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Son accent des Pléiades s’était épaissi, on avait du mal à le comprendre ; et dans son excitation, son tempérament paysan reprenait le dessus sur l’allure martiale si péniblement acquise.

« Qu’y a-t-il, sergent ? fit Barr d’une voix douce.

— Le seigneur Brodrig vient vous voir. Demain ! Je le sais, parce que le capitaine m’a dit de faire passer à mes hommes une revue d’équipement… pour lui. J’ai pensé… que je pourrais… vous avertir.

— Merci, sergent, dit Barr. Nous vous en sommes reconnaissants. Mais c’est très bien, inutile de… »

Mais l’expression qui se lisait maintenant sur le visage du sergent Luk était incontestablement de la peur. Il reprit dans un souffle rauque :

« Vous ne connaissez pas les histoires qu’on raconte sur lui. Il s’est vendu au démon de l’espace. Non, ne riez pas. On raconte sur lui des histoires épouvantables. On dit qu’il a des hommes avec des fusils atomiques qui le suivent partout, et quand il veut s’amuser, il leur dit simplement d’anéantir tous ceux qu’ils rencontrent. Ils le font, et ça le fait rire. On dit même que l’empereur a peur de lui et qu’il oblige l’empereur à lever des impôts sans le laisser prêter l’oreille aux doléances du peuple.

« Et puis il déteste le général, à ce qu’on dit. On raconte qu’il voudrait bien tuer le général, parce que le général est si grand et si sage. Mais il ne peut pas parce que lui, il n’est pas de taille. »

Le sergent eut un petit sourire, comme s’il était intimidé d’en avoir tant dit soudain, et il recula vers la porte.

« N’oubliez pas ce que je vous ai dit. Faites attention à lui. »

Et il s’éclipsa.

Devers leva les yeux, l’air résolu.

« Voilà qui nous arrange assez, vous ne trouvez pas ?

— Ça dépend de Brodrig, dit Barr, n’est-ce pas ? »

Mais Devers réfléchissait, il n’écoutait plus.

Il réfléchissait intensément.

Le seigneur Brodrig baissa la tête en pénétrant dans le poste d’équipage exigu de l’astronef marchand, et ses deux gardes armés lui emboîtèrent le pas, pistolet au poing, avec l’air farouche de tueurs à gages.

Le secrétaire privé n’avait guère l’air d’une âme perdue. Si le démon de l’espace l’avait acheté, il n’avait pas laissé de marques visibles de possession. Brodrig semblait plutôt être venu apporter un souffle d’air de la cour dans la laideur d’une base militaire.

Les lignes raides de son costume luisant et immaculé donnaient une illusion de grande taille, du haut de laquelle ses yeux froids et impassibles toisaient le Marchand. Les ruches de nacre qui lui entouraient les poignets volèrent au vent lorsqu’il posa sa canne d’ivoire sur le sol devant lui et s’appuya dessus d’un air désinvolte.

« Non, dit-il avec un petit geste, vous restez ici. Oubliez vos joujoux. Ils ne m’intéressent pas. »

Il avança un siège, l’épousseta soigneusement avec le carré de tissu iridescent attaché au pommeau de sa canne et s’assit. Devers jeta un coup d’œil vers l’autre siège, mais Brodrig dit d’une voix nonchalante :

« Vous resterez debout en présence d’un pair de l’Empire. »

Il sourit.

Devers haussa les épaules.

« Si mon stock ne vous intéresse pas, pourquoi suis-je ici ? » Le secrétaire privé attendit d’un air glacial et Devers ajouta lentement : » Monsieur.

— Pour que nous soyons tranquilles, dit le secrétaire. Voyons, est-ce vraisemblable que je parcoure deux cents parsecs à travers l’espace pour inspecter des babioles ? C’est vous que je veux voir. » Il prit une petite tablette rose dans une boîte gravée et la plaça délicatement entre ses dents, puis il la suça lentement d’un air de connaisseur. » Par exemple, reprit-il, qui êtes-vous ? Etes-vous vraiment un citoyen de ce monde barbare qui provoque tout ce déchaînement de frénésie militaire ? »

Devers hocha gravement la tête.

« Et vous avez vraiment été fait prisonnier par lui, après le début de cette escarmouche qu’il appelle une guerre ? Je parle de notre général. »

Devers acquiesça de nouveau.

« Vraiment ! Très bien, digne étranger. Je vois que vous êtes peu bavard. Je vais vous aplanir la route. Il semble que notre général mène une guerre apparemment sans raison, au prix de formidables dépenses d’énergie, et tout cela à cause d’un petit monde perdu au bout de nulle part, qui ne semblerait pas mériter aux yeux d’un homme logique une seule décharge d’un seul pistolet. Et pourtant, le général n’est pas illogique. Au contraire, je dirais qu’il est extrêmement intelligent. Vous me suivez ?

— Ma foi non, monsieur.

— Ecoutez encore, alors, dit le secrétaire en se regardant les ongles. Le général ne gaspillerait pas ses hommes et ses astronefs pour un acte de gloire stérile. Je sais bien qu’il parle tout le temps de gloire et de l’honneur impérial, mais il est bien évident que cette affectation d’être un des insupportables demi-dieux de l’Age Héroïque est toute en surface. Il y a ici quelque chose de plus que la gloire : et d’ailleurs, il prend étrangement soin de vous. Si vous étiez mon prisonnier, et si vous me disiez aussi peu de choses utiles qu’à notre général, je vous ouvrirais l’abdomen et je vous étranglerais avec vos propres intestins. »

Devers demeura impassible. Son regard se déplaça imperceptiblement, se posant d’abord sur un des gardes du corps du secrétaire, puis sur l’autre. Ils étaient prêts ; ils n’attendaient que l’occasion.

« Ma foi, dit le secrétaire en souriant, vous êtes un gaillard bien silencieux. D’après le général, même une psychosonde n’a rien donné, et cela a d’ailleurs été une erreur de sa part, car cela m’a convaincu que notre jeune héros mentait. » Il semblait d’excellente humeur. » Mon brave Marchand, dit-il, j’ai une psychosonde à moi, et qui devrait vous convenir particulièrement bien. Vous voyez ceci… »

Entre le pouce et l’index, il tenait négligemment des rectangles roses et jaunes aux dessins compliqués, mais aisément identifiables.

« On dirait de l’argent, dit Devers.

— C’en est, et il n’y a pas mieux dans l’Empire, car cet argent est garanti par mes propriétés qui sont plus vastes que celles de l’empereur. Cent mille crédits. Là ! Entre mes deux doigts ! Qui sont à vous !

— Contre quoi, monsieur ? Je suis un bon Marchand, je sais que l’on n’a rien pour rien.

— En échange de quoi ? De la vérité ! Quels sont les mobiles du général ? Pourquoi fait-il cette guerre ? »

Lathan Devers soupira et se lissa la barbe d’un air songeur.

« Ce qu’il veut ? » Ses yeux suivaient les mains du secrétaire qui comptait l’argent lentement, billet par billet. » En un mot, l’Empire.

— Tiens. Comme c’est banal ! On finit toujours par en arriver là ! Mais comment ? Quelle est la route qui mène du bord de la Galaxie au sommet de l’Empire ?

— La Fondation, dit Devers d’un ton amer, a des secrets. Ils ont là-bas des livres, de vieux livres… si vieux que la langue dans laquelle ils sont rédigés n’est connue que de quelques dirigeants. Mais les secrets sont enveloppés dans le rituel et la religion, et personne ne peut les utiliser. J’ai essayé et voilà où j’en suis… avec une condamnation à mort qui m’attend.

— Je comprends. Et ces vieux secrets ? Allons, pour cent mille crédits, j’ai droit aux détails.

— La transmutation des éléments », dit brièvement Devers. Le regard du secrétaire se durcit et perdit de son détachement. » On m’a toujours dit que les lois de la physique atomique n’admettent pas la transmutation pratique.

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