– Il faut vous déshabiller, ma petite, dit-elle sans rudesse. Attendez! je vais vous aider, laissez-vous faire…
En effet, Lise se laissait faire. Au contact de La Veuve, elle frissonnait. En quelques minutes, et prenant toutes les précautions imaginables pour ne pas lui faire de mal, Jeanne Mareil eut déshabillé celle qu’elle appelait Valentine d’Anguerrand. Alors, elle examina la blessure.
– Ça ne sera rien, reprit-elle. Je suis sûre qu’après-demain vous pourrez vous lever. Vous vous habillerez avec les vêtements que voici. J’emporte ceux que vous aviez… un costume de soirée, ça se voit trop dans les rues… Voilà. J’ai apporté du pain, en cas que vous ayez faim. Et de l’eau… Je vous apporterai une tisane calmante. Tâchez de reposer un peu, ça ne sera rien.
– Madame!
– Qu’est-ce qu’il y a? fit Jeanne Mareil avec une sorte d’empressement.
– Vous avez dit… mes vêtements de soirée pourraient être remarqués dans la rue… c’est donc…
– Quoi, ma petite?… Vous voulez me demander si vous reverrez bientôt la rue?… Enfin vous voulez savoir si vous êtes libre ou prisonnière comme dans la rue Saint-Vincent? C’est ça, hein?…
– Oui! eut la force de répondre Lise.
– Eh bien! vous êtes libre. Je vous en voulais, je l’avoue. Je voulais vous faire de la misère, et surtout, il faut dire que j’ai été excitée par la baronne… Mais ça été vraiment trop loin… Un coup de revolver! Non! c’est trop!… Et, du coup, je ne vous en veux plus. Je vous ai amenée ici. Ça vous sauve des griffes de la baronne qui vous tuerait, voyez-vous, aussi sûr que je vous parle… Mais vous partirez quand vous voudrez… c’est-à-dire lorsque je me serai assurée qu’il n’y a plus de danger.
– Madame… oh! madame, balbutia la malheureuse enfant, un mot encore, un seul mot… et je vous bénirai… Je vous aimerai de tout mon cœur…
– Parlez, ma petite… Et ne tremblez pas ainsi… tout s’arrangera, vous verrez…
– Lui!… Qu’est-il devenu?… lui!… que lui est-il arrivé?…
– Rien que je sache. Je sais simplement qu’il a fait sa déposition, et que la police est aux trousses de la baronne. J’ai été ce matin jusqu’à l’avenue de Villiers. Je lui ai laissé un mot pour le rassurer sur vous, et lui dire que je vous ferai ramener…
– Oh! soyez bénie, madame! balbutia Lise qui éclata en sanglots.
La Veuve parut réfléchir quelques instants, puis elle reprit:
– Il y a un quelque chose entre moi et le baron Gérard. Moi, j’en ai assez. Je crois que, si je vous ramène à lui saine et sauve, il consentira de son côté à oublier le passé. C’est tout ce que je demande en fait de récompense…
– Vous serez récompensée, soyez-en sûre! dit Lise ardemment. Je vous jure, au nom de Gérard, que tout sera oublié… tout… excepté l’immense service que vous nous rendez en ce moment…
La Veuve haussa les épaules d’un air philosophique, recommanda à Lise le calme et la prudence, puis sortit en emportant le costume de soirée.
Une heure plus tard, elle entrait dans l’arrière-salle d’un bar situé boulevard Barbès et disait quelques mots à voix basse au patron de l’établissement, qui répondit par un signe d’assentiment.
– Il faudrait quelqu’un d’adroit et qui n’ait pas les yeux dans sa poche… ajouta La Veuve.
– Soyez tranquille, j’ai votre affaire… la gare Saint-Lago sera surveillée par lui comme pour le départ d’un ministre.
– Il y a un beau carré au bout, conclut La Veuve, qui tendit un billet de banque à l’homme. Je viendrai aux nouvelles demain et les jours suivants.
Puis elle rentra dans son logis et s’y enferma.
Le lendemain, comme elle avait dit, elle retourna au bar du boulevard Barbès.
Il n’y avait rien de nouveau. Le surlendemain, rien encore. Mais le troisième jour, lorsqu’elle entra, le patron cligna de l’œil.
– Ça y est, lui glissa-t-il dans l’oreille. Il a pris hier le rapide de Brest…
La Veuve se contenta de faire un signe de tête, sortit, et, une fois dehors, murmura:
– Valentine, je la tiens. Demain Gérard sera pris. Il pourra choisir entre le bagne et l’échafaud. Reste M. le baron Hubert… et j’en fais mon affaire!… Ce soir, tout sera réglé… Enfin!
Dans son triste logis, à la table même où Biribi, sous sa dictée, avait, trois jours auparavant, écrit au chef de la Sûreté, La Veuve s’assit et, à son tour, écrivit:
«Hubert,
«Il faut que je vous parle. Il s’est passé tant de choses entre nous qu’au moment de m’éloigner de Paris, il est nécessaire que je vous dise ce que j’ai sur le cœur; peut-être, alors, nous pardonnerons-nous l’un à l’autre le mal que nous nous sommes fait, et je partirai plus tranquille.
«Je sais de façon certaine que vous habitez secrètement à l’hôtel d’Anguerrand.
«Cette nuit, après minuit, je viendrai. Si vous ne voulez pas me parler, il suffira que vous laissiez votre porte fermée. Mais si, comme moi, vous pensez que d’une explication suprême il peut résulter quelque bien, vous laisserez la porte entre-bâillée, – et j’entrerai.
«Jeanne MAREIL»
Cette lettre, La Veuve ne la mit pas sous enveloppe elle la roula en boule, l’entoura d’un fil croisé en tous sens, et chercha des yeux un objet quelconque destiné à alourdir cette boule de papier. Mais elle ne vit que son revolver posé sur la table et chargé à six coups. Alors elle enleva l’une des balles du barillet, et cette balle de revolver, devenue messagère, elle l’attacha au fil qui entourait sa lettre.
Quelques minutes, elle demeura rêveuse devant ce chiffon de papier accroché à la balle de plomb.
– Voudra-t-il? songeait-elle. Toute la question est là, maintenant. Oui, sans doute, il voudra. Ne fût-ce que par curiosité… J’aurais dû mettre que je sais où est sa fille… mais non… ça l’aurait plutôt mis en défiance… Je trouverai la porte ouverte, cette nuit, c’est sûr!
Elle partit, et, par le moyen de divers tramways, gagna le quartier lointain de la rue de Babylone. Elle ne tenait pas à arriver de bonne heure, et cherchait à allonger le chemin pour se donner le temps de réfléchir.
Lorsqu’elle se trouva sur le boulevard des Invalides, à l’encoignure de la rue de Babylone, et qu’elle vit le grand portail de l’hôtel d’Anguerrand, son cœur battit avec force, et elle en fut surprise, car il était bien rare que, chez elle, l’émotion produisit ces effets.
– Ce n’est pas tout ça! gronda-t-elle. Il faut que je fasse arriver le papier…
Elle regarda autour d’elle et avisa un gamin, un petit pâtissier qui passait, les deux mains dans les poches, son panier vide sur la tête, en sifflant un air patriotique. Le gamin, tout à coup, tomba en arrêt devant une bande piailleuse qui jouait au bouchon, et s’arrêta pour juger les coups.