Выбрать главу

En quelque sorte, songea-t-il en se forçant à être le plus amer possible, la Fondation garde les yeux obstinément fixés sur l’avenir : ce qui lui importait, c’était l’avènement du second Empire et sa destinée future. Elle n’avait ni le temps ni le désir de se pencher sur son passé – et ceux qui le faisaient avaient tendance à l’irriter. C’était manifestement fort bête mais il ne pouvait pas à lui tout seul combattre la bêtise. Et puis, cela valait peut-être mieux. Il se gardait ainsi pour lui ce grand dessein et le jour finirait par venir où l’on reconnaîtrait en Janov Pelorat le grand pionnier de la quête fondamentale.

Ce qui bien sûr voulait dire (et il avait trop d’honnêteté intellectuelle pour ne pas l’admettre) que lui aussi avait les yeux tournés vers l’avenir – un avenir dans lequel il se verrait reconnu, et considéré comme un héros, l’égal de Hari Seldon ; plus grand même, en fait, car que pesait une prospective établie sur mille ans dans l’avenir, face à la révélation d’un passé enfoui et remontant au moins à vingt-cinq millénaires ?

Et voilà que son heure avait enfin sonné. Son heure était venue !

Le Maire lui avait dit que ce serait pour le lendemain de l’apparition de l’image de Seldon. C’était pour cette seule raison que Pelorat s’était d’ailleurs intéressé à la crise Seldon, qui depuis des mois occupait l’esprit de tous sur Terminus, voire dans toute l’étendue de la Fédération.

Ça ne lui aurait personnellement fait ni chaud ni froid que la capitale de la Fondation restât sur Terminus ou fût transférée ailleurs. Et maintenant que la crise était résolue, il n’aurait su dire avec certitude quel parti Seldon avait finalement soutenu – voire même s’il avait abordé ledit sujet.

Il lui suffisait de savoir que Seldon était apparu et donc que son heure avait sonné.

Ce fut peu après deux heures de l’après-midi qu’un glisseur s’immobilisa dans l’allée devant sa demeure quelque peu isolée, à la sortie de Terminus.

Une porte coulissa à l’arrière du véhicule. En descendirent un garde portant l’uniforme des compagnies de sécurité de la mairie, puis un jeune homme, puis enfin deux autres gardes.

Pelorat fut impressionné malgré lui. Non seulement madame le Maire connaissait ses travaux mais, à l’évidence, elle y attachait la plus haute importance puisque l’homme qui devait l’accompagner se voyait doté d’une garde d’honneur ; sans parler qu’on lui avait promis un vaisseau de première classe, que cet homme pourrait justement piloter. Décidément, très flatteur ! Très…

Sa gouvernante ouvrit la porte. Le jeune homme entra et les deux gardes prirent position de part et d’autre de l’entrée. Par la fenêtre, Pelorat vit que le troisième homme était demeuré à l’extérieur et qu’un second glisseur venait de s’arrêter. Encore des gardes !

Troublant !

Il se retourna pour accueillir le jeune homme et découvrit avec surprise qu’il le reconnaissait. Il l’avait vu en holovision. « Mais vous êtes ce conseiller… C’est vous, Trevize !

— Golan Trevize. Effectivement. Et vous, le professeur Janov Pelorat ?

— Oui, oui, dit l’intéressé. Êtes-vous celui qui doit…

— Nous allons voyager ensemble, coupa Trevize, impassible. A ce qu’on m’a dit.

— Mais vous n’êtes pas historien.

— Non, certes pas. Vous l’avez dit vous-même : je suis un conseiller, un politicien.

— Certes, certes… Mais où ai-je la tête ? C’est moi l’historien, alors pourquoi s’encombrer d’un second ? Vous, vous pouvez piloter l’astronef.

— Oui, je suis plutôt bon pilote.

— Eh bien, dans ce cas, voilà une bonne chose de réglée. Excellent ! Je crains en effet que l’esprit pratique ne soit pas mon fort, mon jeune ami, aussi, si d’aventure c’était là votre domaine, nous ferions assurément une bonne équipe…

— Je ne suis pas pour l’heure convaincu de l’excellence de mes capacités en la matière mais nous n’avons, semble-t-il, guère d’autre choix que d’essayer de former une bonne équipe.

— Espérons alors que je saurai vaincre mes incertitudes quant à l’espace… C’est que, voyez-vous, conseiller, je n’y suis encore jamais allé. Je ne suis qu’un vulgaire rampant, si tel est bien le terme. Au fait, aimeriez-vous une tasse de thé ? Je vais demander à Kloda de nous préparer quelque chose. J’ai cru comprendre que nous avions quelques heures devant nous avant le départ, après tout. Je suis prêt, toutefois : j’ai pu obtenir tout le nécessaire pour nous deux. Madame le Maire s’est montrée particulièrement coopérative. Surprenant, d’ailleurs, cet intérêt pour le projet…

— Vous étiez donc au courant ? Depuis combien de temps ?

— Le Maire m’a contacté, voyons… » ici, Pelorat fronça légèrement les sourcils, comme absorbé dans quelque calcul « il y a bien deux ou trois semaines. J’en fus, je dois dire, absolument ravi. Et maintenant que je me suis fait à l’idée d’avoir besoin d’un pilote plutôt que d’un second historien, je suis également ravi que ce soit vous mon compagnon, bien cher ami.

— Deux ou trois semaines… » répéta Trevize, quelque peu ébahi. « Elle préparait donc son coup depuis tout ce temps. Et moi qui… » Il se tut.

« Pardon ?

— Rien, professeur. J’ai la mauvaise habitude de marmonner tout seul dans mon coin. C’est, je le crains, une manie à laquelle vous allez devoir vous faire, pour peu que notre expérience se prolonge…

— Assurément, assurément », dit Pelorat, tout en le poussant vers la table de la salle à manger, où sa gouvernante était en train de leur servir un thé des plus complets. « C’est un voyage qui s’annonce très ouvert. Le Maire a bien stipulé que nous pouvions prendre tout notre temps et que nous avions toute la Galaxie devant nous et d’ailleurs que nous pouvions – où que nous soyons – faire appel aux subsides de la Fondation. En ajoutant bien sûr de nous montrer raisonnables. Ce que je lui ai promis bien volontiers. » Il gloussa et se frotta les mains. « Asseyez-vous, mon bon, asseyez-vous. Ce sera peut-être notre dernier repas sur Terminus avant bien longtemps… »

Trevize s’assit et demanda : « Avez-vous de la famille, professeur ?

— J’ai un fils. Il est à l’université de Santanni, en faculté de chimie ou quelque chose dans le genre, il me semble. Pour ça, il tient de sa mère. Nous sommes séparés depuis longtemps, aussi, voyez-vous, je n’ai rien ni personne qui me retienne ici… J’espère que vous êtes dans le même cas – mais prenez donc des sandwiches, mon garçon…

— Pas de fil à la patte pour l’instant, non… Une femme de temps en temps, ça va, ça vient…

— Oui, oui. C’est bien agréable tant que tout va bien. Et encore plus une fois qu’on a compris qu’il ne fallait pas prendre ça au sérieux. Pas d’enfants, si je ne me trompe ?

— Aucun.

— Parfait ! Vous savez, je me sens tout à fait de bonne humeur. J’avoue avoir été d’abord quelque peu refroidi par votre arrivée. Mais je vous trouve à présent des plus revigorants. Ce qu’il nous faut, c’est de la jeunesse, de l’enthousiasme – et quelqu’un qui sache s’y retrouver dans la Galaxie… Car nous sommes embarqués dans une grande quête, voyez-vous. Une quête en tout point remarquable. » Le visage de Pelorat comme sa voix, habituellement si calmes, s’animèrent soudain de manière surprenante sans pour autant qu’on pût déceler de changement notable dans ses traits ou son intonation. « Mais je me demande si l’on vous a parlé de tout ceci ? »