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– Ô mon Georges… mon mari bien-aimé… mon mari!

* * * * *

Près d’elle, un homme…

Grand, fort, de large envergure, les tempes grises, pâle d’une pâleur de spectre, cet homme a assisté à la cérémonie.

Il vient d’entendre les derniers mots de Lise; il a eu un violent tressaillement… et il se penche…

Il saisit les mains de Lise, les serre convulsivement…

D’une voix rauque, il gronde:

– Votre mari! Vous dites que cet homme est votre mari?…

Lise, un instant, rouvre les yeux, et, avec un sourire ineffable, elle répète:

– Mon mari!… Mon bien-aimé mari!…

Et elle s’évanouit tout à fait.

Alors, l’inconnu l’enlève dans ses bras puissants, et, tandis que les orgues mugissent et que la foule défile vers la signature des registres, il emporte hors de l’église la petite Lise et son rêve brisé…

* * * * *

La cérémonie est terminée… le mariage est consommé, de M. le baron Gérard d’Anguerrand et d’Adeline de Damart…

Ils sortent de la sacristie, beaux tous deux d’une insolente et splendide beauté; ils ont des regards de défi à la destinée qu’ils bravent; lui, le front plus audacieux, elle, les yeux plus mortellement languides, et le cortège nuptial se reforme, et c’est la rentrée du millionnaire Gérard dans la grande vie parisienne…

Et comme ils vont atteindre le portail, un frémissement de malaise, tout à coup, secoue la foule derrière Gérard qui tressaille, derrière Adeline qui pâlit…

On chuchote, on murmure, on proteste, on s’écarte…

Quoi? Comment? Par quelle incorrection ou quelle inconcevable erreur des employés? On ne sait… mais le fait est là! Derrière les deux époux resplendissants, oui, là, mêlés à la foule élégante, des hommes noirs aux livrées graisseuses, effarés, honteux, s’excusant, haletants et suants, cherchent à gagner la sortie…

Et ces hommes portent un cercueil!…

Le cercueil de maman Madeleine qui s’en va seule, toute seule, vers Bagneux ou quelque autre de ces immenses cités ouvrières de la mort…

Les deux cortèges se sont mêlés… les deux cortèges sortent ensemble.

Et la Marche triomphale de Mendelssohn accompagne les deux départs: maman Madeleine… la victime!… qui s’en va vers le néant; Gérard et Adeline qui font leur entrée dans la vie de luxe et de jouissances glorieuses!…

VI LOIN DU BAL

Minuit.

Les nouveaux époux ont annoncé qu’ils vont partir: au bout d’un mois passé au manoir de Prospoder, ils reviendront bien vite, et ils ont fixé la date de la prochaine fête qu’ils donneront.

Le bal est terminé, et les couples enfiévrés par l’opulence du décor, par la magnifique volupté de cette soirée, descendent l’escalier.

Minuit…

Loin du grand salon, dans la chambre nuptiale toute tendue de vieilles soieries brochées jadis pour la Pompadour, devant le lit, merveille de reconstitution d’après les vestiges de Trianon, Gérard et Adeline sont en présence. Depuis huit mois, depuis l’assassinat, les deux damnés se fuient; ils se sont à peine parlé, à peine vus; Adeline a tout combiné, – entrée en possession des vingt millions, contrat de mariage, la cérémonie, la fête – c’est elle qui a tout préparé… armée du pacte signé dans la nuit terrible.

Et maintenant, elle le magnétise de son regard de flamme… elle s’offre, elle l’attire, son sein palpite, ses lèvres humides se contractent dans le sourire des voluptés insensées… et lui songe, dans une effroyable songerie:

– La maîtresse de mon père!… Ma femme!…

Un grand frisson glacial parcourt son échine: l’image vient de passer devant ses yeux, d’un corps qui tournoie et descend vers les abîmes de l’océan qui hurle dans la nuit…

Mais presque aussitôt, cette évocation est remplacée par une autre: une figure pâle… et si douce!

Lise!… Lise, à laquelle il ose à peine songer depuis qu’il sait que Lise… c’est Valentine… sa sœur!… Lise, dont il a évité fiévreusement de rechercher la trace… persuadé que maman Madeleine a dû l’emmener loin de Paris; car tout ce qu’il a eu le courage de faire, c’est de constater que l’appartement du troisième, dans la maison d’en face, est inoccupé… donc elles sont parties!…

Et avec un frisson plus glacé, les yeux fermés frénétiquement, il gronde en lui-même:

– Lise!… Valentine!… Ma sœur Valentine!… Ma sœur Valentine!… Et je l’aime!… Toujours!… Ô Lisette!…

Pourquoi ai-je appris l’affreuse vérité? Pourquoi ne suis-je pas encore à cette matinée de mai où si pure, si confiante, si adorable, vos yeux d’ange éclairaient l’enfer de mon âme?…

Si puissante est l’illusion, que Gérard tend les bras vers la radieuse image évoquée… et ces bras se referment sur un corps souple et vibrant que la volupté fait frémir… Gérard ouvre des yeux hagards…

– Sapho… râle-t-il.

– Oui! répond-elle d’une voix expirante, cette fois, c’est Sapho! C’est-à-dire tout l’amour, toute la passion, toute la volupté… Sapho! ta femme… ta maîtresse… le docile instrument de ton plaisir… seulement orgueilleuse de provoquer en toi la joie d’aimer dans ses raffinements de sublime impudeur…

Elle l’enlace… elle l’enivre… il oublie le monde, Lise, son père assassiné…

Oublier!… oh! oui… oublier, vivre ne fût-ce qu’une heure dans l’ivresse d’un rêve où les réalités sinistres qui l’assiègent se fondraient comme des fantômes!… Il s’exalte… il la saisit… ils frémissent tous deux, ils balbutient et chancellent… leurs têtes se rapprochent… et, pour la première fois, leurs lèvres desséchées vont s’unir…

Tout à coup, Gérard recule, livide, avec un gémissement, et sa main secouée d’un tremblement convulsif désigne une porte… une porte entr’ouverte…

La porte du cabinet où jadis travaillait son père.

Et le cabinet communique à une chambre où jadis a dormi la petite Valentine… l’enfant disparue…

Une sorte d’îlot dans l’hôtel.

Une porte que Gérard a fait condamner depuis longtemps, parce qu’il n’a jamais osé pénétrer dans le cabinet du père assassiné… parce que ce cabinet est la seule pièce, avec celle de Valentine, à laquelle on n’ait pas touché dans la restauration de l’hôtel!…

Et cette porte entr’ouverte… – oui! entr’ouverte. – Gérard la fixe avec épouvante…

Car pourquoi est-elle ouverte, puisqu’elle était solidement condamnée?

Sapho, une seconde, est demeurée immobile, la gorge haletante, penchée elle aussi vers cette porte… la porte ouverte qui les fascine tous deux, qui les glace d’horreur comme s’il en sortait un souffle de tombeau.

Et Gérard, ivre de terreur, balbutie: