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Les deux copains attendirent la nuit avec impatience, tremblant maintenant que Tricot n’eût l’idée de leur faire une petite visite. Une heure ou deux s’écoulèrent dans ces transes. Enfin Zizi murmura:

– Allons-y, mon vieux Merluchot. En avant pour l’évasion!

Zizi, sans plus s’attarder aux bagatelles de la porte, comme il disait, s’introduisit aussitôt dans la cheminée et commença à grimper. Sans être périlleuse, l’ascension était loin d’être aisée. Si maigre et fluet qu’il fût, Zizi se trouvait fort à l’étroit dans ce boyau qui, d’ailleurs, semblait se rétrécir de plus en plus. La respiration devenait difficile, mais cela n’empêchait pas le voyou de crier, en haletant quelque peu:

– Dis donc, Merluchard, j’ai trouvé ma vraie vocation. J’aurais dû me mettre dans les ramonas. C’est épatant c’qu’on est bien là dedans, tu vas voir… J’comprends maintenant pourquoi que Latude il a passé trente-cinq ans de sa vie à s’évader, sans compter qu’y r’commence encore au théâtre Montmartre. Y s’embête pas, non!

Tout en exhalant ses réflexions que d’ailleurs Julot n’entendait pas; tout en s’écorchant aux épaules, aux mains, aux genoux, Zizi gagnait en hauteur. Finalement, après un vigoureux effort pour passer les épaules, il émergea à demi suffoqué, se hissa par un rétablissement, s’assit sur le sommet de la cheminée en murmurant:

– Ça serait le cas ou jamais de m’déguiser en génie d’ la Bastille. Tiens, au fait! L’génie d’ la Bastille, ça doit z’être la statue à Latude. Ohé, Merluchon!

– De quoi? fit d’en bas la voix geignante de Julot.

– Tu grimpes-t-y, oui z’ou non! J’ai pas envie d’moisir ici, moi. D’abord on est trop près d’la lune, et ça vous tape sur le ciboulot, à preuve qu’on les appelle les lunatiques, les ceusses qu’en ont une pochetée…

– Mais j’peux pas! gémit la voix. Ça m’racle, ça m’écorche, ça m’dépiaute…

– Ça t’fera du bien. T’es trop gras, t’as bouffé trop de frites. Et puis, si t’y laissais toute ta peau, ça t’changerait, tu serais tout déguisé pour le Mardi-Gras… D’abord moi, j’te l’dis carrément, j’en ai z’assez de t’voir toujours avec la même binette…

– J’étouffe, nom d’un baderne, j’peux plus passer!…

– Imbécile! j’suis bien passé, moi!

– T’es deux fois plus petit qu’moi, pardine!

– Qu’ça peut fiche gourde! On écarte un peu plus les moellons, voilà…

– J’peux pas, larmoya Julot. Y veulent pas s’écarter, les moellons!…

– Y veulent pas? dit Zizi avec l’accent d’une surprise intense. Ben! faut qu’y z’ayent un fichu caractère!… Alors, tu peux pas monter?

– Non! souffla Julot. La cheminée, elle est assez large pour toi, mais elle est trop étroite pour moi.

– Ça, c’est rageant, par exemple. J’aurais jamais cru ça d’la part de c’tte cheminée qu’avait pourtant l’air bonne fille… Alors, tu peux pas monter?… Eh bien, descends, gourde!

– Ah! malheur de malheur! Alors, faut que je redescende? Alors tu m’lâches? tu m’abandonnes?… Alors, j’vas rester tout seul?… Pendant combien d’temps? Peut-être toute ma vie!

– Merluchon, tu m’fends le cœur. Te désole pas, tu seras délivré demain!

– Oui mais si Tricot vient d’ici là et qu’y m’voye tout seul… quoi qu’y va dire? quoi qu’y va faire?

