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– Ce que je vais te demander n’exigera pas grande fatigue, va…

Ils riaient. Ils plaisantaient ainsi. L’énorme Biribi se balançait sur une chaise, attendant que La Veuve s’expliquât. Au fond, il était heureux, heureux de voir les affaires se multiplier et s’embrouiller. Non seulement il y gagnait de l’or, mais encore il y trouvait la satisfaction de ses instincts carnassiers. Jamais il ne s’était autant amusé que dans les expéditions entreprises sous la conduite de La Veuve.

– Dites donc, La Veuve, reprit-il en roulant ses énormes épaules, tâchez que ça soye pas comme à Neuilly, hein? Non, voyez-vous, tous ces macchabées que nous avons enfouis, c’était rigolo, j’dis pas, mais c’est bon une fois… d’autant que c’étaient tous de bons bougres.

Et il eut un nouveau rire qui fit trembler les vitres.

– Alors, reprit-il au bout d’un instant, quoi que nous faisons?

– Rien de difficile. Assieds-toi là.

Elle lui montrait la table. Le bandit traîna sa chaise et s’assit à l’endroit indiqué. La Veuve posa devant lui du papier, des enveloppes, une plume et de l’encre.

– Écris, dit-elle.

– Quoi qu’y faut qu’j’écrive?

La Veuve réfléchit une minute, puis dicta:

«À monsieur le chef de la Sûreté, à la Préfecture de police, boulevard du Palais, Paris.»

Biribi écrivit. Sa grosse écriture maladroite et grossière tremblait, et, tout en écrivant, il grommelait des blasphèmes. Mais il obéissait!…

La Veuve continua à dicter:

«Monsieur le grand chef,

«Vous me connaissez pas; moi je vous connais pas non plus, et j’espère jamais avoir l’occase de faire votre connaissance…

«Seulement, malgré que je vous connaisse pas, j’ai entendu parler de vous comme d’un homme tout à fait bon, tout ce qu’il y a de mieux en fait de bonté. Et comme je sais que vous êtes très embêté, je vous écris à seule fin de vous soulager de vos ennuis. Quoi qui vous embête, monsieur le grand chef? C’est de pas pouvoir mettre la main sur le nommé Charlot, un rude type, c’est vrai, mais aussi pourquoi qui m’a fait des misères?…

«Voilà, monsieur le grand chef. Ça apprendra à Charlot à se payer ma poire. Je vais donc manger le morceau, et vous dire tout ce que je sais. Primo d’abord, Charlot s’appelle pas Charlot. Y s’appelle comte de Pierfort et baron Gérard d’Anguerrand, excusez du peu!… Voilà! Maintenant, si vous voulez le pincer, vous n’avez qu’à aller faire un tour du côté de Brest, dans un endroit qui s’appelle Prospoder. C’est là qu’il doit se terrer. S’il n’y est pas, en tout cas, fourrez-vous bien dans le ciboulot que vous n’avez qu’à pister le baron d’Anguerrand. Voilà! Ça apprendra à Charlot à ne pas me payer mon compte.

«J’ai bien l’honneur, monsieur le grand chef, de bien vous saluer, et vous comprendrez, j’espère, que je ne signe pas mon nom.»

– Ça, c’est tapé! fit Biribi.

La Veuve plia l’étrange lettre, la mit sous enveloppe et ajouta:

– Maintenant, va jeter ça dans une boîte quelconque. Autant que possible, à la Bourse. Après, tu viendras me retrouver ici.

Biribi exécuta ponctuellement les ordres de La Veuve. Il était environ trois heures du matin lorsqu’il revint.

La Veuve l’attendait, soutenue contre la fatigue par l’indomptable énergie de sa haine.

– Ça y est, dit le bandit. Maintenant, La Veuve, à mon tour de vous demander quelque chose.

– Parle.

– J’ai des peines de cœur.

– Tu es amoureux, toi?

– De Rose-de-Corail, oui! dit brutalement l’escarpe. Il me la faut.

– Patience, mon petit!

