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Tout à coup, un grand silence se fit.

– Ils montent! bégaya Adeline, ivre d’épouvante, non pour elle, mais pour celui qu’elle aimait.

Et lui, à ce moment, se sentait brisé. Tout ressort d’énergie vitale s’arrêtait en lui.

Devant la certitude absolue de l’arrestation, devant la vision de la Cour d’assises, il devenait lâche.

– Je vais mourir! dit-il d’une voix morne.

– Mourir! cria Adeline d’un accent de passion terrible. Toi!… Gérard!… Je t’aime!… Tu ne sais pas de quoi est capable une femme qui aime!…

Et, à ces paroles, Gérard surmonta la faiblesse qui s’était emparée de lui. Sa haine contre Adeline, meurtrière de Lise, se déchaîna plus violente… Dans cette seconde où il entendait les agents se répandre dans le manoir, il redevint maître de sa pensée. Et il jugea qu’il allait être arrêté, jugé, exécuté… et qu’Adeline lui échappait!…

– Mourir! répéta-t-il avec ce même éclat de rire sauvage. Mais je ne mourrai pas seul!…

Adeline était dans ses bras.

Il l’étreignit convulsivement, et, la soulevant, marcha tout droit au balcon. Adeline comprit!…

Et elle, ne fit aucun effort pour échapper!…

Seulement, elle noua ses bras autour du cou de Gérard, et, au moment où ils sautaient dans le vide, ses lèvres, pour la première fois, se posèrent sur ses lèvres dans un baiser furieux, dans une morsure de passion qui ensanglanta leurs bouches.

* * * * *

– Oh! laissez-moi passer!… Je vous dis que c’est mon mari qui est là!…

– Allons, filez! ou je vous arrête!…

La voix de Lise était pleine de supplications et de sanglots. La voix de l’agent était rogue et impérieuse. Repoussée de ce coin par où elle essayait d’atteindre le manoir, elle alla plus loin, mais toutes les mesures étaient bien prises; le château était bien cerné. D’agent en agent, la malheureuse fit repoussée jusqu’aux rochers qui bordent la mer.

Là, elle put longer le pied du manoir.

Ce côté n’était pas surveillé, car une évasion était impossible par là.

– À moins de piquer une tête dans l’Océan, d’une hauteur de quarante mètres! avait dit le chef de la Sûreté.

Il n’avait pas pensé à une chose: c’est qu’un homme sur le point d’être pris, sur le point d’être accablé par le déshonneur ou de succomber au châtiment des hommes, peut toujours s’évader dans la mort.

Lise, de roc en roc, se mit à marcher le long de la mer, sur l’étroite bordure qui sépare l’Océan des assises du manoir.

Comment elle était là? Comment elle avait fait le voyage? Ce qui lui était arrivé depuis que, dans la cellule de La Veuve, elle avait appris quel danger courait Gérard? Comment enfin elle avait pu venir de Brest à Prospoder? Elle ne le savait pas!

Elle était là, voilà tout!…

Et elle ne comprenait qu’une chose: c’est que Gérard était dans le manoir, c’est que les agents de la Sûreté entouraient de toutes parts le vieux château!…

Elle hochait machinalement la tête, et souriait d’un sourire navrant en se rappelant que son bien-aimé lui avait proposé de l’emmener à Prospoder dès qu’il serait réconcilié avec son père. Mais, de temps en temps, elle levait ses yeux déments vers les quelques fenêtres, là-haut, tout là-haut, qui donnaient sur la mer, et alors, son cri déchirait l’espace et faisait frissonner de pitié les gens qui, de loin, étaient accourus, au bruit qu’il se passait quelque chose d’étrange au château.

Tout à coup, elle dut s’arrêter: la marée montait et déferlait sur les rochers.

Mais son hésitation dura peu; elle entra dans la mer en murmurant:

– Il faut que j’aille… J’arriverai! oh! j’arriverai!…

Une dernière fois, elle cria.

Et à ce moment, à quelques pas d’elle, quelque chose tomba avec un bruit sourd. Lise s’arrêta, les yeux exorbités, la bouche ouverte, grelottante, sans autre sentiment que celui d’une volonté farouche, la volonté de démence dernière qui la poussait maintenant à rejoindre les deux corps qu’elle reconnaissait.

Gérard et Adeline étaient tombés sur un rocher, et la mort avait dû être instantanée.

Presque aussitôt une vague déferla, les saisit, et les emporta frénétiquement enlacés dans leur baiser de mort.

Pendant près d’une minute, les deux corps furent visibles à la surface de l’Océan, mais ils s’écartaient de plus en plus de la ceinture de rochers.

Lise entra dans l’eau. Elle se mit à descendre. Elle bégayait:

– J’arriverai! oh! j’arriverai!… Je le rejoindrai!… Gérard! je suis là!… Attends-moi… Gérard!… je t’aime… je…

Un violent reflux des vagues, soudain, l’enveloppa et I’emporta vers les deux corps, vers Gérard, vers celui qu’elle avait adoré d’un amour si pur, si chaste, si absolu… Un instant encore, elle put tendre ses bras vers lui… Puis, brusquement, elle disparut dans le mystère de l’Océan et de la mort, à la seconde où les cadavres de Gérard et d’Adeline enlacés coulaient à pic…

* * * * *

Trois mois après ces événements, Jean Nib et Rose-de-Corail s’embarquèrent pour l’Amérique en compagnie de Pierre Gildas et de Zizi.

Ségalens avait inutilement recherché Magali pour la réconcilier avec son père. Lorsqu’il se rendit chez Max Pontaives, il apprit que celui-ci était parti pour un voyage autour de l’Europe avec sa jolie compagne. Le riche désœuvré avait-il entrepris de la dépayser, de lui faire oublier ses chagrins, de la régénérer peut-être? Qui sait?…

Un an après le départ de Jean Nib et de Rose-de-Corail, Ségalens épousa Valentine d’Anguerrand.

(1904)

FIN

[1] Couteau, poignard.