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— Je n’en doute pas. Vous vous êtes rendu avec votre astronef quand vous auriez fort bien pu décider de nous faire gaspiller nos munitions et de vous faire réduire en poussière d’électrons. Si vous persistez dans cette attitude, cela pourrait vous valoir d’être bien traité.

— Etre bien traité, c’est ce que je sollicite avant tout, chef.

— Bon, et votre coopération, c’est ce que moi, je sollicite avant tout.

— D’accord, dit calmement Devers. Mais de quel genre de coopération parlez-vous, chef ? A vous parler net, je ne sais pas très bien où j’en suis. » Il regarda autour de lui. » Où sommes-nous, par exemple, et à quoi tout ça rime-t-il ?

— Ah ! j’ai négligé l’autre moitié des présentations. Je m’en excuse. » Riose était de bonne humeur. » Ce monsieur est Ducem Barr, patricien de l’Empire. Je suis Bel Riose, pair de l’Empire et général de troisième classe dans les forces armées de Sa Majesté Impériale. »

Le Marchand demeura bouche bée.

« L’Empire ? fit-il. Le vieil Empire dont on nous parlait en classe ? Ah ! c’est drôle ! J’avais toujours pensé qu’il n’existait plus.

— Regardez autour de vous. Il existe bel et bien, dit Riose d’un ton pincé.

— J’aurais dû m’en douter, dit Lathan Devers en pointant sa barbe vers le plafond. C’est un engin rudement soigné qui a abordé mon coucou. Aucun royaume de la Périphérie n’aurait pu produire ça. » Il fronça les sourcils. » Alors, qu’est-ce que tout ça veut dire, chef ? Ou bien est-ce que je dois vous appeler général ?

— Ça veut dire la guerre.

— L’Empire contre la Fondation, c’est ça ?

— Exactement.

— Pourquoi ?

— Je crois que vous savez pourquoi. »

Le Marchand le regarda d’un air surpris en secouant la tête. Riose le laissa méditer puis murmura :

« Je suis sûr que vous savez pourquoi. »

Lathan Devers murmura : » Il fait chaud ici », puis se leva pour ôter son manteau à capuchon. Il se rassit ensuite et allongea ses jambes devant lui.

« Vous savez, dit-il d’un ton bonhomme, vous vous dites sans doute que je devrais me lever en poussant un cri de guerre et me mettre à taper autour de moi. Si je calcule bien mon coup, je peux vous tomber dessus avant que vous ayez eu le temps de faire un geste, et ce vieux type, qui est assis là sans rien dire, ne pourrait pas faire grand-chose pour m’arrêter.

— Mais vous n’allez pas le faire, dit Riose d’un ton assuré.

— Mais non, assura Devers. Tout d’abord, vous tuer n’empêcherait pas la guerre, j’imagine. Il y a d’autres généraux là d’où vous venez.

« Et puis, je serais probablement maîtrisé deux secondes après vous avoir descendu, et je serais abattu sur-le-champ, ou peut-être tué à petit feu, ça dépend. Mais en tout cas, je ne survivrais pas, et c’est une perspective que je n’aime jamais envisager. Ça n’est pas rentable.

— Je disais bien que vous étiez un homme raisonnable.

— Mais il y a une chose que j’aimerais, chef. J’aimerais que vous me disiez ce que vous entendez en affirmant que je sais pourquoi vous nous faites la guerre. Je n’en ai aucune idée, et les devinettes, moi, ça m’ennuie.

— Ah ! oui ? Vous n’avez jamais entendu parler de Hari Seldon ?

— Non. Je vous ai dit que je n’aimais pas les devinettes. » Riose jeta un petit coup d’œil à Ducem Barr qui sourit doucement et reprit son air rêveur.

« Ne jouez pas au plus malin avec moi non plus, Devers, fit Riose. Il existe une tradition, une fable, ou une affirmation historique – peu m’importe – selon laquelle votre Fondation finira par constituer le second Empire. Je connais une version très détaillée du bla-bla psychohistorique de Hari Seldon, avec vos plans d’attaque contre l’Empire.

— Vraiment ? fit Devers d’un ton songeur. Qui vous a raconté tout ça ?

— Est-ce bien important ? dit Riose avec une inquiétante douceur. Vous n’êtes pas ici pour poser des questions. Je veux que vous me disiez ce que vous savez de la fable de Seldon.

— Mais si c’est une fable…

— Ne jouez pas sur les mots, Devers.

— Je ne joue pas sur les mots. Tenez, je vais vous parler franchement. Ce sont des histoires à dormir debout. Chaque monde a ses légendes ; on ne peut pas empêcher ça. En effet, j’ai entendu parler de ce genre d’histoires : Seldon, le second Empire, etc. On raconte ça pour endormir les gosses le soir. Les gamins sont pelotonnés dans leurs chambres, avec leur projecteur de poche, à se gaver des aventures de Seldon. Mais c’est de la littérature enfantine. » Le Marchand secoua la tête.

Le regard du général impérial était sombre.

« Vraiment ? Vous mentez pour rien, mon ami. Je suis allé sur la planète Terminus. Je connais votre Fondation. Je l’ai regardée en face.

— Et c’est à moi que vous posez des questions ? A moi, alors que je n’y ai pas passé deux mois de suite en dix ans ? C’est vous qui perdez votre temps. Mais faites donc la guerre, si c’est aux fables que vous en avez. »

Barr, pour la première fois, intervint d’une voix douce :

« Vous êtes donc si sûr que la Fondation sera victorieuse ? »

Le Marchand se retourna. Il avait rougi un peu et une vieille cicatrice qu’il avait à la tempe formait une ligne blanche.

« Tiens, le muet. Comment avez-vous déduit ça de ce que j’ai dit ? »

Riose fit un petit signe de tête à Barr et le Siwennien poursuivit d’une voix étouffée :

« Parce que l’idée de cette guerre vous tracasserait si vous pensiez que votre monde était susceptible de la perdre et de connaître l’amertume de la défaite. Je le sais : c’est arrivé à mon monde à moi. »

Lathan Devers se caressa la barbe, regardant tour à tour ses deux interlocuteurs, puis il eut un petit rire.

« Il parle toujours aussi bien, chef ? Ecoutez, fit-il en reprenant un ton sérieux, qu’est-ce que la défaite ? J’ai vu des guerres et j’ai vu des défaites. Qu’est-ce qui se passe si le vainqueur s’empare du gouvernement ? Qui est-ce que ça gêne ? Moi ? Des types comme moi ? » Il secoua la tête d’un air railleur. » Comprenez bien une chose, reprit-il avec force. Il y a cinq ou six gros pachas qui dirigent généralement une planète moyenne. Alors on leur fait le coup du lapin, mais ce n’est pas ça qui m’empêchera de dormir. Alors, il reste le peuple, le commun des mortels ? Bien sûr, il y en a qui se font tuer et les autres paient des impôts plus lourds pendant un moment. Mais ça se tasse. Et puis, on se retrouve dans la même situation qu’avant, avec cinq ou six autres types au gouvernement. »

On voyait frémir les narines de Ducem Barr, et les tendons de sa vieille main droite se crispèrent ; mais il ne dit rien.

Lathan Devers ne le quittait pas des yeux.

« Ecoutez, dit-il. Je passe ma vie dans l’espace à transporter la marchandise des Cartels. Là-bas, fit-il, en braquant son pouce pardessus son épaule, il y a de gros bonnets qui restent dans leur trou et qui gagnent leur vie à me tondre, moi et des types dans mon genre. Imaginez que ce soit vous qui gouverniez la Fondation. Vous aurez encore besoin de nous. Vous aurez même encore plus besoin de nous que les Cartels… parce que vous ne connaîtrez pas la musique et que c’est nous qui rapportons la monnaie. Nous nous débrouillerons mieux avec l’Empire. Oui, j’en suis sûr ; et je suis un homme d’affaires. Si ça doit augmenter mes revenus, je suis pour. »

Et il contempla les deux hommes d’un air railleur.

Le silence se poursuivit plusieurs minutes, puis un cylindre dégringola dans sa niche. Le général l’ouvrit, jeta un coup d’œil aux caractères bien imprimés et alluma d’un geste les circuits audiovisuels.