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Cette facilité épouvanta Zizi qui, dès lors, comprit que Tricot était résolu à les faire disparaître.

Quant à La Merluche, il s’était redressé, l’oreille tendue. La perspective des quinze cents francs lui faisait oublier le reste, et même la juste colère de son père l’agent.

– Allons, dit Tricot en se dirigeant vers la porte, soyez sages; peut-être que ce soir on vous ramènera à vos père et mère…

Parole effroyable, que le bandit receleur prononça d’un air de grande douceur.

Zizi l’arrêta par le bras.

– M’sieu Tricot, j’ai quelque chose à vous demander…

– Demande, mon garçon, je suis ici pour vous servir, pas pour autre chose.

– Eh bien! écoutez. Le pain, c’est bon. L’eau, c’est excellent. Mais à la longue, ça devient fastidieux. Est-ce qu’y aurait pas moyen de changer un peu l’ordinaire? Tenez, j’vas vous proposer un marché… Vous nous devez trois mille balles, n’est-ce pas?

– Certainement. Et après?

– Eh bien! je vous achète pour trois mille francs de frites.

Tricot cessa de sourire et se demanda où le gamin voulait en venir.

– Ah! mais non! s’écria La Merluche.

– Pose ta chique, toi! dit Zizi. M’sieu Tricot, écoutez-moi. L’argent, on saurait pas quoi en faire. On risque trop, voyez-vous. Tandis que des frites… y a pas de mal à bouffer des frites; c’est pas défendu; c’est pas dans la loi, ou du moins ça y est pas encore… Eh bien! voilà: vous nous apporteriez un sac de pommes de terre…

– Mais puisqu’on s’en va ce soir, qu’on t’dit! grinça La Merluche.

– Et si j’veux pas m’en aller, moi!… s’écria Zizi, qui fut certainement admirable en cette occasion. On est bien ici! M’sieu Tricot veut me garder un mois, ça me botte, vu que la rousse est à mes trousses et que je serai nulle part aussi bien caché qu’ici!

Tricot tressaillit et commença à entrevoir qu’il pourrait peut-être se défaire de ses deux prisonniers sans en venir à de dangereuses extrémités. La Merluche se lamentait. Zizi s’essuyait le front. Car ses dernières paroles constituaient une de ces trouvailles géniales qu’inspire seul le désespoir, et la sueur inondait son visage.

– Donc, reprit-il, pour trois mille balles, vous nous aboulez un sac de pommes de terre, une poêle, un bon kilo de friture bien blanche et de quoi faire du feu. J’oubliais: je veux aussi un paquet de cartes. Avec des frites et des cartes, je reste un an, si vous voulez!… Ça va-t-y?

– Ça va! dit Tricot.

Le bandit était persuadé maintenant que Zizi parlait en toute sincérité. Il se retira en songeant:

«Pour celui-là, ça va tout seul. Jamais il ne dira un mot. Mais l’autre m’inquiète. Il est plus fouinard. Tant pis pour lui S’il faut saigner, je saigne… mais j’aimerais autant que ça s’arrange à la douce.» Une demi-heure plus tard, Zizi et La Merluche se trouvaient munis de tout ce qu’il faut pour faire des frites et pour faire du feu; de plus, ils avaient un paquet de cartes; en outre, Tricot leur avait apporté deux litres de vin que Zizi avait reçus avec des acclamations enthousiastes, tandis que La Merluche grognait:

– C’est égal, c’est un peu chéro, tout de même!

Sans se préoccuper des lamentations de son camarade, Zizi allumait le feu dans la cheminée, et songeait:

– Maintenant, Tricot est sûr que j’pense pas plus à m’esbigner qu’à m’fiche à l’eau. Avant qu’il se décide tout à fait à nous estourbir, il se passera bien une quinzaine… D’ici quinze jours, j’aurai trouvé le moyen de filer, ou je n’suis qu’une gourde comme Merluchard!…

Bientôt les frites furent prêtes, et les deux compères s’attablèrent, oubliant sincèrement l’un les idées qui le tourmentaient, l’autre les suites désastreuses de l’aventure.

– Épatant! disait Zizi.

– Jamais j’en ai mangé d’pareilles! ajoutait La Merluche.

Ce repas, qui était pour eux le comble de la bonne chère, ayant été dignement couronné par un verre de vin, ils se mirent à jouer aux cartes.

– À quoi qu’on va jouer? demanda la Merluche.

– À bataille, pardi! C’est l’jeu le plus rupin; et d’ailleurs, j’en connais pas d’autre. Et toi?

– Moi non plus… Et puis, c’est amusant, presque autant que le bouchon et les billes.

C’est ainsi que s’écoulèrent deux ou trois jours. La Merluche et Zizi jouaient aux cartes et mangeaient des frites. La Merluche commençait à concevoir une existence où il passerait le temps à jouer à bataille et à éplucher des pommes de terre. D’abord, sa paresse invétérée y trouvait son compte. Et puis, cela l’éloignait du moment fatal où il se retrouverait en présence de son père, et que ce moment fût reculé jusqu’à des époques vagues et lointaines, c’était tout ce qu’il pouvait souhaiter de mieux.

Cependant, Zizi réfléchissait.

Convaincu que Tricot était résolu à un crime, il dissimulait sa terreur et cherchait activement un moyen de se sauver et de sauver en même temps les deux prisonnières.

Rose-de-Corail et Marie Charmant étaient-elles encore dans la maison?

– Oui! songeait Zizi… À moins qu’on ne les ait tuées…

À cette pensée, il se sentait pâlir, et c’était au tour de La Merluche de lui demander:

– Quoi que t’as? De quoi t’plains-tu? Allons, viens faire une partie de bataille.

Un soir qu’il ventait fort au dehors et que les bourrasques de printemps agitaient les volets que Tricot, par prudence, avait encloués, La Merluche venait d’éplucher les pommes de terre, ce qui, deux fois par jour, était sa besogne spéciale. Une fois que tout fut prêt, il se mit en devoir d’allumer le feu, et s’agenouilla devant la cheminée pour y disposer des brindilles de bois.

– Ça va pas prendre, ce soir, grogna-t-il, déjà inquiet sur le sort de son dîner.

– Pourquoi ça, gourde? dit Zizi qui, les mains dans les poches, le regardait faire.

– À cause du vent, donc! Ça descend par c’te cheminée de malheur. T’entends pas?…

La Merluche approchait une allumette enflammée des brindilles. Mais, à ce moment, Zizi se précipita à genoux près de lui et éteignit l’allumette. La Merluche le vit tout pâle et comme rayonnant.

– Quoi qu’y a? fit-il, terrifié.

– Y a qu’j’ai trouvé!

– Trouvé quoi? T’es maboul?…

Mais déjà Zizi n’écoutait plus. Fébrilement, il se mettait à plat ventre et s’introduisait dans le coffre de la cheminée. Un instant plus tard, il se relevait, et, à la stupéfaction de La Merluche, se mettait à exécuter une grande danse échevelée.

Lorsqu’il eut ainsi satisfait à la joie qui l’agitait, il serra les deux mains de La Merluche, ahuri.

– On va s’trotter, dit-il. Tu comprends donc pas? T’es donc encore plus bête que j’croyais? Tu vois pas que Tricot a pensé à tout, excepté à la cheminée?…

– La cheminée?

– Oui, gourde! On va attendre qu’y fasse noir, et puis on va s’enfiler là dedans comme des petits ramoneurs, et une fois sur le toit nous sommes sauvés. Comprends-tu, maintenant?