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L’éclair du poignard jeta une rapide lueur…

Le baron s’affaissa avec un long gémissement.

La lame avait pénétré tout entière dans la poitrine.

Pendant quelques instants, il se tordit dans le fauteuil.

La Veuve le regardait mourir avec une joie sauvage… Puis, jetant un coup d’œil sur la pendule, elle murmura:

– Allons…: tout est fini… À l’autre, maintenant! à la dernière!…

Elle fit un mouvement comme pour se diriger vers la porte… À ce moment, elle vit Hubert se redresser, livide, sanglant. Un phénomène naturel s’accomplissait chez le baron: l’apoplexie l’avait terrassé; le coup de poignard enrayait l’apoplexie… la saignée abondante dégageait son cerveau… Il parvenait à se soulever, et, dans l’effort suprême de l’agonie, il se cramponnait au bras de La Veuve.

La Veuve demeura immobile, sans crainte: elle voyait bien que le baron avait à peine quelques minutes de vie encore. Froidement, elle demanda:

– Que veux-tu, maintenant?…

– Ma fille!… râla Hubert. Ma fille… ce n’est… pas…Lise… Ma fille s’appelle… Marie Charmant… Et Lise…

– Eh bien, Lise?… rugit La Veuve, qui sentait son cerveau se détraquer, ses muscles se tordre d’épouvante et tout son être vivant sombrer dans la folie.

– Lise! râla Hubert. Tiens… Vois cette lettre… là… sur la cheminée… Lise… Lise… c’est… ta fille!

– Ma fille! hurla Jeanne Mareil.

Et ce fut un hurlement tel qu’il dut être entendu du dehors.

Le baron était tombé à la renverse, tout de son long; une seconde, il se débattit dans le spasme de la mort; puis Il se raidit dans l’immobilité suprême.

La Veuve était debout, jetant autour d’elle des regards insensés.

Brusquement, elle s’abattit à genoux, se pencha sur le cadavre, le secoua furieusement et gronda:

– C’est pour rire, dis! C’est une atroce vengeance! Lise? Lise? ma fille? J’aurais été la tourmenteuse et l’assassin de ma fille!… Parle! mais parle donc, misérable!… Il ne peut plus!… Il est mort!… Oh! que faire? Comment savoir?

Elle se relevait.

Elle écumait… D’un mouvement machinal de ses ongles, elle s’arrachait des lambeaux de peau sur le visage, un râle sifflait sur ses lèvres tuméfiées…

– Mon rêve! bégaya-t-elle, mon rêve! J’ai vu ma fille! et ma fille me conduisait à La Veuve! moi, La Veuve!…

Elle eut un éclat de rire atroce.

– C’est faux! rugit-elle. C’est faux!… Elle est morte!… Tu mens, Hubert!…

À ce moment, ses yeux tombèrent sur la lettre que le baron d’Anguerrand avait placée sur la cheminée.

D’un bond, elle y fut.

En quelques instants, elle l’eut ouverte et dévorée du regard.

Alors, ses mains tremblantes laissèrent échapper la lettre. Alors, avec des gémissements qui eussent attendri le bourreau, à petits pas, vacillante, chaque pas lui coûtant un effort énorme, elle se traîna vers la porte… et elle disait… ou plutôt elle pensait, car sa gorge ne pouvait laisser sortir que cet effroyable gémissement, elle pensait:

– J’arriverai à temps… Je te sauverai… Nous partirons ensemble… Lise! Lise ma fille! mon enfant chérie!… Ne pleure plus! voici ta mère qui vient!… Ta mère!…

À ce moment, la porte s’ouvrit violemment; la pièce fut envahie par les policiers.

Finot, montrant le cadavre d’Hubert d’Anguerrand, s’écria:

– Je vous le disais bien qu’on assassinait ici!…

Et M. Lambourne jetait cet ordre:

– Arrêtez cette femme!…

La Veuve voulut parler, expliquer, supplier… Elle sentit sa langue se paralyser et ses pensées se coaguler, pour ainsi dire. Elle crut qu’elle criait à Finot de courir, de voler, d’arrêter Biribi, de sauver Lise…

En réalité, elle n’articula que quelques sons confus et, presque aussitôt, elle s’abattit entre les bras des agents, sans connaissance…

Finot, déjà, faisait fouiller l’hôtel, certain qu’il allait y trouver Jean Nib.

Toutes recherches furent inutiles.

Alors, il revint dans le cabinet du baron et contempla un instant La Veuve en songeant:

– Celle-là est raide, tout de même. Je crois pincer Jean Nib, et c’est sur La Veuve que je mets la main… Pourvu qu’elle ne casse pas du sucre sur mon dos!… Bah! je trouverai toujours le moyen d’expliquer nos relations, dont il n’y a aucune trace, d’ailleurs. C’est égal… la voilà dans de beaux draps!… Assassinat… sans compter le reste; son compte est bon… Il fallait que ça finisse comme ça pour elle!

Il y eut une perquisition minutieuse.

Le corps du baron avait été transporté sur le lit de sa chambre à coucher, et un agent demeurait en permanence dans la chambre.

La Veuve, dans un état complet de prostration, avait été emmenée, ou plutôt portée au dehors et mise dans un taxi qui avait pris aussitôt le chemin du Dépôt.

Au point du jour, le Parquet faisait son entrée dans l’hôtel. Après les explications du commissaire Lambourne, le juge d’instruction apposait partout les scellés.

* * * * *

La Veuve avait été transportée au Dépôt, et mise aussitôt à l’infirmerie. On pensa d’abord que, semblable à beaucoup de criminelles, au moment de l’arrestation, elle simulait l’évanouissement de la crise de nerfs; les moyens ordinaires auxquels on eut recours pour l’obliger à renoncer à son jeu échouèrent successivement; alors on pensa que, vraiment évanouie, elle ne tarderait pas à revenir à elle. Au bout de trois heures, comme la syncope se prolongeait et que l’accusée pouvait mourir et échapper ainsi à la vindicte légale, on alla chercher le médecin du Dépôt, qui, étant arrivé vers cinq heures du matin, employa toutes les ressources de son art à ranimer la criminelle.

Il fut enfin assez heureux pour y parvenir.

La Veuve ouvrit les yeux.

Alors, bien qu’il fût cuirassé depuis longtemps contre le frisson de la douleur physique par son état de médecin, et contre celui de la douleur morale par son état spécial de médecin du Dépôt, bien qu’il eût vu et analysé toutes les formes que peut prendre la souffrance humaine, ce médecin ne put s’empêcher de frémir.

À ce moment, l’accusée, brisant enfin les derniers liens de la prostration, parvint, par un violent effort, à se soulever et à saisir le bras du médecin; en même temps, elle essaya d’articuler quelques mots.

– Vous voulez parler?… Mais, ma pauvre femme, je ne suis ni juge ni agent, moi… je suis le médecin… Allons, calmez-vous…

L’effort de La Veuve devint effrayant. Ses yeux s’exorbitèrent. Son visage ruissela de sueur.

Et enfin, distinctement, elle prononça ces mots qui étonnèrent le médecin, mais qui, pour elle, avaient un sens si effroyable: