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Puis le quatrième homme dit :

« Il nous faut des espions.

— Exactement ! renchérit Forell. Je ne sais quand l’Empire va attaquer. Nous avons peut-être du temps devant nous.

— Hober Mallow lui-même a pénétré dans les dominions impériaux, suggéra le second.

— Rien de si direct, dit Forell en secouant la tête. Aucun de nous n’est à proprement parler un jeune homme ; et nous sommes tous rouillés par la paperasserie et la routine administrative. Il nous faut des hommes qui soient dans la course…

— Les Marchands Indépendants ? » suggéra le quatrième. Et Forell hocha la tête en murmurant : » S’il en est encore temps… »

III

Bel Riose interrompit ses allées et venues agacées pour tourner vers son aide de camp qui entrait un regard plein d’espoir. » Pas de nouvelles du Starlet ?

— Aucune. La patrouille de recherche a quadrillé l’espace, mais les instruments n’ont rien détecté. Le commandant Yume a signalé que la flotte est prête pour une attaque immédiate de représailles.

— Non, fit le général en secouant la tête. Pas pour un simple patrouilleur. Pas encore. Dites-lui de doubler… attendez ! Je vais mettre ce message par écrit. Faites-le coder et transmettre. »

Tout en parlant, il écrivait, et il remit le papier à l’officier qui attendait.

« Le Siwennien est déjà arrivé ?

— Pas encore.

— Faites-le conduire ici dès qu’il arrivera. »

L’aide de camp salua et sortit. Riose se remit à arpenter la pièce.

Quand la porte s’ouvrit une seconde fois, c’était Ducem Barr qui se tenait sur le seuil. Lentement, et suivant l’aide de camp qui l’avait introduit, il s’avança dans le luxueux cabinet dont le plafond était une maquette stéréoscopique de la Galaxie, et au centre duquel se tenait Bel Riose en tenue de campagne.

« Patricien, bonjour ! »

Puis le général propulsa du pied un fauteuil et congédia son aide de camp en lui disant : » Cette porte doit rester fermée jusqu’à ce que je l’ouvre. »

Il se planta devant le Siwennien, jambes écartées et mains derrière le dos, se balançant lentement d’un air méditatif.

Puis il lança soudain :

« Patricien, êtes-vous un loyal sujet de l’empereur ? »

Barr, qui avait jusqu’alors observé un silence indifférent, haussa les sourcils, l’air nonchalant.

« Je n’ai aucune raison d’aimer l’autorité impériale.

— Ce qui ne veut tout de même pas dire que vous seriez un traître.

— C’est vrai. Mais le simple fait de n’être pas un traître ne veut pas dire que j’accepte de vous prêter activement mon concours.

— C’est généralement vrai aussi. Mais refuser votre concours en l’occurrence, dit lentement Riose, sera considéré comme une trahison, et des mesures seront prises en conséquence.

— Gardez vos phrases massues pour vos subalternes, fit Barr. Une simple déclaration de vos besoins et de vos exigences me suffira. »

Riose s’assit et croisa les jambes.

« Barr, nous avons déjà discuté il y a six mois.

— Votre histoire de magiciens ?

— Oui. Vous vous rappelez ce que j’ai dit que je ferais. » Barr acquiesça. Il gardait les mains croisées devant lui. » Vous comptiez aller leur rendre visite dans leurs repaires, et vous avez été absent quatre mois. Les avez-vous trouvés ?

— Si je les ai trouvés ? Je pense bien », s’écria Riose. Il parlait les lèvres crispées et semblait faire un effort pour ne pas grincer des dents. » Patricien, ce ne sont pas des magiciens ; ce sont des démons. Rendez-vous compte ! C’est un monde grand comme un mouchoir de poche, avec des ressources si maigres, une puissance si infime, une population si microscopique, que cela ne suffirait pas aux mondes les plus arriérés des préfets empoussiérés des Etoiles Sombres. Et malgré cela, ces gens sont assez fiers et ambitieux pour rêver tranquillement et méthodiquement de gouverner la Galaxie.

