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– J’ai compris. Fenêtre noire, rien à faire.

– Bon. Le soir où tu verras de la lumière, ce sera le moment d’agir. Te rappelleras-tu bien cela?

– Le soir où je verrai de la lumière chez vous, à la fenêtre qui donne sur la rue, je me dirai: «C’est à cette heure que je marche!…»

– Bon! fit La Veuve avec un geste de sombre satisfaction. Alors, tu attendras qu’il soit à peu près onze heures; pas avant, tu comprends? Si tu allais te tromper de jour ou d’heure!… Mais non! Tu songeras qu’il y a cinquante mille francs au bout! Donc vers minuit et demi, tu prends la gosse, tu la lies, tu la bâillonnes, tu la mets dans l’auto, et tu files sur Saint-Denis. Au delà de Saint-Denis, à l’endroit où la route coupe la ligne de chemin de fer, tu t’arrêteras. Il faudra que tu y sois vers une heure du matin au plus tard.

– On y sera à l’heure exacte, soyez tranquille. Je connais l’endroit. Et alors?…

– Alors, écoute bien, maintenant. À deux heures ou, au plus tard, trois heures du matin, tu verras arriver une auto. Je serai dans cette voiture qui m’emmènera… je sais où. Tu n’auras qu’à transporter la petite de ton auto dans la mienne. Et alors, je t’indique l’endroit où tu dois trouver les cinquante mille francs. Ça va?

– Comme sur des roulettes!

– Il serait possible que je ne vienne pas!… Si tu n as pas vu arriver l’auto à trois heures du matin, si personne ne vient de ma part… tu attendras une heure encore, tu entends?… Jusqu’à quatre heures tapant. Alors, Biribi, tu reviendras ici, et, là, sur cette table, tu trouveras un chiffon de papier t’indiquant la cachette des cinquante billets de mille. Tu trouveras aussi la clef qui te permettra de rejoindre Rose-de-Corail.

Le bandit frémit.

– Et l’autre? fit-il à voix basse, celle que j’aurais ramenée… qu’est-ce que j’en ferais?…

La Veuve se pencha vers Biribi, le regarda fixement et prononça:

– Lise?… Tu ne l’aurais pas ramenée!…

– Ah! Ah!… je commence à saisir…

– Tu l’aurais conduite à la Pointe-aux -Lilas, poursuivit doucement La Veuve. Et tu aurais… jeté… son cadavre dans le canal!… C’est tout. Nous ne nous verrons plus jusqu’à ce que tu vois le signal convenu. D’ici là, tu n’as qu’à faire bonne garde autour du poulailler, et, pour cela, je m’en rapporte à toi…

– Adieu, donc, La Veuve! dit Biribi.

– Adieu!…

LXVIII LA VEUVE TEND SES FILETS

Biribi s’éloigna. Demeurée seule, La Veuve se jeta sur son lit. Elle était brisée de fatigue. Elle éprouvait dans la tête cette lassitude insurmontable qui suit les grands excès de travail cérébral. Elle sentit qu’elle allait s’endormir, que ses paupières, lourdes comme du plomb, se fermaient malgré elle.

Quand elle se réveilla, elle essuya la sueur glacée qui ruisselait sur son visage.

– Quel affreux rêve! murmura-t-elle. Ce sera donc ainsi toutes les fois que je m’endormirai!… Oh! ne plus dormir… que le jour où je m’endormirai dans la mort!… Ne plus souffrir de pareilles agonies!…

Elle frissonnait de tout son corps et se sentait faible, abattue comme par une longue maladie. Péniblement, elle ralluma le feu dans la cheminée, et fit chauffer du café dont elle buvait maintenant plus encore qu’elle n’avait bu autrefois du vin et de l’eau-de-vie. Elle mangea un morceau de pain, but du café brûlant et se sentit réconfortée.