– Et de la bouquetière! acheva Biribi. Il me les faut. Je les veux. Vous me les avez données. Elles sont à moi. C’est ma part. Alors, je viens vous dire: Quand est-ce que vous allez me donner la clef de la cambuse? Est-ce cette nuit? Ou bien, faudra-t-il que j’enfonce d’un coup d’épaule la porte que vous fermez sur elles?

– Patience, te dis-je!

Biribi s’était levé. Ses joues tremblaient. Ses poings monstrueux se crispaient. Une flamme jaillissait de ses prunelles. Il gronda d’une voix rauque: Tout de suite!…

– Je te demande trois jours, deux jours peut-être. Est-ce trop?

– Ça va! grogna Biribi. Et l’autre?…

– Quelle autre?

– La gosse que nous avons amenée tout à l’heure…

La Veuve s’était assise. Elle avait pris dans ses mains son front brûlant. L’autre!… Lise!… Dans toute cette hideuse conversation qu’elle venait d’avoir avec l’escarpe, elle n’avait fait qu’y songer. Si elle refusait à Biribi la satisfaction qui lui était due, si elle ne lui livrait pas encore les deux malheureuses jeunes filles promises à sa perversité, si elle excitait sa passion brutale pour la contenir ensuite et l’exciter à nouveau, c’est qu’elle avait besoin de Biribi pour une œuvre dernière, c’est qu’elle voulait le tenir.

– Écoute, dit-elle lentement, je suis sur le point de quitter Paris et peut-être la France…

– Bah!… Quoi que j’vas devenir alors, moi?

– Ne crains rien, Biribi. Tu as déjà touché beaucoup d’argent. Mais sache que, si tu m’obéis jusqu’au bout, une somme de cinquante mille francs t’est réservée.

– Cinquante mille balles! gronda le bandit émerveillé et oubliant déjà que, la minute d’avant, il avait été sur le point d’étrangler La Veuve! Vous, feriez ça pour moi?…

– Je ne le ferais pas. C’est fait. L’argent est déposé quelque part. Au moment voulu, tu n’auras qu’à le prendre.

– Comment ça?

– Je te le dirai. Je te dirai l’endroit. Tu n’auras qu’à y aller et à prendre.

L’escarpe, sous ce rapport, avait dans La Veuve une confiance absolue. Il fut convaincu qu’elle disait la vérité – et il ne se trompait pas.

– Avec cette somme, reprit La Veuve, tu pourras filer à l’étranger ou rester à Paris et entreprendre ce que tu voudras. Ça ne me regarde pas. Par la même occasion, et au même moment, tu feras de la bouquetière et de Rose-de-Corail ce que tu voudras. Ça ne me regarde toujours pas.

– Cinquante mille francs! répéta Biribi avec un sourd grondement.

– Seulement, voilà, le plus difficile reste à faire.

– Bon! grommela l’escarpe avec un blasphème de désappointement. Qu’est-ce qu’il y aura à faire?

– Comme je te le disais, je vais quitter Paris. Où je vais aller, tu n’as pas besoin de le savoir. Seulement, je ne veux pas partir seule. Je veux emmener avec moi…

– La gosse de tout à l’heure?…

– C’est ça. Je veux partir avec Lise. Une supposition que ce soit ma fille… Eh bien! je ne partirais pas sans elle, n’est-ce pas?

«Eh bien, puisque je ne veux pas partir sans elle, et que, peut-être, elle ne m’accompagnerait pas de bonne volonté, j’ai compté sur toi pour me l’amener.

– Et c’est tout?…

– C’est tout!

– Vous disiez que c’était difficile…

– Tant mieux si la chose te paraît possible et facile, gronda La Veuve. Convenons donc de ce qu’il y a à faire, car je ne pourrai peut-être pas te voir pendant deux ou trois jours. Écoute-moi attentivement. Tous les soirs, tu passeras devant ma fenêtre, celle qui donne sur la route. Tant que tu ne la verras pas éclairée, rien à faire tu comprends?… Tu ne bouges pas.