« Tenez, ils sont si sûrs d’eux qu’ils ne se dépêchent même pas.

Ils procèdent lentement, flegmatiquement ; ils disent qu’il faudra des siècles.

« Et ils réussissent. Il n’y a personne pour les arrêter. Ils ont édifié une misérable communauté marchande qui étend ses tentacules, à travers les systèmes, plus loin que n’osent aller leurs minuscules astronefs. Leurs Marchands – c’est le nom que se donnent leurs agents – pénètrent à des parsecs de chez eux. »

Ducem Barr coupa court à cette furieuse tirade.

« Qu’y a-t-il de renseignements précis dans tout cela ; et qu’y a-t-il de simple fureur ? »

Le soldat reprit son souffle et se calma.

« La fureur ne m’aveugle pas. Je vous dis que je suis allé dans des mondes plus proches de Siwenna que de la Fondation, où l’Empire est un mythe lointain et les Marchands, des vérités vivantes. Nous-mêmes, on nous a pris pour des Marchands.

— Ce sont les gens de la Fondation eux-mêmes qui vous ont dit qu’ils visaient à l’hégémonie galactique ?

— Allons donc ! fit Riose, de nouveau furieux. Il n’était pas question de me le dire. Les fonctionnaires n’ont rien dit. Ils ne parlaient qu’affaires. Mais j’ai conversé avec des gens ordinaires. J’ai absorbé les idées de la masse : leur ’’destin évident’’, le calme avec lequel ils acceptent un grand avenir. C’est une chose qui ne peut se dissimuler : un optimisme universel qu’ils ne cherchent même pas à cacher. »

Le Siwennien manifestait ouvertement une sorte de satisfaction tranquille.

« Vous remarquerez que, jusqu’à maintenant, tout cela semble confirmer fort précisément la reconstruction des événements à laquelle j’ai procédé, à partir des quelques indices que j’ai pu réunir sur le sujet.

— Vous rendez là sans nul doute, répondit Riose d’un ton mordant, un beau tribut à vos facultés d’analyse. Il y a là aussi un commentaire fort outrecuidant sur le danger croissant qui menace les domaines de Sa Majesté Impériale. »

Barr haussa les épaules avec indifférence, et Riose se pencha soudain pour prendre le vieil homme par les épaules, et le dévisager avec une étrange douceur au fond des yeux.

« Allons, patricien, dit-il, pas de ça. Je n’ai pas envie de me montrer barbare. Pour moi, le legs de l’hostilité siwennienne à l’Empire est un odieux fardeau, et que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour supprimer. Mais, ma partie, ce sont les questions militaires, et je ne puis intervenir dans les affaires civiles. Cela provoquerait mon rappel et je ne pourrais plus servir à rien. Vous comprenez ? Je sais que vous le comprenez. Alors, de vous à moi, que l’atrocité d’il y a quarante ans soit effacée par la vengeance que vous avez exercée sur son responsable, et qu’on n’en parle plus. J’ai besoin de votre aide. Je l’avoue franchement. »

Il y avait une frémissante insistance dans la voix du jeune homme, mais Ducem Barr secoua la tête avec une tranquille obstination. Riose se leva d’un air suppliant.

« Vous ne comprenez pas, patricien, et je doute que je puisse parvenir à vous convaincre. Je ne peux pas discuter sur votre terrain. C’est vous l’érudit, pas moi. Mais je peux vous dire une chose. Quoi que vous pensiez de l’Empire, vous conviendrez qu’il rend de grands services. Ses forces armées ont pu commettre ici et là quelques crimes isolés, mais dans l’ensemble, elles ont servi à protéger la paix et la civilisation. C’est la flotte impériale qui a instauré la Pax Imperium qui s’est étendue à toute la Galaxie pendant deux mille ans. Voyez les deux millénaires de paix de l’Empire, auprès des deux millénaires d’anarchie interstellaire qui les ont précédés. Songez aux guerres et aux dévastations de ce temps-là et dites-moi si, avec tous ses défauts, l’Empire ne mérite pas d’être sauvé.