– J’ai dormi cinq à six heures, pensa-t-elle en jetant un regard sur la pauvre pendule de la cheminée. Si ça peut s’appeler dormir! ajouta-t-elle avec un sourire effrayant. Ce n’est pas tout ça. Il faut que je m’occupe de la fille d’Hubert… Allons, allons, ça marche!… Encore deux ou trois jours, et tout sera fini!… Et alors… alors… qu’est-ce que ça peut faire que La Veuve me prenne!…

* * * * *

La Veuve, au moyen d’un signal convenu et frappé sur le plancher, fit monter Tricot et lui donna diverses commissions. Tricot parti, elle s’installa au coin du feu, d’où elle ne bougea pas pendant deux heures.

Au bout de ce temps, Tricot revint avec des paquets qu’il posa sur la table. La Veuve le remercia d’un signe de tête, et reprit sa rêverie, attendant qu’il s’en allât. Mais Tricot s’approcha d’elle et lui mit la main sur l’épaule.

– Qu’est-ce qu’il y a? fit-elle en tressaillant.

– Il y a que ça fait cinq, La Veuve. Ça commence à devenir inquiétant. Les deux premières, ça passait encore. Facile de se débarrasser de deux jeunesses. Mais voilà qu’il y a eu le gosse, ça faisait déjà trois. Puis l’autre qu’il a fallu empaumer pour pas qu’il nous dénonce. Ça faisait quatre. Puis, maintenant, n’en voilà une nouvelle, et blessée par-dessus le marché. Ce n’est pas qu’on flanche, mais vrai, on ne se soucierait tout de même pas de par trop risquer. Alors je viens vous demander: Est-ce que c’est bientôt fini?

– Tu as peur, Tricot? ricana La Veuve.

– Mais oui, fit Tricot avec son sourire. Encore une fois, La Veuve, je suis tout aussi décidé qu’un autre à gagner ma pauvre vie, mais quand les risques deviennent trop grands… Enfin, je ne suis pas trembleur, mais je commence à me dire qu’il est impossible que ça ne se découvre pas.

– Tricot, outre ce que je te donne, tous les jours, il y aura pour toi dix mille francs au bout de l’affaire.

– Merci, La Veuve. Je sais que vous êtes généreuse, et, au surplus, ça vaut ça… Mais, vrai, fût-ce pour le double et le triple, si ça doit durer huit jours encore…

– Trois jours, quatre au plus.

– Alors, ça va. Qu’est-ce que vous faites de la nouvelle venue?

– Je l’emmène avec moi loin de Paris.

– Bon. Et la gigolette à Jean Nib? Et la bouquetière?…

– Biribi s’en charge.

– Bon. Vous me jurez bien qu’il n’y aura pas de mort dans tout ça?… Je veux bien risquer quelques années de centrale, mais pour le reste, halte-là!

– Sois tranquille. Il n’y aura pas une goutte de sang versée. Je te préviendrais, sans ça!

– Je le sais. Ça me rassure. Restent les deux gringalets. Qu’est-ce qu’on en fait?

– Une fois tout fini, tu les garderas trois ou quatre jours pour les terroriser, puis tu les lâcheras…

– Diable! Diable!… Ça serait bien étonnant qu’au moins un sur deux ne mange pas le morceau…

– Eh bien, tu t’arrangeras! fit brusquement La Veuve en levant son regard funèbre sur Tricot.

– Bon! bon! murmura celui-ci. Je trouverai bien quelque moyen… C’est dit: je me charge de ces deux-là.

Et Tricot disparut comme il était entré, c’est-à-dire silencieux et souriant.

La Veuve prit les paquets déposés sur la table et descendit à son tour. En bas, elle prit une cruche qu’elle remplit d’eau, et un pain. Chargée de ces différents objets, quelques minutes plus tard, elle entrait dans la pièce où Lise avait été déposée sur un lit.

La pauvre petite n’avait pas bougé. Revenue de son évanouissement, elle tenait ses yeux ouverts, secouée de minute en minute par un petit frisson. Il y avait dans ses yeux un immense désespoir. Elle ne faisait pas un geste, et l’entrée même de La Veuve ne lui arracha pas un mouvement de surprise ou de terreur. Tout lui était égal, maintenant. La Veuve posa la cruche pleine d’eau dans un coin, près du lit, et le pain sur une chaise; elle défit les paquets apportés par Tricot: ils contenaient un costume complet de couleur neutre, comme peut en porter une ouvrière modeste. Alors elle s’approcha du lit où gisait Lise.