougonne mon célèbre écuyer, y a plus moyen de discuter en tête-à-tête avec une dame sans qu’on vienne vous faire tartir et ce en pleine minute gynécologique !

— Tu veux sans doute dire « psychologique » ? proposé-je.

— Ecrase avec le vocabulaire, San-A. Qu’est-ce que tu veux ?

— Ton sang !

— Débloque pas et dis-moi ce que tu veux !

— Je te le répète : ton sang !

— Pour quoi fiche ?

— Tu es de quel groupe ?

— Zéro.

— Alors tu es bien l’homme qu’il nous faut ! On va faire une transfusion au vieux pour l’empêcher de clamser.

L’indignation de Bérurier ressemble à un typhon sur la Jamaïque.

— C’t’ une plaisanterie ou quoi t’est-ce ! s’insigne-t-il. Moi ! Refiler mon bon raisin à ce tordu qui voulait me faire becter par les fourmis voilà seulement quelques heures !

« Du sang français, élevé au bœuf de premier choix et au beaujolais contrôlé ! J’irais le refiler dans les égouts de Môssieur ! Un raisin qui titre ses 16 degrés de tension ! Que t’aurais beau le bigler au migrostock que tu y trouverais même pas un microbe gros comme un dé à coudre ! Du sang de chez nous, que même pour la patrie ça serait ballot de le verser, j’en ferais cadeau à ce vieux syndic ! Apprends une chose, San-A. : c’est que, quand je trinque avec mon raisin, je choisis les partenaires ! »

Il s’éponge.

— Ecoute, Gros, ce vieux crabe est la seule personne qui puisse nous apprendre la vérité sur ce galimatias. Nous devons coûte que coûte le sauver. Une petite saignée ne te fera pas de mal.

— Parle-moi-z’en ! Avec ces parties de plumards, je me sens déjà mou comme un navet cuit.

— Peu importe ! Ce sang généreux, Béru, il faut en offrir une tournée à la Vérité, notre patronne à nous autres flics !

L’œil humecté, il se décide :

— Bon. Mais pas plus d’un demi-litre ! C’est vraiment de la confiture donnée à un cochon.

Les pourparlers ayant abouti, la transfusion s’effectue.

Nous retenons notre souffle pour voir Boku-Hokury retenir le sien. Vers le milieu de cette opération, il reprend connaissance. Ses paupières de crapaud se soulèvent, un regard indéfinissable, mais déjà vif se met à balayer la pièce. Il regarde le médecin, il me regarde, il regarde Roult. Puis ses yeux se tournent lentement en direction du Gros qui, allongé sur un canapé, lui refile un peu de sa vie. Môssieur La Dorure a beau être doté d’une grande impassibilité, il a un très léger sursaut. Ses paupières s’abaissent et il murmure d’une voix que la perte de ses dents et la fracture de sa mâchoire rendent difficilement audible :