– Tricot viendra pas avant midi. Et tu seras délivré le matin, peut-être cette nuit même…

La Merluche poussa un soupir qui monta vers Zizi comme une suprême recommandation; puis, il se laissa retomber jusqu’en bas, sortit de la cheminée, et comme les sentiments ne duraient jamais bien longtemps dans sa cervelle, au bout de dix minutes, il se dit:

– Bah! j’vas toujours faire des frites et puis j’ferai une partie de bataille à moi tout seul.

Pendant ce temps, Zizi, s’étant mis à plat ventre, s’était doucement glissé jusqu’au bord du toit; de là, il put aisément, en se suspendant à la gouttière, se laisser tomber sur la toiture du poulailler, d’où il sauta à terre sans autre mal que quelques écorchures.

Vivement, il franchît les deux cours et parvint à la porte de la petite cuisine; puis il se dirigea vers le grand portail. Comme il l’examinait avant de tenter l’escalade, il entendit la cuisine s’ouvrir.

Zizi, d’un bond, gagna un tas de fourrage qui se trouvait à deux mètres de lui vers les écuries, et n’eut que le temps de s’y blottir; un homme et une femme sortaient à ce moment de la cuisine qui venait de s’éclairer. À la lueur de la lampe laissée sur la table, Zizi reconnut Tricot et la Veuve.

Ils marchèrent en silence jusqu’à la porte cochère que Tricot se mit en devoir d’ouvrir.

– Tu m’as bien compris? dit à ce moment La Veuve.

– Vous m’avez donné vingt mille francs pour que je comprenne, fit Tricot de sa voix papelarde. Vous pouvez être bien tranquille. À une heure, l’auto où Biribi doit mettre la petite Lise sera prête. À deux heures, la vôtre vous attendra tout attelée…

– C’est bien ça. Quant à la bouquetière et à Rose-de-Corail, tu n’as pas à t’en inquiéter. Biribi t’en débarrassera demain matin…

– Et je n’aurai à me défaire que des deux gamins?

– Oui, dit La Veuve. Là-dessus, je n’ai pas de conseils à te donner, mon bon Tricot. Mais souviens-toi qu’il n’y a que les morts qui savent se taire.

Tricot répondit par un petit rire qui fit dresser les cheveux sur la tête de Zizi.

– Ben! songea-t-il, j’en réchappe d’une verte!… Quelle veine que Merluchard ait pas pu allumer la cheminée ce soir pour les frites! Sans ça, c’était moi qui l’étais, frit!

Tricot venait d’ouvrir la porte. La Veuve demeura immobile un instant, comme si elle eût eu quelque chose à dire encore. Puis tout à coup, elle disparut…

Zizi sentit une sueur d’épouvante couler le long de son visage. Il ne bougeait pas. Il entendait son cœur battre à grands coups, et se disait:

– Zut!… Sûr que Tricot va entendre!… Gourde de cœur! si j’te tenais dans la main!…

Dix minutes se passèrent. Tricot était toujours dans l’entrebâillement de la porte cochère. Sans doute; il attendait que La Veuve eût disparu au loin. Enfin, il modula un coup de sifflet, et, au bout de quelques instants, Zizi vit se dessiner dans l’ombre l’énorme carrure de Biribi.

– Y manquait à la noce, çui-là! songea-t-il.

Tricot avait solidement refermé la grande porte. Les deux hommes se dirigèrent vers la cuisine.

– La Veuve t’a dit? demandait Biribi.

– Oui, oui, les autos, la petite Lise; je suis au courant.

– Mais t’a-t-elle prévenu pour demain matin?… Rose-de-Corail… la bouquetière.

– Je sais que tu dois les emmener demain matin. Et c’eut pas trop tôt.

– Bon! fit Biribi avec un sourd grognement de joie. Alors, montre-moi oùs qu’elles sont, puisque jusqu’à maintenant La Veuve s’est méfiée de moi…

– Pas la peine de te montrer. Tu sais où sont les deux gosses?

– Zizi et Julot?…

– Oui… Eh bien! c’est la porte en face, pas moyen de te tromper. Dis donc, tâche d’opérer avant le jour.