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— Trevize sert donc à attirer la foudre… »

Les lèvres de Branno frémirent. « Ah ! La métaphore que je cherchais ! Il est effectivement un paratonnerre, n’attirant sur lui la foudre que pour mieux nous en protéger.

— Et ce Pelorat, qui va se retrouver lui aussi sur le trajet de l’éclair ?

— Il se peut qu’il en pâtisse également… Mais c’est inévitable. »

Kodell hocha la tête. « Enfin, vous savez ce que disait Salvor Hardin… “ Ne laissez jamais vos sentiments moraux vous empêcher d’accomplir ce qui doit l’être. ”

— Pour l’heure, je n’ai aucun sentiment moral, marmonna Branno. Mon seul sentiment, c’est celui d’une grande lassitude. Et pourtant… je pourrais vous citer quantité de gens dont j’aimerais mieux me passer avant Golan Trevize. C’est un bien beau jeune homme – Et, bien entendu, il ne l’ignore pas. » Elle prononça ces derniers mots d’une voix empâtée tandis que ses yeux se fermaient et qu’elle glissait doucement vers le sommeil.

Chapitre 3

Historien

9.

Janov Pelorat avait les cheveux blancs et ses traits, au repos, étaient plutôt inexpressifs. Ses traits étaient d’ailleurs le plus souvent au repos. Il était de taille et de corpulence moyennes et tendait à se mouvoir sans hâte et à ne s’exprimer qu’après mûre réflexion. Il paraissait beaucoup plus que ses cinquante-deux ans.

Il n’avait jamais quitté Terminus, détail des plus inhabituels, surtout pour un homme de sa profession. Lui-même n’aurait su dire s’il avait ces manières casanières à cause de – ou bien malgré – son obsession pour l’histoire.

Une obsession qui l’avait pris tout soudain à l’âge de quinze ans lorsque, à la faveur de quelque indisposition, on lui avait offert un recueil de légendes antiques. Il y avait découvert ce leitmotiv d’un monde isolé et solitaire – un monde qui n’avait même pas conscience de cette isolation car il n’avait jamais connu rien d’autre.

Son état avait aussitôt commencé de s’améliorer : en l’espace de deux jours, il avait lu trois fois le livre et quittait le lit. Le lendemain, il était derrière sa console, à chercher dans les banques de données de la bibliothèque universitaire de Terminus les traces éventuelles de légendes analogues.

C’étaient précisément de telles légendes qui l’avaient accaparé depuis. Certes, la bibliothèque universitaire de Terminus ne l’avait guère éclairé sur ce point mais, en grandissant, il avait appris à goûter les joies des prêts interbibliothécaires. Il avait en sa possession des tirages qui lui étaient parvenus par hyperfaisceaux de régions aussi éloignées qu’Ifnia.

Il était ensuite devenu professeur d’histoire antique et se retrouvait aujourd’hui au seuil de son premier congé sabbatique – congé demandé dans l’idée d’effectuer un voyage spatial (son premier) jusqu’à Trantor même – trente-sept ans plus tard.

Pelorat était tout à fait conscient qu’il était fort inhabituel pour un citoyen de Terminus de n’avoir jamais été dans l’espace. Mais ce n’était nullement de sa part un désir de se singulariser. Simplement, chaque fois que s’était présentée pour lui l’occasion de partir, quelque ouvrage nouveau, quelque étude originale, quelque analyse inédite, l’avaient retenu. Il reportait alors le voyage projeté, le temps d’épuiser ce sujet neuf et, si possible, d’y contribuer en ajoutant un nouvel élément, une nouvelle hypothèse, une nouvelle idée à la montagne déjà amassée. En fin de compte, son unique regret était de n’avoir jamais pu effectuer ce voyage à Trantor.

Trantor avait été la capitale du premier Empire Galactique ; la résidence des empereurs douze siècles durant et, avant cela, la capitale de l’un des plus importants royaumes pré-impériaux qui avait peu à peu capturé (ou du moins absorbé) les royaumes voisins pour aboutir à cet Empire.

Trantor avait été une cité de taille planétaire, une cité caparaçonnée de métal. Pelorat en avait lu la description dans les œuvres de Gaal Dornick qui l’avait visitée du temps de Hari Seldon lui-même. L’ouvrage de Dornick était épuisé et l’exemplaire que détenait Pelorat aurait pu être revendu la moitié du salaire annuel de l’historien. Lequel aurait été horrifié à l’idée qu’il pût s’en dessaisir.

Ce qui sur Trantor intéressait Pelorat, c’était bien évidemment la Bibliothèque Galactique qui, du temps de l’Empire (c’était alors la Bibliothèque Impériale), avait été la plus grande de toute la Galaxie. Trantor était la capitale de l’empire le plus vaste et le plus peuplé que l’humanité ait jamais connu. Ville unique recouvrant une planète entière et peuplée de plus de quarante milliards d’habitants, sa Bibliothèque avait réuni l’ensemble des œuvres (plus ou moins) créatives de l’humanité, recueilli la somme intégrale de ses connaissances. Le tout numérisé de manière si complexe qu’il fallait des experts en informatique pour en manipuler les ordinateurs.

Qui plus est, cette Bibliothèque avait survécu. Pour Pelorat, c’était bien là le plus surprenant de la chose. Lors de la chute et du sac de Trantor, près de deux siècles et demi plus tôt, la planète avait subi d’épouvantables ravages et sa population souffert au-delà de toute description – et pourtant, la Bibliothèque avait survécu, protégée (racontait-on) par les étudiants de l’Université, équipés d’armes ingénieusement conçues. (D’aucuns pensaient toutefois que la relation de cette défense par les étudiants pouvait bien avoir été entièrement romancée.)

Quoi qu’il en soit, la Bibliothèque avait traversé la période de dévastation. C’est dans une bibliothèque intacte, au milieu d’un monde en ruine, qu’avait travaillé Ebling Mis lorsqu’il avait failli localiser la Seconde Fondation (selon la légende à laquelle les citoyens de la Fondation croyaient encore bien que les historiens l’eussent toujours considérée avec quelque réserve). Les trois générations de Darell – Bayta, Toran et Arkady – étaient chacune, à un moment ou à un autre, allées à Trantor. Arkady toutefois n’avait pas visité la Bibliothèque et, depuis cette époque, la Bibliothèque ne s’était plus immiscée dans l’histoire galactique.

Aucun membre de la Fondation n’était retourné sur Trantor en cent vingt ans mais rien ne permettait de croire que la Bibliothèque ne fût pas toujours là. Qu’elle ne se soit pas fait remarquer était la plus sûre preuve de sa pérennité : sa destruction aurait très certainement fait du bruit.

La Bibliothèque de Trantor était archaïque et démodée – elle l’était déjà du temps d’Ebling Mis – mais ce n’en était que mieux pour Pelorat qui se frottait toujours les mains d’excitation à l’idée d’une bibliothèque à la fois vieille et démodée. Plus elle l’était, vieille et démodée, et plus il aurait des chances d’y trouver ce qu’il cherchait. Dans ses rêves, il se voyait entrer dans l’édifice et demander, haletant d’inquiétude : « La Bibliothèque a-t-elle été modernisée ? Avez-vous jeté les vieilles bandes et les anciennes mémoires ? » Et toujours, il s’imaginait la réponse d’antiques et poussiéreux bibliothécaires : « Telle qu’elle fut, professeur, telle vous la trouvez. »

Et voilà que son rêve allait se réaliser ! Madame le Maire en personne l’en avait assuré. Comment elle avait eu vent de ses recherches, il n’en avait guère idée. Il n’avait pas réussi à publier grand-chose : bien peu de ses travaux méritaient une communication et les quelques-uns à avoir été publiés n’avaient guère laissé de trace. Pourtant, on disait que Branno la Dame de Bronze était au courant de tout ce qui se passait sur Terminus et qu’elle avait des yeux jusqu’au bout des doigts et des orteils. Pelorat était prêt à le croire mais si elle connaissait ses recherches, pourquoi diable n’en avait-elle pas discerné l’importance en lui accordant un peu plus tôt un modeste soutien financier ?